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toonoryu
05/10/2005, 15h45
Ayant eu deux ou trois heures devant moi, je vous propose ce texte, issu du n°1 de SFM, sur le dai-yokozuna Taiho. Certaines terminologies ont représenté une vraie difficulté pour moi, donc avis aux spécialistes qui voudront bien émettre les rectifications qui s'imposent si quelque chose est faussement traduit. Prochain numéro, quand j'aurai le temps, yokozuna Umegatani II. En attendant, enjoy !



Taiho : Le plus grand de l’Histoire ?

Par Brian Lewin



Le mois dernier, le monde du sumo a fait ses adieux officiels à l’un des plus grands rikishi à avoir jamais combattu en son sein – Taiho.

Le 29 mai, Taiho oyakata a atteint 65ans, l’âge de la retraite obligatoire, et mis fin à 48 ans de liens avec la Nihon Sumo Kyokai, après avoir atteint quelques-uns des plus grands sommets de l’histoire du sumo, puis connu des fortunes très diverses sur le plan personnel – ces déboires n’étant peut-être qu’un début…


L’enfance


Naya Koki naît le 29 mai 1940 à Shisuka, Karafuto, sur ce qui se trouve être aujourd’hui les Sakhaline Sud (Nord d’Hokkaido). Il est le fils d’un Cosaque Russe exilé du nom de Borishiko Malikan, et d’une paysanne japonaise du nom de Naya Kiyo. Après l’annexion de ces îles par l’Armée Rouge dans les derniers jours de la Deuxième Guerre Mondiale, la famille se retrouve séparée ; Koki ne reverra jamais son père. A cinq ans, lui et sa mère embarquent peu après sur un navire de rapatriement, l’Ogasawara-Maru, à destination de Wakkanai, sur l’île d’Hokkaido – le seul de quatre navires partis en même temps à atteindre sa destination. C’est là qu’il grandit les dix années qui suivent, s’établissant en fin de compte à Tashikaga. Son enfance est difficile, et le voit travailler très tôt dans l’agriculture et l’industrie pour subvenir aux besoins de sa famille.


Débuts dans le sumo


Comme collégien, Koki a un jour l’occasion de participer à un tournoi amateur local ; sa force physique impressionne alors beaucoup d’observateurs. Il se voit adresser une invitation par un rikishi alors makushita, Miyanohana, à rejoindre la Nishonoseki-beya de l’ancien ozeki Saganohana. Sa mère se refuse à cette idée, mais son oncle le convainc d’aller assister au jungyo d’une heya à Kunneppu, avant de prendre une décision définitive. Cependant, une fois arrivés, son oncle lui glisse un billet de mille yens, et lui dit : « Donne-toi à fond, au revoir », en le laissant alors aux bons soins de la heya.

Inscrit officiellement en juillet 1956, il fait ses débuts sur le dohyo deux mois plus tard lors de l’Aki Basho, sous le shikona de Naya. A seize ans, c’est un grand échalas efflanqué, mais bien plus fort qu’il n’y paraît, et il grimpe donc rapidement dans la hiérarchie, remportant un yusho en sandanme lors de l’Haru Basho 1958, et arrivant en juryo 14 mois plus tard lors du Natsu Basho 1959. pour célébrer cet accomplissement, son shisho (son maître d’écurie), lui donne un nouveau shikona, Taiho, choisi d’après un classique de la littérature Zhongzi. Travaillant d’arrache-pied pour se montrer digne de ce présent, il continue son ascension dans le banzuke, et fait ses débuts en makuuchi à l’Hatsu de 1960, à l’âge de 19 ans, démarrant sur un 11-0 avant de finir à 12-3 avec à la clé l’attribution d’un kanto-sho (Prix de la combativité). Huit mois plus tard, il gagne son premier yusho et se voit promu ozeki. Il ne reste à ce rang que cinq petits basho, remportant deux yusho supplémentaires. Le second, conquis dans un play-off à trois contre Kashiwado et Myobudani, décide de la promotion simultanée au rang de yokozuna pour Taiho et Kashiwado, le 27 septembre 1961.


