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Sujet : Interview de Takanohana oyakata

  1. #1
    Modérateur Avatar de toonoryu
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    Interview de Takanohana oyakata

    Je vous livre ci-après un texte et une interview traduite du japonais par madorosumaru et que j'ai moi-même traduite de l'anglais. Elle révèle de très intéressants aspects de la personnalité du dai-yokozuna. Enjoy, as always !


    Masaru et Koji Hanada sont frères, mais pas à proprement parler des frères à la Corse, à la vie à la mort. Au contraire, ils sont le jour et la nuit sur à peu près tous les sujets qui puissent exister. Fils d'un ozeki immensément populaire, et neveux d'un légendaire yokozuna, ils ont été traités comme des princes de sang du sumo depuis l'instant où ils ont poussé leur premier cri. Ils ont rejoint ensemble la heya de leur père et créé un boom sans précédent, la si fameuse ère Taka-Waka.

    La famille Hanada était une royauté du sumo. Les fans les idolâtraient et les médias ne leur laissaient pas un instant de répit. Les implications sociologiques peuvent faire l'objet d'une tout autre discussion, mais on peut largement dire que leurs succès, qui coïncidaient avec l'envolée de la Bulle économique, créèrent une atmosphère de légende de «*Table Ronde*» sur Ryogoku.

    Mais comme la véritable Table Ronde, cette mystique avait aussi ses côtés sombres, emplie de scandales, de divorces et de tragédies. Les deux frères ne s'adressent que rarement la parole aujourd'hui. L'un d'entre eux est aussi plus ou moins renié par sa mère. Le frère aîné a écrit un livre, dans lequel il s'attribue le beau rôle – son frère était naïf, confus et dérouté par un machiavélique Raspoutine. Le cadet se voyait lui-même plus comme un idéaliste – un croyant orthodoxe des valeurs du sumodo – et en tant que tel fut déçu et rendu amer par les réalités de ce monde – sur et en dehors du dohyo. Il a écrit un livre cinglant, lavant le linge sale de la famille et sortant les cadavres du placard. L'ouvrage s'est avéré trop brûlant pour les autorités qui ont pu surseoir à sa publication. Toute la matière est devenu du grain à moudre pour les tabloïds.

    Voici une récente interview du plus jeune des deux frères, Takanohana, dai-yokozuna de l'ère Heisei. Il revient sur quelques-uns des faits majeurs de sa carrière.



    Journaliste : Quand vous avez rejoint le sumo, votre père est devenu votre shisho.
    Takanohana : Mon père a dit «*Nous allons devenir maître et disciple, mais je resterai ton père toute ta vie*». quand il m'a dit cela, les larmes me sont montées aux yeux.

    J : Étiez-vous jaloux quand vous aperceviez les autres garçons de votre génération qui s'amusaient ?
    T : Je n'y ai jamais pensé. Vous pouvez penser de moi que je suis d'une grande arrogance, mais je ressentais en fait une grande fierté à l'idée de dédier ma jeunesse, ma vie, au dohyo.

    J : Ressentiez-vous beaucoup de pression ?
    T : Non. Pas vraiment. Mais je me sentais un peu différent. Où que j'aille, je ne pouvais jamais être seul. Je sentais que si l'on me portais trop d'attention, cela aurait des conséquences sur la vie communautaire avec les autres deshi.

    J : Était-ce parce que vous étiez considéré comme une graine d'élite ?
    T : Ceux qui m'entouraient pensaient peut-être ainsi, mais je sentais que si je ne travaillais pas vraiment dur, je n'aurais pas été capable de gravir les échelons de la hiérarchie. C'est quelque chose que je dis de temps en temps à mes deshi, mais je n'ai pas même à un seul instant senti que je parviendrais en juryo. J'avais même coutume de penser que si je n'y parvenais pas en un certain nombre d'années, je m'en irais.

