Bonsoir,
Ayant lu la bio de Akebono, j’ai pensé que ce chapitre pourrait intéresser les amateurs d’oshizumo et de l’époque des Hawaïens (Hoshi, si tu nous écoutes…). Voilà donc cette petite traduction, un peu longue mais assez intéressante à bien des points de vue… Je l’ai faite dans la journée, donc vous me pardonnerez les traductions hâtives ou les éventuelles petites erreurs. Et comme d’hab, enjoy !
Le Bateau Noir
L'entraînement s'intensifie dans les deux semaines précédant chacun des six tournois annuels de sumo, en particulier entre les sekitori, qui autrement effectuent tranquillement l'asageiko en soignant leurs blessures diverses et transmettent leurs connaissances aux plus jeunes deshi tout en maintenant leur niveau de puissance. Les téléphones se mettent alors à sonner et les lutteurs du sommet – dont la plupart finissent face à face au cours du tournoi – se renseignent sur qui va où pour les de-geiko, et tous finissent par choisir une sumo-beya comme les stars du basket de rue qui cherchent le terrain le plus propice pour affronter les meilleurs. Un rikishi du fond de la juryo n'aurait que l'opportunité de faire un ou deux combats dans une pièce emplie d'ozeki et de sekiwake, par conséquent il choisit une heya où il peut trouver des rikishi de son niveau ou juste supérieur. Un ozeki va où il veut, ou il laisse la concurrence venir à lui. Et quand les combats commencent, l'approche prudente qu'adopte en général un sekitori à l'entraînement disparaît : les charges sont rudes, et tout le monde accourt vers le vainqueur en criant, tout à fait comme quand les mal classés implorent pour le combat suivant. La matinée s'écoule jusqu'à ce que chacun d'eux ait combattu un minimum d'une vingtaine de fois chacun, et dans certains cas ait effectué les exercices de poussées à travers le dohyo jusqu'à finir les larmes aux yeux, couverts d'autant de sable, de sel et de sueur que n'importe quel maigrichon de jonokuchi. A mesure que le tournoi s'approche, les mêmes pensées envahissent les esprits de chacun. Est-ce que je travaille aussi dur que Kaio ? Est-ce que je travaille aussi dur que Takanohana ? Ou Musoyama ? Ou Musashimaru ?
En tant qu'ancien coureur de fond, je n'ai jamais bien su trouver la logique du planning d'entraînement dans le sumo. Elevé selon la théorie selon laquelle des semaines de dur labeur doivent être suivies par une période de repos complet avant le jour de la course, j'ai été ébahi de voir comme les choses s'intensifiaient avant le premier tournoi auquel j'ai pu assister en direct, à l'automne 1998. J'avais vu les sekitori faire des efforts très variables lors de l'entraînement au cours des jungyo – en fait, je n'ai vu que deux fois en quatre semaines le yokozuna Wakanohana ne serait-ce que mettre le pied sur le dohyo. Mais une fois revenus à Tokyo, cette peur dont parle George Kalima – est-ce que je travaille aussi dur que l'autre ? - s'est manifestement installée, et tout le monde du juryo au yokozuna travaille autant qu'il le peut durant les deux semaines restant. Cela dure jusque la veille même du tournoi, à un moment où il serait plus raisonnable que tous se reposent. Ils continuent ensuite l'entraînement quotidien tous les jours restant jusqu'à la fin du tournoi.
« C'est une des choses à laquelle il a été dur de s'habituer », me dit George. « Quand on jouait au football à Kaiser, on s'entraînait dur tout le temps, mais pas une veille de match, et surtout pas le jour même du match. Mais tu vois, tout le monde fait ça. Tout le monde veut s'entraîner au moins autant que l'autre en face. C'est pas du tout logique. Mais c'est comme ça ».
Je converse à plusieurs reprises au sujet de l'idée de repos et de son utilité avec Chad, et en dépit du fait qu'il soit d'accord avec l'analyse de George sur le principe, il n'y a aucun autre moyen de faire autrement. A mesure qu'il grimpait les rangs, il était censé donner l'exemple aux autres en travaillant dur jusqu'au bout. Mais il est aussi désireux que Tiger Woods de faire quelques entraînements supplémentaires dès que l'opportunité se présente, convaincu qu'il le rendent plus fort que quiconque.
