J'ai eu la plaisir de rencontrer voici quelques semaines Chad Rowan, c'est à dire l'ex Akebono Yokozuna.<br>
Il s'entraînait dernièrement à Ebisu, au coeur de Tôkyô, avec des membres du Ichigeki Team. Ce groupe est composé essentiellement de kickboxers professionnels préparant diverses compétitions sur le sol japonais, le K1 notamment. On y trouve aussi des tenants du grappling (lutte et dérivés) qui utilisent la salle équipée d'un ring dans le magnifique complexe Ichigeki plaza.
Chad Rowan reconverti dans le catch ("prowrestling"), n'est pas un habitué des lieux mais était là afin de se préparer sur le plan physique pour de nouvelles rencontres en prévision.
L'accès de la salle est réservé et les curieux s'agglutinent devant les baies vitrées.
En tant que membre du Kyokushinkaikan (propriétaire des lieux) et connaissant par ailleurs l'équipe du centre, j'ai à nouveau été admis à l'intérieur ce qui m'a permis de m'installer pour suivre l'entraînement de l'ancien yokozuna et le questionner durant une période de repos.
Selon Babu, responsable du fitness, au Ichigeki Center, son élève du jour était là afin de perdre du poids (!), gagner en résistance et endurance.
Après un travail de poings de cinq minutes non stop au sac lourd, Chad Rowan, baigné de sueur et soufflant comme une locomotive à vapeur, bénéficiait d'une période de repos avant de poursuivre son programme. Nous avons alors été présentés l'un à l'autre et l'ancien yokozuna accepte immédiatement de répondre aux questions pour info-sumo.net.
Tout d'abord, c'est une grande douceur et une gentillesse naturelle qui émanent de Chad Rowan. Son ton est doux, poli et réservé.
Une fois le souffle retrouvé et un litre d'eau (!) englouti, le sourire ne quittera plus le visage de notre interlocuteur.
- C.R.: "Tu veux m'interviewer pour un site consacré au sumô...? En France...?" (rires)
- s.: "Absolument! En fait le site compte de nombreux membres étrangers mais il est basé en France et rédigé en français."
- C.R.: "OK, pas de problème. De toute façon, je ne reprends que dans 10 minutes."
- s.: "Question habituelle j'imagine mais, le sumô te manque ou pas?"
- C.R.: "Certaines choses oui mais je devais changer de carrière. En tout cas, ce qui ne me manque pas ce sont les exercices qui pèsent sur les genoux; je n'en pouvais plus!" (rires en se massant les genoux)
- s.: "Tu suis toujours l'actualité du sumô?"
- C.R.: "Plus ou moins car j'ai d'autres occupations mais on ne peut pas quitter totalement, bien entendu. Je regarde les tournois à la télévision si possible mais pas de façon systématique. Je regarde aussi la NBA et la NFL. Le K1 également."
- s.: "Et que penses-tu des problèmes actuels avec les Russes?"
- C.R.: "Si vraiment ils ont fumé, ils sont stupides ces gars là...C'est vraiment mauvais pour le sumô.
C'est une autre génération mais ils n'ont pas compris comment ça marche au Japon."
- s.: "C'est à dire?"
- C.R.: "...Mmmmh...Quand je suis arrivé au Japon c'était difficile pour moi. Problème de langue, de vie quotidienne comme avec la nourriture et dureté de l'entraînement. J'étais étranger et j'en ai bavé. On ne me faisait pas de cadeau, comme pour les autres Américains, mais je me suis accroché. J'ai fait comme les Japonais, j'ai été bien conseillé et j'y suis arrivé. Merci Jesse (Takamiyama)!
Ces Russes, ils s'imaginent pouvoir faire ce qu'ils veulent ici. Sans respect pour le pays et les Japonais.
Ca ne peut pas marcher. Il faut s'investir à fond sinon on n'y arrive pas."
- s.: "Selon toi, que doivent-ils faire?"
- C.R.: "...Je n'ai pas à les juger mais tout le monde ici sait qu'ils mentent.
Rien à voir avec la vie spartiate que j'ai connu. Et attention; je ne parle pas comme un ancien combattant! Dans la plupart des heya ça reste très sévère. Avec le recul je me dis que ce devait être comme ça et pas autrement.
C'est de leur faute et celle de leurs tuteurs. Ils se sont crus dans un film où on peut faire ce qu'on veut.
Avec un peu d'argent ils vont acheter de la drogue.
C'est dur pour eux mais ils n'ont rien à faire dans une heya. Ils doivent arrêter de penser qu'on est tous bêtes et rentrer chez eux. Dommage mais ils sont responsables.
Tu sais, il y a des gars du (Ichigeki)Team qui les ont vu traîner en boîte avec des petites frappes alors tant pis pour eux.
Je suis triste pour le sumô et il ne faut pas garder des gens comme ça. Je ne suis pas de nature sévère mais ils ont exagéré et c'est l'ensemble du sumô qui paye pour eux."
- s.: "Si tu pouvais changer quelque chose au sumô, ce serait quoi...?"