    J : Qu'est-ce qui vous a fait continuer ?
    T : Mon père. Je voulais devenir yokozuna pour accomplir le rêve de mon père, qui a fini sa carrière comme ozeki. C'est tout. Aussi simple que cela.

    J : Vous vous êtes dès le tout début engagé dans la voie du succès.
    T : Même quand je gagnais, je n'avais aucun sentiment de satisfaction. Peut-être quelqu'un possédant mes traits de personnalité est-il incapable de se satisfaire d'un quelconque accomplissement dans la vie, quel qu'il soit.

    J : Quand vous avez battu le yokozuna Chiyonofuji au shonichi du Hatsu basho 1991, beaucoup y ont vu un changement d'époque.
    T : Tout ce que je ressentais alors que je descendais la hanamichi après le combat, c'était «*J'ai battu un yokozuna*». C'est encore ce que je ressens aujourd'hui. C'est seulement à mon retour dans la heya que mon shisho, qui à l'accoutumée ne faisait que me gronder ou me reprocher ce que j'avais pu faire de mal, m'a dit : «*Tu as fait quelque chose de bien aujourd'hui. Tu t'es montré un homme à la hauteur de la tâche à accomplir sans gamberger sur la victoire ou la défaite*». Il ne m'avait jamais dit une telle chose avant, et ce fut la dernière fois. J'ai été plus surpris de cette remarque que de la victoire sur le yokozuna.

    J : Quand vous avez remporté votre premier yusho au Hatsu basho 1992, vous avez reçu le trophée de la victoire des mains de votre oncle, Futagoyama Rijicho, qui devait prendre sa retraite après le basho.
    T : Quand j'ai reçu le trophée, j'ai été surpris de constater que le rijicho avait des larmes dans les yeux. . Je m'inquiétais plus de ce que pouvaient penser les gens autour de moi. On me disait que le sumo est une bataille d'hommes à hommes. Qu'il me fallait me concentrer uniquement sur cela et ne pas m'inquiéter d'autres choses. Mais après cette expérience, j'ai eu la sensation que c'était surtout l'endroit où j'étais chez moi – où j'allais passer ma vie.

    J : Le public voyait les Hanada comme une famille idéale avec un père strict mais juste, une mère gentille et attentionnée, et un frère aîné qui le soutient.
    T : Je ressentais un fossé profond entre cela et la réalité. Tout particulièrement du fait que j'étais jeune. Je ne pouvais penser à autre chose qu'arpenter l'étroit chemin du sumodo. Je me demandais souvent s'il était opportun de maintenir cette illusion. Je savais qu'il me fallait jouer mon rôle dans cette représentation de la famille idéale. Mais étant la personne que je suis, cela m'était tout simplement impossible. Après que je me sois retiré et aie fondé ma propre famille, j'ai pu découvrir ce qu'était une famille véritablement idéale. Quand je rentrais à la maison, ma famille était là. Je sentais que cela devait être le type de famille idéale dont j'avais rêvé étant enfant.

    J : A quoi ressemblait votre relation avec votre frère (l'ancien yokozuna Wakanohana III) ?
    T : Au départ, je l'honorais et le respectais pour faire plaisir à mon père. Après tout, il était mon frère aîné.

    J : On raconte qu'il a pris la décision de rejoindre l'ozumo pour protéger son frère cadet.
    T : Pour protéger quelqu'un ? Je ne crois pas que quiconque puisse se permettre le luxe d'une telle action. On met sa vie en danger en rejoignant le sumo. Cela dit, nous avons eu une sorte de rivalité coopérative qui nous a permis de stimuler l'émulation entre nous et qui a eu un bon effet sur la heya.

    J : On a parlé de querelle entre vous.
    T : Je savais que les choses ne feraient que s'envenimer si j'en parlais, mais je l'ai quand même fait. Est-il plus important d'accomplir quelque chose sur le dohyo ou la popularité auprès du public doit-elle être l'aspect primordial ? Telle était la question qui se posait. C'est une question d'état d'esprit. On est seul quand on arpente le dohyo.

