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Afficher la version complète : Osunaarashi



Immyr
06/03/2015, 22h26
Pas un de mes rikishis préférés, mais un très bel article dans Libé de demain.

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PORTRAIT

Dénonçant les égorgements de Daech, ce sumo égyptien est le premier sportif musulman à lutter parmi l’élite japonaise.


La mise en garde de son entourage était très claire : pas question de parler de politique et de religion. On n’a pas eu besoin de braver l’interdit, Osunaarashi l’a brisé de lui-même. Après la décapitation de deux ressortissants japonais par les égorgeurs de l’Etat islamique, le lutteur égyptien de sumo a voulu évoquer la «folie des tueurs qui n’ont rien à voir avec l’islam». En quelques phrases, il dit son «incompréhension», sa «tristesse» pour le peuple japonais et aussi «pour ce qui s’est passé en France». C’est simple et sincère. Comme une évidence qu’il croit bon de formuler, l’adresse est livrée sans artifices, dans le dénuement boisé de son écurie glacée, à Tokyo. Campé sur un tatami doré, le lutteur de confession musulmane prend les devants, peut-être pour anticiper les questions auxquelles il a appris à parer. Et vite, on ne parle plus que de lui, de cette «pression pesante» d’être à lui seul «l’incarnation du Proche-Orient, du monde arabo-musulman», un «pont entre deux cultures» qui sont, en fait, deux planètes.

Dans son splendide isolement insulaire, le Japon est à mille lieues du bouillonnant carrefour méditerranéen de l’Egyptien Osunaarashi. Distance et méconnaissance. Le jeune Cairote de 23 ans a eu le temps de s’en rendre compte depuis trois ans et demi qu’il vit dans l’archipel. On voudrait le voir comme un ambassadeur d’Allah sans savoir que cet Africain affable s’est tatamisé au point d’avoir intégré dans son panthéon mystique des signes et des rites sumos qui feraient bondir les ayatollahs de la tradition. Entre insinuations et appréhensions, il a eu droit à tous les coups de sonde sur l’islam, le Coran, la consommation d’alcool et de porc, la signification des cinq prières par jour, le jihadisme. Mépris et amalgames («musulmans, tous terroristes») ont fusé depuis janvier, une profonde lassitude s’est installée. Il va jusqu’à parler de «survie» et de «lourde responsabilité». Mais c’est d’abord sa singularité qui surexpose ce pudique colosse poilu à fossettes. Dans l’univers du sumo où les Japonais s’acoquinent avec les Mongols, les Russes et les Européens de l’Est et où le shintoïsme fraye, sans vergogne, avec le bouddhisme et l’orthodoxie, Osunaarashi fait figure d’extraterrestre. Avec ses 189 cm et 155 kilos, il est le seul musulman, le premier rikishi («lutteur») arabe issu d’un pays d’Afrique à intégrer la division makuuchi, l’élite des sumos.

Cette étrangeté ne s’est jamais émoussée, car elle est au cœur de sa drôle d’histoire. Il a 14 ans quand, dans la salle de musculation, où il lève de la fonte depuis trois ans, il voit un type enchaîner des exercices sur une jambe, le buste à l’équerre, le corps en équilibre. Ce dernier se livre au shiko, ce mouvement dans le combat sumo qui consiste à frapper le sol avec les pieds pour chasser les esprits. Issu d’une «famille pieuse et soudée», Osunaarashi s’appelle alors Abdelrahman Shalan et vit en banlieue du Caire. Le lutteur amateur suggère à l’adolescent armoire à glace de se lancer dans le sumo. «Mais, je trouvais ça laid et ridicule. Entre copains, on se moquait de ce sport d’éléphants.» Il finit par accepter «pour s’amuser» et, plein d’une superbe orientale, prévient avant de combattre : «Je vais tuer tous vos lutteurs.» Il affronte sept rikishi et sept fois il se fait «botter le cul». L’habileté, plus que la puissance, est le gage de la victoire. Avec ses 120 kilos, l’orgueilleux en prend pour son grade face à des gabarits de 65 kilos. Le soir même, il est vissé sur sa chaise devant son ordinateur pour se renseigner. C’est l’odeur de sa transpiration qui lui fait réaliser, le lendemain matin, qu’il a passé toute la nuit sur Internet. Il est converti. Il rejoint le club amateur, apprend à «montrer [ses] fesses», chose inconcevable dans sa culture. Remporte des victoires, puis des championnats en Estonie, Bulgarie. Les études de gestion et comptabilité à l’université du Caire attendront. Car tout reste à faire pour réaliser son rêve, «aller au Japon et devenir yokozuna», le rang le plus élevé dans la hiérarchie des sumos. C’est plein de candeur adolescente, mais nul doute que la détermination égotiste est déjà là. Abdelrahman Shalan sacrifie le confort de la vie en famille qu’il chérit et répudie sa petite amie qui se mariera avec un autre. Il devient Osunaarashi, la «grande tempête de sable». C’est ainsi qu’il signe sa lettre de motivation envoyée aux écuries de sumo qui acceptent des étrangers. Une seule répond, c’est un refus. «Pour moi, c’était un signe d’espoir.»

