Je ne résiste pas pas au plaisir de vous livrer ce passage de la biographie "Gaijin Yokozuna : a biography of Chad Rowan", qui traite d'un aspect culturel japonais bien spécifique, le concept du "gaman". Je n'ai d'ailleurs pu m'empêcher à la lecture de faire un parallèle avec la situation actuelle de Kotooshu, qui à mon sens est très (trop ?) 'gaman' dans sa façon actuelle d'aborder le sumo et de faire avec ses blessures. Enjoy !


Les plus admirables performances sur le dohyo sont effectuées par ceux qui font face aux blessures, à l’âge, à un gabarit apparemment désavantageux, ou à un ensemble de ces paramètres – une valeur culturelle résumée par le terme ‘gaman’, qui permit à Kuhaulua d’être accepté par les Japonais d’une manière beaucoup plus personnelle.

Pour comprendre pleinement ce qui pousse un rikishi à venir sur le dohyo jour après jour, parfois en boitant, parfois complètement strappé, il faut comprendre le concept japonais de gaman. C’est une valeur culturelle très spécifique qui pousse les gens à aller de l’avant dans leur vie quotidienne malgré les maladies, dépressions, blessures ou toute autre sorte de problèmes. Là où un Américain prendrait un jour de maladie au bureau pour soigner sa grippe et éviter de contaminer tous ses collègues, le salarié toussant et reniflant est ici considéré comme quelqu’un qui ne laisse pas la maladie et l’inconfort le détourner de ses responsabilités. Je connais une infirmière qui transportait sa propre intraveineuse dans les couloirs de l’hôpital pour pouvoir remplir sa tâche sans tomber d’épuisement ou de déshydratation. J’en connais une autre qui, s’étant fait porter pâle avec plus de 40° de fièvre, se vit ordonner de venir travailler, et remettre un suppositoire à utiliser de suite. Elle fut hospitalisée peu après et grondée d’être tombée malade.

George Kalima et moi avons discuté longuement du concept de gaman juste avant sa retraite en 1988, en hochant la tête avec incrédulité en général. « Tout le monde combat pour le même objectif » dit-il « les gars n’ignorent pas vraiment leurs blessures mais, tu vois, ils les bandent, et ils y vont, ‘parce qu’ils veulent s’entraîner plus’. Pour faire simple : dans la culture japonaise, leur manière de penser est que plus tu travailles dur, plus tu as de chances de t’élever. Donc, mettons que je m’entraînais dix heures par jour, ils disaient ‘oh, il va y arriver’. Mais si un autre s’entraîne trois heures par jour, ils disent ‘il ne fera jamais rien’. Donc tout le monde est persuadé qu’il doit se donner un maximum. Mais si tu me poses sérieusement la question, je te répondrai que c’est faux. Tu ne donnes aucune chance à ton corps de se reposer. Tu ne donnes aucune chance à tes blessures de guérir. C’est typique de ce que nous faisons dans le sumo ». Avant chaque entraînement, ou lors de chaque journée de tournoi, les vestiaires résonnent du bruit des straps déroulés.

En sumo, le gaman s’étend aux règles : les absences au combat sont traitées comme des défaites, ce qui conduit à la rétrogradation. En mai 1999, j’ai regardé Ganyu boitiller pour arriver sur le dohyo à la recherche de sa huitième victoire, grimaçant de douleur rien qu’en effectuant ses rituels pré-combat, ses jambes complètement recouvertes de bandages. Une blessure d’avant tournoi aux ligaments de sa cheville s’était aggravée au point qu’il aurait du se trouver sur un lit d’hôpital. Il paraissait stupide qu’il soit en train de marcher, se préparant plus ou moins à se présenter à un combat de sumo au cours duquel il avait des chances d’aggraver encore sa blessure ; Mais étant donné qu’un score négatif l’aurait envoyé en dehors de la division reine, il faisait tout ce qu’il pouvait pour être gaman dans la douleur. Classé comme il l’était au bas de la division reine du sumo, Ganyu n’était pas si connu, même parmi ceux qui fréquentaient le Kokugikan, et son combat était quelque peu insignifiant, n’ayant aucune conséquence sur la lutte pour le tournoi. Et pourtant personne ne se fit autant acclamer que lui ce jour là, à la fois au moment où il monta sur le dohyo et au moment où il perdit. Les gens adorèrent ça.