    J : Dans de telles circonstances, il a dû être difficile de conserver l'unité de la heya ?
    T : Je sentais que la meilleure chose qui puise arriver à la heya était de prospérer comme «*Takanohana*». Mais nous vivons dans une société humaine. Chaque individu peut penser ce qu'il veut.

    J : Votre promotion vous fut refusée après l'Aki 1994. Quels furent vos sentiments à cette époque ?
    T : Les journaux avaient même sorti des éditions exceptionnelles [comme celles qui annoncèrent à tort la victoire de Dewey lors des présidentielles américaines de 1948, face à Truman]. (Rires) Eh bien, je pensais que je pouvais simplement gagner à nouveau (pour être promu). Mais il y avait quand même une amère sensation de «*pourquoi ?*». J'ai entendu que la Kyokai avait été unanime [en faveur de la promotion]. Même M. Watanabe du CDY était d'accord.

    J : Comment avez-vous pu passer outre cette déception ?
    T : En fait, cette nuit-là, je suis parti tout seul boire dans le quartier de Ginza. Je ne sais pas trop pourquoi, mais l'alcool avait un goût délicieux ce soir-là. Je me suis vraiment bien amusé. Avec le recul, cette non-promotion fut peut-être un mal pour un bien.

    J : Pourquoi pensez-vous cela ?
    T : Parce qu'elle a mené au résultat du basho suivant (zensho-yusho). Immédiatement après cette non-promotion, mon idylle a commencé avec celle qui allait devenir mon épouse. La vie est pleine de rebondissement. Les choses finissent par se compenser naturellement avec le temps.

    J : Puis vous avez été promu.
    T : J'avais réalisé le rêve de mon père, mais je n'avais aucune sensation d'accomplissement. Je sentais que la vraie bataille ne faisait que commencer.

    J : Qu'est-ce que cela veut dire d'être yokozuna ?
    T : C'est le processus qui fait de vous un yokozuna qui est ce qui importe le plus. Le devient-on alors qu'on a un genou à terre ou alors qu'on se tient droit et le torse bombé ? Cela se ressent sur tout ce qui se passe par la suite. On discute souvent sur le fait qu'un yokozuna doit être fort. Ce ne sont que des conneries. Être fort est une évidence, un fait, un prérequis. Celui qui n'est pas fort physiquement comme mentalement ne peut pas devenir yokozuna, dès le départ. Discuter de savoir si un yokozuna est fort ou pas me semble totalement ridicule.

    J : Vous avez battu un grand nombre de records de précocité et causé un essor sans précédent du sumo.
    T : Cela ne me touchait pas le moins du monde. Tout ce que je ressentais était «*Hmmm. On dirait qu'il y a encore plus de gens autour*». Quand d'autres sujets capturaient l'imagination du public et que les gens restaient à l'écart, c'est là que je commençais à m'inquiéter.

    J : Qu'est-ce que cela fait d'être poursuivi par les médias en permanence ?
    T : Les alentours de cette heya ont toujours été connus pour être un quartier de bons restaurants, qui attiraient beaucoup de monde. Je pensais que les gens venaient là [à la heya] pour cette raison. En fait, j'ai appris que le terrain sur lequel a été bâtie la heya a été acheté à un ancien établissement de restauration. Chose intéressante, je crois que ce restaurant s'appelait «*Akebono*». (rires)

    J : Quel retour faites vous sur vos 22 yusho ?
    T : Mes sentiments n'ont jamais changé depuis l'époque où j'ai gagné le yusho du Wanpaku Sumo quand j'étais au cours préparatoire jusqu'à mon dernier yusho quand le Premier Ministre Koizumi m'a dit «*J'ai été ému aux larmes !*». J'ai entendu Ichiro [Suzuki des Mariners] dire quelque chose de semblable à la télévision. «*La joie que je ressens avec un coup gagnant aujourd'hui est identique à celle que je pouvais éprouver quand je jouais en Ligue Junior*». Il n'y a que très peu d'athlètes qui connaissent ce genre de sensations tout au long de leurs carrières. Je me considère comme particulièrement chanceux de pouvoir parler ainsi.

