En furetant sur SF, je suis tombé sur une interview assez intéressante de Kotozakura et Kotonowaka, ancien et actuel Sadogatake oyakata (beau-père et gendre également), datée de janvier 2006. Je vous en livre la première partie, traduite à la volée (à partir d'une traduction du japonais, donc forcément, il y a de la perte en ligne...). Enjoy !
I (Interviewer) : Nous commencerons avec le shisho. Comment dois-je vous appeler ? Que pensez-vous de, conformément à la coutume dans le sumo, quelque chose comme « OoSado » (Grand Sado) ?
A (Ancien oyakata) : Hmmm. Ça paraît pas mal.
N (Nouvel Oyakata) : Les petits-enfants l'apèllent OoPapa (Grand-Papa).
I : OK, « OoSado-san », on va prendre ça. Cela fait un moment que vous avez pris votre retraite. Avez-vous ressenti un changement significatif ?
A : Eh bien, j'ai commencé un peu à flemmarder.
I : OoSado-san, votre premier deshi, Kotokaze (actuel Oguruma oyakata) est devenu ozeki, et maintenant au moment où vous partez, il y a l'avènement d'un nouvel ozeki.
A : Oui, j'ai eu la chance d'avoir de bons deshi. En fait, je le sentais [que Kotooshu deviendrait ozeki], mais jamais je n'aurais imaginé qu'il y parvienne en trois ans. Au fait, il a fait combien de combats en keiko aujourd'hui ?
N : Il avait une séance photos pour un poster donc il n'en a fait que dix. Mais je vais lui faire faire le double demain.
I : Vous discutez tout le temps de sujets de ce type ?
A : Tous les jours.
I : Il doit y avoir une foule de choses à apprendre de votre shisho dans ces moments ?
N : J'imagine que oui.
A : Je suis du style à dire ce que je pense. Mais si je mets trop mon nez dans ses affaires, je risque de saper quelque peu l'autorité du nouvel oyakata, donc j'essaie de simplement regarder de loin. Ils ont tous vu ses efforts et sa capacité à s'accrocher, dans le passé, et donc il l'écoutent.
I : Shin-oyakata, quelle impression cela fait-il de s'asseoir aux commandes à la keikoba ?
N : Le shisho m'avait demandé depuis un an de s'asseoir à ses côtés, donc cela n'a pas réclamé plus d'adaptation que cela.
I : Quand on mentionne la Sadogatake-beya, on parle toujours d'une tradition d'entraînement des rikishi par des keiko rigoureux. Quelle en est l'origine ?
A : Cela vient essentiellement des keiko de Kotogahama-zeki. J'en ai moi aussi été « victime ». je crois que c'était à Nagoya, si je me souviens bien... A trois ou quatre mètres du dohyo en extérieur se trouvait un amas de poutres d'une maison en démolition. Je m'étais fait projeter jusque là. Quand je m'étais relevé, j'avais un clou de dix centimètres planté dans la fesse ut de bois dessus. J'ai eu également l'occasion de faire pas mal de keiko avec Futagoyama oyakata.
I : Vous voulez parler de Wakanohana I ?
A : Il avait l'habitude de pas mal me « dorloter », il m'appelait « Sakura, Sakura ». il était de petite taille, mais quand ses pieds étaient plantés dans le dohyo on ne pouvait pas le faire bouger d'un centimètre.
I : Le fait que Kotozakura ait été « dorloté » par le « Démon du Dohyo », Wakanohana, montre bien qu'on prend toujours soin de ceux qui sont prêts à faire du keiko.
A : C'est tellement vrai. Quand j'ai remporté mon premier yusho, il m'a appelé du fond de la hanamichi, en me disant « félicitations, Sakura ! ». Ca m'a rendu si heureux. Je l'entend encore aujourd'hui.
I : Et puis il y a eu Taiho et Kashiwado.
A : Quand Kashiwado-san est décédé, sa veuve m'a appelé et m'a dit « il disait souvent que celui qu'il craignait le plus, c'était Sakura ». Mais il ajoutait aussi, parlant du tournoi de sumo pour enfants qu'il patronnait sur Kyushu « Sakura en prendra soin [quand je serai mort], alors demande lui ».
A ce jour, le tournoi se poursuit.
I : J'imagine qu'il y a des choses à dire sur la confiance mutuelle qui peut s'établir entre des hommes qui se sont chargés tête contre tête pendant des keiko. En tout état de cause, OoSado-san, vous avez produit 22 sekitori. Ils ne sont pas nombreux à avoir réalisé cela.
A : La Dewanoumi beya dans les temps anciens dominait la moitié du banzuke, mais il leur a fallu des générations pour y parvenir.
I : Vous l'avez fait en une génération.
A : Eh bien, je me suis impliqué corps et âme.
I : J'imagine que le succès de Kotokaze a permis d'acquérir de la confiance.
A : Ce gars-là a aussi été « chouchouté » par ses ani-deshi tous les jours. Ils lui criaient « Tire toi les doigts, tu peux le faire ! ». C'était un garçon si intelligent et obéissant. Je me souviens qu'une fois, on l'avait emmené à la mer et on l'avait balancé dans l'eau, bien qu'il ne sache pas nager. Vous savez, encore maintenant, quand je le vois, j'ai des larmes qui me viennent. J'adorais vraiment ce garçon.
