Il y a longtemps que j'envisageais de faire un article sur un domaine assez nébuleux de l'Ozumo, et pourtant si essentiel : celui du monde des oyakata. N'ayant pu le réaliser pour le MDS (mais qui sait si je ne le reprendrai pas plus tard si un nouveau zine venait à apparaître...), je me suis attelé à le faire pour le mettre à la disposition de la communauté des fans francophones. Les anglicistes parmi vous reconnaîtront sans peine une bonne partie des écrits de l'excellent site « oyakata database » dont je me suis très largement inspiré pour rédiger ce qui est basiquement une synthèse la plus complète, mais la plus accessible possible, des points que l'on peut rattacher à ce sujet. D'autres écrits disponibles sur la toile, dont des threads des plus pertinents de la part d'éminents spécialistes du SF, m'ont permis de compléter certains points.

I/ Devenir oyakata

Le mystère du monde des oyakata commence en ce qu'il est troublant de constater l'emploi quasi indifférencié de différents termes en ce qui les concerne, puisqu'on parle souvent aussi bien de Toshiyori (« Ancien »), de Myoseki (« Nom »), de Kabu (« Part ») ou encore de Toshiyori myoseki ou Toshiyori kabu. Le simple fait d'avoir trois mots pour désigner ce qui est peu ou prou la même chose montre clairement que lorsqu'un rikishi prend sa retraite pour devenir un oyakata, les choses ne se résument pas qu'à un simple changement de nom.

Et ces trois éléments sont nécessaires à une bonne compréhension : Toshiyori montre l'aspect hiérarchique. Désormais la personne concernée est un ancien, quelqu'un à qui l'on doit le respect, pour les jeunes – et moins jeunes – deshi. Le Myoseki est l'aspect traditionnel de la fonction de l'oyakata : on choisit un nom dont on peut retracer un historique complet, ces noms sont en nombre limité et on ne peut tout simplement pas conserver le shikona que l'on possédait comme lutteur. Le Kabu, enfin, est lié à l'aspect financier : L’oyakata devient le propriétaire d'une part de l'Association Japonaise de Sumo, et à partir du moment où l'on en est un détenteur, on peut mener un train de vie des plus corrects.

En dehors de la volonté de rendre à la communauté du sumo ce qu'elle a apporté à un lutteur, le fait de devenir oyakata est sans aucun doute un bon moyen d'investir de l'argent et de s'assurer un train de vie tout à fait correct. Beaucoup de rikishi ont, au moment où ils s'arrêtent, combattu pendant plus de la moitié de leur existence, et quand ils quittent les dohyo à 35 ans ou plus, ils en savent un rayon sur ce qu'est le sumo. Bien sûr, leur désir est alors souvent de continuer à pratiquer ce qu'ils ont appris à faire.

Les conditions pour devenir oyakata sont très restrictives. Tout d'abord, il faut être citoyen japonais. Cette règle fut mise en place pour s'assurer qu'aucun étranger ne pourrait devenir oyakata, encore moins devenir un membre exécutif de la Nihon Sumo Kyokai (et partant, de « dénipponiser » le sport national japonais). Malheureusement pour les instigateurs de cette règle, c'est le terme de « citoyen japonais » qui fut employé, laissant donc une porte ouverte à ceux qui acquerraient cette nationalité par naturalisation. L'actuel Azumazeki-oyakata (l'ancien Takamiyama) fut le premier à tirer parti de cette niche, Kyokutenho pourrait bien le suivre prochainement dans cette voie.

Deuxième condition, avoir été sekitori (rikishi salarié). Si l'on n'est parvenu qu'en makushita ou moins, il n'y a aucune chance de devenir un oyakata (on peut toutefois être recruté pour être entraîneur assistant, mais en aucun cas oyakata). Avoir été sekitori est toutefois une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faut en outre soit avoir un certain nombre de basho dans son mawashi, ou avoir atteint un certain rang.

- Soit être devenu ozeki ou Yokozuna,
- Soit être devenu sekiwake ou komusubi et avoir effectué au moins un basho à ce rang,
- Soit avoir effectué 20 basho en division makuuchi,
- Soit avoir effectué 30 basho en division juryo et/ou makuuchi.