Hakuho Jidai : Ascension conjointe des grands rivaux vers les sommets


On dit que tout dai-yokozuna a besoin d’un rival à sa mesure ; Taiho trouve alors le sien en la personne de Kashiwado. Kashiwado est entré en sumo avant Taiho, l’a précédé également en juryo comme en makuuchi, à chaque fois d’un ou deux ans. Leurs parcours se rejoignent après puisque Taiho obtient le rang d’ozeki en même temps ; à ce moment, leur rivalité est déjà bien visible, tandis que leur force se développe et attire grandement l’attention du public. Promus conjointement yokozuna après leur ketei-sen pour le yusho de l’Aki 1961, leurs carrières respectives prennent alors des voies dissemblables. Kashiwado – le « haku » de « Hakuho » - est miné par les blessures et n’obtient que cinq yusho. Taiho – le « ho » dans ce nom de jidai (ère) – bénéficie d’une santé insolente, engrangeant yusho après yusho dans leurs années fastes. Ennemis à leurs débuts, ils resteront des rivaux féroces sur le dohyo, Kashiwado remportant 16 de leurs 37 confrontations en makuuchi (chiffre qui ne tient pas compte des deux ketei-sen gagnés par Taiho). A eux deux, ils écrasent le sumo, dominant à la fois sur le dohyo et dans les esprits des fans, pendant plus d’une décennie.


Records


Taiho établit une liste de records, dont certains sont encore d’actualité. L’un des records qu’il poursuit – la série victorieuse de 69 victoires établie par Futabayama – est stoppé par l’une des plus fameuses erreurs d’arbitrage de l’histoire du sumo. Taiho a alors déjà établi – par deux fois – des séries victorieuses de 30 et 34 victoires. Mais au cours du Haru Basho de 1969, alors qu’il est sur une série en cours de 45 combats remportés, sa confrontation du deuxième jour contre le maegashira 1 est Toda devient un grand sujet de controverse. Le gyoji donne dans un premier temps la victoire à Taiho mais, après un mono-ii, les shinpan (les juges autour du dohyo) rendent un verdict contraire. Toutefois, les photographies publiées dès le lendemain dans la presse montrent de façon évidente que Toda est sorti du dohyo le premier (on dit que cette erreur gênante a été largement à l’origine de l’usage des ralenti comme aide à la décision en cas de combats serrés).

La trace la plus marquante laissé par Taiho est peut-être son incroyable total de 32 championnats remportés. Au moment où il devient yokozuna, la référence est le légendaire total de 12 yusho de Futabayama (remportés à une époque où il n’y en a que deux par an). Taiho fait exploser cette marque en tout juste deux ans et demi, et il apparaît bien vite que cela n’est que le début. Entre septembre 1964 et janvier 1967, il double le record de Futabayama, portant son total à 24. durant cette période, il gagne six yusho consécutifs en deux occasions distinctes – chacune représentant un record en soi. Son allure se ralentit quelque peu après, mais il poursuit sa carrière, gagnant de temps à autres, emportant son 32° et dernier titre au cours de l’Hatsu 1971. Son record a été approché depuis par trois dai-yokozuna - Kitanoumi (24), Chiyonofuji (31), et Takanohana (22) – mais reste encore d’actualité.

Il domine tant le sumo à son époque qu’il fait dire à l’un de ses amis : « même si on ne le voyait pas combattre, on connaissait d’avance le résultat : victoire de Taiho ». Mais à la différence de certaines ères postérieures, sa domination écrasante ne semble pas affecter sa popularité. Un dicton de l’époque dit même que « Kyojin, Taiho, Tamagoyaki » sont les trois rois qu’adorent tous les japonais (à priori). « Kyojin » fait référence aux Yomiuri Giants, l’équipe de base-ball de Tokyo ; « Tamagoyaki » est un sushi d’œuf frit.

Entre autres records établis par Taiho, on trouve le plus haut pourcentage de victoires en makuuchi (.838), le plus grand nombre de victoires en makuuchi (746, battu plus tard par les 804 de Kitanoumi et les 807 de Chiyonofuji), le plus grand nombre de victoires en une année (81, battu depuis par les 82 de Kitanoumi), le plus de zensho yusho (huit) et le record de précocité au grade de yokozuna (21 ans, battu par la suite d’un mois par Kitanoumi).