    J : Il n'y a pour ainsi dire quasiment aucune photo de vous avec une Coupe de l'Empereur où l'on vous voit sourire.
    T : J'ai un visage de marbre. Je crois que j'aurais été assez bon au poker (rires). Pour dire la vérité, après quinze journées de basho, j'étais totalement éreinté. La vérité vraie, c'est que j'avais à peine la force de soulever le tai. Ma main tremblait quand je soulevais le poisson.

    J : Si vous pouviez renaître, souhaiteriez vous être à nouveau Takanohana ?
    T : Hmmm. Oui, mais je me demande si je vivrais à nouveau la vie d'un shisho. Que ce soit le sumo ou tout autre chose, à partir du moment où je m'y engagerais, je voudrais juste me consacrer totalement à ma quête.

  2. #2
    Senior Member Avatar de asakusa
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    Il est dur et froid comme une lame de katana. Impressionnant.

  3. #3
    Senior Member Avatar de Miyabiyama
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    Quel passionnant interview! Merci beaucoup toonoryu!

  4. #4
    Senior Member Avatar de liclic
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    Typique de l'image qu'on se fait de l'homme...
    Ceci est un secret.....


  5. #5
    Bonjour,
    Merci pour tous vos messages attendus puis lus avec beaucoup de joie.
    Ayant suivi le parcours de Takanohana...à la télévision..ses dires me permettent de mieux le comprendre et d'apprécier encore plus le formidable compétiteur qu'il a été et l'exemple dont devrait s'inspirer beaucoup (dans le sport mais aussi ailleurs).
    Cordialement.
    Michel Dautun.

  6. #6
    Formidable interview. Elle a l'accent de vérité. J'ai beaucoup apprécié et les questions et les réponses qui changent de l'interview standard (surtout de la part des occidentaux). On se focalise plus sur les sentiments, le vécu et c'est tout simplement scotchant (en particulier le passage sur la force du yokozuna).

    Au risque de me répéter, tu as atteint un niveau de traduction extraordinaire, Toonoryu. Impossible de savoir qu'il s'agit d'une traduction, justement. Du sacrément beau boulot.
    Père Boulon

    Il n'y a de richesse que d'Hommes.

  7. #7
    Modérateur Avatar de toonoryu
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    Citation Envoyé par pereboulon
    Impossible de savoir qu'il s'agit d'une traduction, justement. Du sacrément beau boulot.


    C'est le but, précisément. J'avais surtout peur de typos, vu que je l'ai faite à l'arrache entre midi et deux... Je pense pas que mon niveau général de traduction ait fondamentalement changé, mais l'expérience du domaine du sumo fait que je suis plus à l'aise, en qualité comme en vitesse. En tout cas, le compliment me va droit au coeur.

  8. #8
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    arigatou

    Très intéressant dans le fond, merci. Bravo pour la traduction.

  9. #9
    Senior Member Avatar de Konosato
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    C’est vrai, on ne le rappellera jamais assez, les traducs du Toon c’est du caviar. En plus des connaissances de la langue à traduire, il faut posséder une belle érudition sur le sujet, mais aussi avoir un bon style d’écriture, et tout cela il le détient. Je sais de quoi je parle, car je suis bilingue allemand-français et il m’arrive de faire moi aussi des traductions pour mon travail.
    J'ai décidé d'être heureux, car c'est meilleur pour la santé.
    Voltaire.

  10. #10
    Senior Member Avatar de dohko57
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    oula la classe ! thx
    "La joie de l'âme est dans l'action" (Maréchal Lyautey)

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