« Le manque de repos est peut-être la raison pour laquelle les genoux de Konishiki ont fini par rendre les armes », lui dis-je un jour, alors que nous abordons le sujet. Le gros ozeki a quitté définitivement le dohyo presque un an auparavant.
Chad baisse les yeux un moment, et réfléchis sur la résolution de son senpai. « L'ozeki », dit-il « Il était du genre, comment que j'peux dire. C'était un guerrier à l'ancienne, hm ? Tu sais, le genre ' si ça fait pas mal, ça fait pas avancer' ». Ces mots sont à prendre au pied de la lettre, non pas comme une sorte de devise d'entraînement d'un coach. La douleur, pour Konishiki, était synonyme de progrès. Elle signifiait qu'il s'endurcissait, et qu'il serait plus résistant. Elle signifiait aussi combattre en dépit de blessures récurrentes plutôt que de retomber dans le banzuke. Elle était gaman, mot souvent accompagné par les mots 'saigo made' : jusqu'au bout.
Au début du tournoi de printemps 1988, Chad avait vu un exemplaire du banzuke, cette liste des rikishi rédigée suivant le rang dont Taylor lui avait parlé, et dont il lui avait montré les caractères représentant Konishiki – à quelques encablures du sommet. Il ne pouvait lire aucun des autres caractères, mais ce qu'il comprit du document se reflète dans la vie réelle au moment où il entre dans l'Azumazeki-beya de retour à Tokyo. L'exemplaire du banzuke qu'il a vu comporte des caractères en noir imprimés sur un parchemin blanc, de la taille du Honolulu Star-Bulletin, et les noms au sommet – des noms tels que Konishiki ou Chiyonofuji dans la division makuuchi – peuvent être vus clairement de l'autre bout de la pièce. La liste est séparée en son milieu dans le sens vertical, et en six parties du sommet jusqu'à la base – une, lui a-t-on dit, pour chaque division, les lignes verticales représentant l'Est et l'Ouest pour chaque division. Les caractères de la seconde division, qu'on lui a indiqué comme étant celle des juryo, peuvent encore être vus de loin.
Mais des juryo en passant par les makushita, sandanme et jonidan, l'objet finit par ressembler à un tableau d'opticien japonais, jusqu'en bas avec la division jonokuchi, où il faut tout simplement une loupe pour ne serait-ce que constater qu'il y a bien quelque chose d'écrit. Il est alors en maezumo, même pas digne d'avoir encore son nom écrit à l'aide de pinceaux microscopiques tout en bas. Il lui faudra remporter quatre combats dans un tour de qualification avant de simplement faire partie du monde du sumo professionnel, presque huit cents places derrière ce qu'il a vu à la télévision à Hawaï et ce qu'il espère atteindre.
C'est un peu comme au basket-ball, avec la NBA au sommet, puis les équipes universitaires, les lycéens, tout cela jusqu'au collège. A ceci près que quelque soit la dureté de l'entraînement de coach Wolfs, quand l'entraînement est fini il n'a pas à porter les sacs de Michael Jordan ou à récurer les toilettes d'une star universitaire. Quand l'entraînement est fini, tout le monde rentre simplement chez soi. Mange ce qu'il aime, fait ce qu'il aime, sort avec ses amis. Et quand la saison est finie, c'est fini. Ici, il n'y a pas de saison – cela ne finit jamais. A part pour les promotions plus complexes en juryo, comme ozeki ou yokozuna, un score positif vous fait grimper – soit au sein de la division ou dans la division supérieure – et un score négatif vous fait redescendre. Après s'être qualifié en maezumo, il lui faudra remporter quatre des sept combats à chaque tournoi successif. Si jamais il parvient à devenir sekitori, il commencera à combattre tous les jours et devra remporter au moins huit de ses quinze combats. Jusque la, il lui faudra se lever plus tôt, manger en dernier, se baigner en dernier et recevoir des ordres d'à peu près tout le monde, y compris de gamins de quinze ans. Il sait déjà que le sumo est rempli de symboles, des chignons que les rikishi portent jusqu'au petits sanctuaires shintô dans chaque sumo-beya. Il verra plus tard le gunbai des arbitres, le tsuriyane surplombant le dohyo. Mais le symbole qui importe le plus au rikishi est le banzuke.
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