Crépuscule et problèmes personnels


Avec le temps, l’âge et les blessures finissent par réclamer leur dû. Le dernier combat de Taiho intervient au cinquième jour du Natsu Basho 1971, au cours duquel il affronte le komusubi Takanohana, qui deviendra plus tard ozeki, et père du dai-yokozuna Takanohana. Défait sur un yoritaoshi, il sent qu’il a atteint ses limites. Il décide alors d’annoncer sa retraite au cours d’une conférence de presse suivie par plus de 200 journalistes. Taiho n’a alors que 30 ans. A sa retraite, il prend le titre de « Ichidai Tochiyori » (Ancien de première génération). Après avoir remporté son trentième yusho, la Nihon Sumo Kyokai lui avait accordé cette faveur exceptionnelle en reconnaissance de ses performances hors du commun. Ce statut lui permet de conserver son shikona comme nom de patron d’écurie, à part des 105 noms existants que les rikishi qui se retirent doivent acquérir s’ils veulent rester au sein de la Kyokai après avoir quitté le dohyo. Ce nom ne peut toutefois pas lui survivre et être transmis comme les 105 noms traditionnels.

Anticipant une retraite fructueuse, il ouvre sa propre Taiho-beya en décembre, et démarre le recrutement de rikishi. Il devient par la suite directeur adjoint de la Commission des juges en 1976. Mais le destin lui réserve un autre sort. Après juste cinq ans au sein de sa heya, ses problèmes de tension artérielle qui avaient miné sa santé depuis des années, le conduisant même à une hospitalisation durant le Nagoya Basho de 1964, se rappellent à son (mauvais) souvenir. En février 1977, une attaque cardiaque lui occasionne une paralysie partielle.

Peu à peu, il recouvre une bonne partie de sa mobilité, même s’il ne récupère pas l’intégralité de ses facultés. Continuant à se battre, il récupère suffisamment pour servir durant un mandat de quatorze ans à l’organisation du Basho de Nagoya, entre 1980 et 1994, puis deux ans comme chef de l’institut d’études de la Kyokai. En 2000, quand vient le temps du Kanreki Dohyo-iri – un dohyo-iri particulier qui effectué en tsuna rouge par les yokozuna retraités pour célébrer leur soixantième anniversaire – il s’avère incapable d’accomplir cette tâche ; à la place, on le prend en photo dans les postures requises. Depuis, il arrive qu’il ait à se servir d’une chaise roulante, même s’il poursuit ses efforts pour conserver des forces. Une belle surprise l’attend en mars 2000 quand son gendre, le maegashira 14 Takatoriki, remporte le yusho de l’Haru Basho avec un score de 13-2. En extase, Taiho considère qu’il s’agit là d’un plus beau moment que n’importe quel de ses 32 yusho.


L’avenir… ?


Asashoryu, premier dai-yokozuna de cette nouvelle décennie, recherche activement les conseils de Taiho depuis quelques mois, peut-être dans l’espoir de trouver la manière de gérer son tout nouveau statut, et également de prouver à tous qu’il mérite pleinement ce titre. Asashoryu montre depuis des progrès considérables en terme de maturité, à la grande satisfaction de Taiho.

Toutefois, il reste encore une tâche à accomplir pour Taiho. Bien qu’il soit peut-être le plus grand de tous les yokozuna, il lui reste encore à produire un héritier véritablement digne de ses exploits, chose qu’il cherche depuis tant d’années à faire, même s’il a produit 13 sekitori. Sa meilleure chance réside en la personne de Roho, un rikishi puissant et jeune, Russe d’Ossétie de Nord, qu’il a réussi à faire venir et élever au rang des maegashira avant de céder la Taiho-beya à Odake oyakata (l’ancien sekiwake Takatoriki). Taiho reste encore pour donner ses conseils à Roho, et bien qu’il ait connut certaines difficultés générationnelles avec lui, il continue cependant à travailler avec le Russe. On dit également qu’il aurait demandé l’assistance d’Asashoryu pour l’enseignement au profit de Roho.

Son héritage personnel, de la toute première importance, ainsi que son influence toujours présente, à la fois sur Asashoryu et Roho, devraient permettre de ressentir sa marque sur le sumo pendant encore de nombreuses années.