I : Vous avez commencé avec Kotokaze, et après dix années, Kotonowaka a rejoint votre heya.
A : J'avais entendu qu'il y avait un garçon qui valait le coup donc j'ai fait tout le chemin jusqu'à Yamagata pour aller le voir.
I : J'ai cru comprendre qu'il a fait tout ce qu'il pouvait pour vous éviter.
N : Oui. Quand je voyais une grande paire de chaussures à l'entrée de la maison, je rentrais en cachette par l'arrière avant d'aller me cacher sous le lit, ou j'allais me réfugier chez un ami. Quand j'étais en primaire, ils montrait l'intai du récemment décédé Futagoyama-san à la télévision. Il y avait des scènes de « chouchoutage » et des gars qui se faisaient frapper avec un bâton de bambou et se faisaient traîner dans tous les coins de la pièce. Je me disais « Le sumo, c'est pas fait pour moi. Jamais de la vie ».
I : Mais votre shisho avait de grandes attentes à votre égard.
A : Oui. Dès le début, je me suis dit « ce gamin sera yokozuna ».
I : Vous pensiez qu'il avait la carrure d'un yokozuna.
A : On était dans le bain ensemble. Ses épaules étaient très larges et il avait le type de corps qui pouvait encore beaucoup se développer. Je me suis dit « Il sera quelque chose de spécial ».
N : Je lui ai demandé d'attendre trois ans que je puisse aller au moins au lycée, mais peine perdue. Il m'a dit « Tu peux vraiment devenir fort dans ces trois années ». Puis les gens du voisinage ont eu vent de ce que Kotozakura était en ville et ont pensé que tout était déjà arrangé. Ils organisèrent même une « fête d'adieux ». Personne ne prit la peine de me demander mon avis. Je me suis dit « je suis coincé, je ne peux vraiment pas m'en tirer ». Je me sentais comme kidnappé.
A : Kidnappé ? Petit polisson ! (rires). Eh bien, j'imagine qu'on a eu de la chance.
N : J'ai été vraiment surpris quand j'ai appris plus tard qu'avant que je ne rejoigne le sumo, l'oyakata avait dit à mes parents au moment où il repartait sur Tokyo « j'espère qu'il deviendra vraiment solide et qu'il pourra être mon gendre à l'avenir ».
I : Vraiment ? Comment pouvait-on s'en douter alors ?
N : Oui, je me demandais alors de quoi il parlait.
I : Quand il est venu dans le sumo, votre fille avait...
A : Oui, j'avais une fille.
N : J'ai quatre ans de plus qu'elle donc elle devait être en sixième.
A : Je pensais qu'il deviendrait puissant tout de suite mais il avait une nature gentille. En fait [il avait tellement d'appréhensions que] sa tension artérielle était trop élevée durant les tests physiques des shin-deshi et que tout dût être retardé d'un basho.
N : Je pensais que c'était ma chance.
A : Tu pensais que c'était ta chance. J'y crois pas ! (rires)
N : Je me suis dit « parfait » et j'ai demandé la permission de rentrer à Yamagata. Il m'a dit que si je réussissais les tests physiques et que je remportais trois combats d'affilée en maezumo. Pour le maezumo, l'okamisan ma conseilla des tranquilisants (rires). J'e suis parvenu à réussir les tests puis j'ai remporté trois combats consécutifs de maezumo et donc j'ai été autorisé à rentrer chez moi.
I : Vous envisagiez alors de rester là et de ne pas rentrer ?
N : C'est ce que je pensais faire mais les gens chez moi avaient fait tout un fromage pour mon retour.
I : Vous auriez très bien pu ne pas revenir.
N : Dans le train qui me ramenait sur Tokyo, je me suis dit « Tu n'as pas d'autre choix que d'aller dans le sumo ». J'ai alors commencé à pleurer, les larmes ne s'arrêtaient plus.
A : Bon, c'était comme ça, mais ensuite il a mis tant de coeur à l'ouvrage.
I : Oui. Il a duré en activité jusqu'à ses 37 ans.
N : C'est parce que je suivais à la lettre les enseignements de mon shisho. « Si tu te blesses, c'est parce que tu es faible à cet endroit. Tu dois réparer ça avec plus de keiko ». chaque fois que je me blessais, je m'entraînais plus dur et développais cette partie de mon corps. C'est ainsi que je suis parvenu à faire du sumo jusqu'à 37 ans. Je dois tout cela à mon shisho.
I : Mais toutes les souffrances et les blessures sont des atouts intéressants maintenant que vous êtes vous-même devenu un professeur.
N : Même au moment où je me suis marié, il continuait à me crier dessus pendant le keiko. Je me demandais « Pourquoi est-il toujours sur mon dos ? ». Puis il m'a dit un jour alors que nous mangions ensemble « Si je ne te crie pas dessus, comment pourrai-je le faire sur d'autres ? Tu te dois d'être un exemple ». Après cela, j'ai intensifié mon entraînement et fait encore plus de shiko. Je suivais ce régime à la lettre, et dans ma position actuelle, je suis content de l'avoir fait.
Liens sociaux