Troisième point, il faut être le possesseur d'un Toshiyori kabu (« part d'Ancien »), autrement appelé Toshiyori myoseki (« nom d'Ancien »). Ce sont les 105 licences qui dérivent des noms de rikishi du temps jadis. Quand on devient oyakata, on est alors appelé « (nom du kabu)-oyakata ». Il est bien plus facile de posséder un kabu que de satisfaire aux critères précédemment mentionnés. En fait, n'importe qui peut en posséder un. Mais on peut être exclu de l'Association si l'on en vent un à une personne étrangère au sumo (cela arriva me semble-t-il à Wajima, qui mit le sien en gage).

Il y a trois moyens d'entrer en possession d'un kabu : Soit en acheter un, mais les prix peuvent aller très largement au-delà du demi-milliard de yen pour les plus prestigieux et ne sont souvent abordables que parce que l'on a une koenkai en soutien pour récolter les fonds nécessaires à l'achat. (dans les années 80, Futagoyama, l’ancien ozeki Takanohana, fit atteindre aux kabu des prix ésotériques en achetant tous azimuts des titres pour ses nombreux deshi). On peut aussi la recevoir en don de la part de son mentor ou d'un autre oyakata. Enfin, on peut l'avoir en héritage de son père ou de son beau-père. Dans le cas de l'héritage, les critères d'éligibilité sont un tantinet plus accessibles : Soit avoir atteint une fois un rang de sanyaku (même pas besoin d'avoir effectué un basho à ce rang), ou douze basho en makuuchi, ou vingt dans les rangs salariés.

Il n'est même pas nécessaire en soi de posséder un kabu, simplement le droit de l'utiliser. Si un détenteur de kabu n'a pas besoin du sien (parce qu'il est encore en activité, qu'il possède plusieurs kabu ou qu'il est un oyakata atteint par la limite d'âge), on peut employer son kabu s'il consent à le prêter. Cette situation est appelée Karikabu (« location de kabu ») et est révocable sans préavis toutefois, ce qui n'en fait pas la méthode la plus sûre de devenir oyakata. L'emprunt avait été officiellement interdit pendant un temps par la Kyokai, mais après des « acquisitions » de kabu à des prix symboliques, elle a finit par de nouveau être tolérée.

Moyen alternatif de devenir oyakata : Le Ichidai toshiyori (« Ancien de génération unique »). Il permet de poursuivre sa carrière après le retrait des dohyo avec le nom qui était porté comme rikishi. Mis à part le fait d'avoir été un rikishi « d'exception », il n'y a pas de véritable critère pour un Ichidai toshiyori. Jusqu'à maintenant, seuls les très grands yokozuna (ayant remporté vingt yusho et plus) ont été pris en considération, et ils n'ont en général que peu de difficultés à remplir les critères sus-mentionnés. Quand le possesseur d'un Ichidai toshiyori prend sa retraite, le kabu ne peut être transmis, il disparaît purement et simplement. Il y a actuellement deux détenteurs de tels kabu, Kitanoumi et Takanohana. Un troisième, Taiho, a pris sa retraite par limite d'âge en 2005. Kokonoe (moto-Chiyonofuji) s'en était vu proposer un, mais ayant fait ses armes dans une heya très traditionaliste, il avait décliné l'offre au profit de la voie plus ardue de l'acquisition d'un kabu véritable.

En raison de la rareté des kabu et du caractère souvent soudain de l'arrêt de la compétition par les rikishi, les empêchant d'acquérir à temps un kabu, il existait jusqu'à fin 2006 cinq postes de jun-toshiyori (« jeune ancien »), leur nombre ayant monté un moment jusqu'à dix. Le rikishi, qui devait satisfaire tout de même aux critères de basho et de rang, continuait également sous son nom, mais pour une période de temps limitée : Tout rikishi qui n'était pas devenu yokozuna ou ozeki disposait d'un an (deux précédemment). A la fin de cette période il leur fallait soit détenir un véritable kabu ou se retirer. La règle a été abolie quand la disponibilité de kabu est devenue à nouveau plus normale. La règle parallèle est toujours en vigueur pour les yokozuna et les ozeki, qui disposent respectivement de cinq et trois ans. Mais eux aussi doivent avoir un vrai kabu à la fin de cette période, dans le cas contraire ils ne peuvent poursuivre au sein de l'Association. Les anciens patrons du banzuke n'ont eux jamais occupé les rangs officiels et n'apparaissent dans le banzuke que comme Toshiyori les mieux classés et pas jun-toshiyori.