48ème Yokozuna Taiho Koki

Nom : Naya Koki
Date de naissance : 29 Mai 1940
Lieu de naissance (officiel): Teshikaga-machi, Kamikawa-gun, Hokkaido
Shikona: Naya -> Taiho (Mai 1959)
Heya: Nishonoseki
Hatsu-dohyo: Septembre 1956
Shin-juryo: Mai 1959
Shin-nyuumaku: Janvier 1960
Shin-sanyaku: Juillet 1960
Shin-ozeki: Janvier 1961
Shin-yokozuna: Novembre 1961
Yusho: Makuuchi- 32; Juryo- 1; Sandanme- 1
Sansho: Combativité- 2; Technique- 1
Kinboshi: 1 (Asashio)
Fiche en Makuuchi : 746-144-136 (.838), 69 Basho
Techniques favorites : Hidari-yotsu, sukui-nage, uwate-nage, yori

Kaiowaka
05/10/2005, 16h11
Merci Toonoryu, superbe traduction ! Rien à redire pour ma part, c'est parfait, digne d'un MDS ! :wink:

Chicconofuji
05/10/2005, 20h27
Magnifique article sur le mythe Taiho....des frissons en lisant!!!

Merci Toonoryu!!!!

Shin-nyuumaku: Janvier 1960

Que veut dire nyuumaku?

Kaiowaka
06/10/2005, 08h49
Shin-nyuumaku: Janvier 1960

Que veut dire nyuumaku?

Logiquement, je pense que celà doit dire : Débuts en makuuchi ou nouveau maegashira si on se réfère à la progression de sa carrière !

Azumashida
06/10/2005, 10h38
Shin-nyuumaku: Janvier 1960

Que veut dire nyuumaku?

Logiquement, je pense que celà doit dire : Débuts en makuuchi ou nouveau maegashira si on se réfère à la progression de sa carrière !

Exactement. Je pense qu'on l'écrit plus souvent shin-nyumaku (c'est une question de transcription donc les deux doivent être valables, on a eu quelques discussions là-dessus sur le forum il y a assez longtemps si je me souviens bien). On peut aussi dire shin-maku.

Charliki
06/10/2005, 11h23
Shin-nyuumaku: Janvier 1960

Que veut dire nyuumaku?

Logiquement, je pense que celà doit dire : Débuts en makuuchi ou nouveau maegashira si on se réfère à la progression de sa carrière !

Un nyuumaku, c'est donc un new makuu :lol: :oops:


Merci pour ce magnifique article toonoryu. Une petite question : Taiho était sur le seul des 4 bateaux qui soit arrivé à bon port. Qu'est-il arrivé aux 3 autres ?

Satori
06/10/2005, 12h01
Génial Toonoryu, purement génial! Un grand merci pour cet article carrement passionnant! ;) :D

Satori

toonoryu
07/10/2005, 10h19
Shin-nyuumaku: Janvier 1960

Que veut dire nyuumaku?

Logiquement, je pense que celà doit dire : Débuts en makuuchi ou nouveau maegashira si on se réfère à la progression de sa carrière !

Un nyuumaku, c'est donc un new makuu :lol: :oops:


Merci pour ce magnifique article toonoryu. Une petite question : Taiho était sur le seul des 4 bateaux qui soit arrivé à bon port. Qu'est-il arrivé aux 3 autres ?

Il me semble qu'ils ont fait un grand booom en pleine mer... faut se rappeler qu'on est en 1945, et qu'en plus des Etats-Unis, le Japon vient de se voir déclarer la guerre par l'Union Soviétique...

Sinon, rendez-vous ce soir pour la traduction d'un article sur la vie d'Umegatani II, autre grand yokozuna de l'histoire du sumo. @+

toonoryu
10/10/2005, 19h36
Pour illustrer le passage sur le kanreki-iri, voici une photo de celui de kitanofuji (avec chiyonofuji en tachi-mochi et hokutomi en tsuyu-harai, excusez du peu...)

http://usuarios.lycos.es/leonishiki/boletines/2002/images/2001_01_06.jpg

... et celui de Taiho (qu'il a fait en compagnie de Chiyonofuji et Kitanoumi, pas mal non plus...)

http://monsite.wanadoo.fr/yokozuna-27-50/images/8-picture7.gif?0.9357560414584004

pereboulon
11/10/2005, 10h54
Merci Toonoryu pour cette superbe traduction qui nous apprend tellement sur l'histoire du sumo à travers le portrait du plus légendaire des yokozuna.