- C.R.: "Bonne question...(rires)...Pas grand chose mais un retour aux bases. Travail, sérieux et encore travail. Il faut garder l'esprit et même les étrangers peuvent comprendre ça."
- s.: "Tu gardes des contacts avec ta heya et certaines personnes?"
- C.R.: "Bien sur. Même quand tu quittes le sumô tu ne romps pas les liens comme ça. Je croise souvent des lutteurs; c'est très sympa! Sur les plateaux de télévision ou lors de tournages. Tout le monde est gentil avec moi; ils ne m'ont pas oublié."
- s.: "Tu aurais pu devenir Oyakata, non...?"
- C.R.: "Peut être mais ce n'était pas facile à ce moment. L'argent et d'autres problèmes..."
- s.: "Penses-tu avoir été bien traité par la NSK et le sumô en général?"
- C.R.: "C'est amusant que tu poses la question. J'y ai souvent eu droit depuis ma retraite. J'ai l'impression que beaucoup de gens n'ont pas bien saisi ce que j'ai écrit et dit.
C'était dur mais je ne regrette rien. Je suis reconnaissant pour l'ensemble de ma carrière et je ne suis pas aigri comme certains le croient. J'étais étranger et je suis arrivé au sommet donc on m'a laissé ma chance et le travail a fait le reste. Il semble que certains imaginent les étrangers mal traités mais c'est faux; les Japonais subissent le même traitement dans les heya. Si on ne connaît pas le sumô on se fait des idées fausses. J'étais traité comme les autres, ni plus ni moins.
Si tu prends Konishiki c'est pareil. J'ai lu des articles débiles parlant de racisme anti américain. C'est n'importe quoi. Il est arrivé là où il devait arriver. Si on l'avait vraiment mal traité il ne serait pas resté dans ce pays. Autant lui que moi et les autres nous aurions pu faire autre chose dans notre pays. On n'est pas venus ici forcés mais pour réussir.
Tout le reste ce sont des salades pour les étrangers qui ne connaissent pas le Japon et se font des idées.
Ce n'était pas facile mais j'étais motivé et gros travailleur."
- s.: "Tu sais que les critiques ont été nombreuses quand tu es passé au K1 puis au catch..."
C.R.: "...Bon...Oui...Mais il fallait faire autre chose après le sumô et combattre était un bon challenge pour moi.
J'ai travaillé dur mais mon corps n'est pas vraiment fait pour ça. Tu vois comme j'en bave ici! (rires et énorme tape sur l'épaule de Babu qui fait mine de s'écrouler). Je suis un esclave! J'en peux plus!"
- s.: "Tu ne crains pas de ternir ton image de yokozuna?"
- C.R.: "Et pourquoi...?"
- s.: "Les fans voudraient garder l'image du temps de ton sommet dans le sumô. Alors la catch...Moi même j'ai été prompt à la critique au début..."
C.R.: "Quoi? (il fait mine de m'étrangler tout en s'esclaffant)...Tu vas monter sur le ring avec moi!"
- s.: "Non! Pitié!"
- C.R.: "Bon, plus sérieusement, il ne faut pas confondre les deux carrières. Il faut être réaliste et comprendre que j'ai besoin de gagner ma vie. La catch paye correctement et c'est moins dangereux que des vrais combats.
Si quelqu'un à autre chose à me proposer...(rires)"
- s.: "Tu imagines poursuivre ta vie au Japon?"<br>
- C.R.: "Pour le moment oui. J'ai des contrats en cours et je me sens bien ici. Je vais souvent à Hawaii et ailleurs aux Etats Unis donc c'est bien pour la famille et les amis. Et, tu sais, ça fait vraiment longtemps que je vis ici. Je me sens bien, les Japonais me témoignent beaucoup de sympathie et je reste populaire. Pas autant que Konishiki; ha celui-là! (rires)"
- s.: "Vous vous retrouvez entre Hawaiiens?"
- C.R.: "De temps en temps mais pas que des gens du sumô. Des gars que tu connais ici et d'autres qui vivent depuis longtemps au Japon."
- s.: "Quels sont tes projets à court et moyen terme?"
- C.R.: "Encore du catch et divers contrats pour des publicités au Japon. Sinon des plateaux TV."
- s.: "Merci beaucoup. Je te laisse reprendre l'entraînement; désolé de t'avoir retardé. Prends soin de toi."
- C.R.: "Toi aussi. Avec plaisir."
L'ex yokozuna, déjà ganté, monte sur le ring après qu'un des entraîneurs lui ait enfilé un casque (très grand modèle...).
Juste avant d'entamer le travail foncier, il se retourne et lance un "Au revoir" sonore avec un succédané d'accent français exagéré qui occasionne un éclat de rire général dans la salle.
Nous souhaitons remercier l'équipe du Ichigeki Center pour leur accueil toujours aussi sympathique ainsi que Chad Rowan pour sa simplicité et sa bienveillance à notre égard.
Nous restons seul responsable de la traduction et de l'interprétation de cet entretien conduit en anglais.