Il saute dans un avion en août 2011, sans parler un seul mot de japonais, persuadé que «Bruce Lee est un grand acteur japonais». Il frappe à la porte de l’écurie Otake. «C’est un passionné qui m’est apparu, tellement plus passionné que les Japonais, se souvient Otake Tadahiro, le directeur de l’écurie. Je lui ai proposé de faire un entraînement. Il était impressionnant, puissant et modeste. Il en voulait.» Ce jour-là, blessé, épuisé et mal entraîné, Osunaarashi perd ses 20 combats. «Tu as l’air fatigué», lui demande l’entraîneur après chaque défaite. La réponse ne varie pas : «Non, ça va, on continue.» Osunaarashi gagne son ticket pour un essai d’un mois. «On a vu arriver un grand gamin avec seulement 4 000 yens en poche [30 euros] et un tout petit sac de sport en guise de valise, raconte Ayumi Sato, la secrétaire de l’écurie. L’hiver arrivait et il n’avait quasiment pas de vêtements.» Cette nouvelle vie a beau être le «début du rêve» pour Osunaarashi, elle est loin d’être rose. Etre rikishi peut se résumer à une longue épreuve, un «enfer» selon l’Egyptien. Pendant, un mois, tous les jours, il est le préposé à l’épluchage des légumes et au nettoyage des toilettes, du dohyo (la «salle de lutte») et de la vaisselle. Tadahiro : «Je voulais savoir s’il était vraiment sérieux. Il s’est plié à tout.»

Osunaarashi s’est initié aux rites quotidiens d’une vie collective quasi monacale faite d’obligations, d’entraînements, de repas pantagruéliques (sans porc pour lui), de siestes et de rares moments d’une infinie solitude devant un écran d’iPad à regarder des dramas égyptiens. «Je ne lui laisse pas le temps de sortir pour aller voir des copines», confie Tadahiro en autoritaire qui se marre peu. Ça tombe bien. Tout entier dédié à l’accomplissement de son rêve, Osunaarashi n’aime «pas beaucoup les temps libres, ces moments ennuyeux à boire des cafés avec les autres». Il préfère «skyper» avec les amis ou la famille au Caire. Il est un athlète qui a grandi trop vite, et trop loin de siens. «Il ne se confie pas beaucoup, seulement pour dire qu’il a besoin des câlins de sa maman», témoigne sa mère poule d’adoption, Ayumi Sato. Les moments d’abattement ne manquent pas. Souvent, «à 2-3 heures du matin», il s’assoit sur le bord du lit, ouvre son sac, prêt à partir. «Mais est-ce que je vais tout arrêter avant la fin, alors que mon rêve est devant mes yeux ?» Jusqu’à présent, Osunaarashi s’est toujours recouché pour mieux se projeter.


En 6 dates

Février 1992 Naissance de Abdelrahman Shalan au Caire.
2006 Découvre le sumo.
Août 2011 Devient Osunaarashi et premier voyage au Japon.
Mars 2012 Intègre l’écurie Otake à Tokyo.
Juillet 2013 Accède à la division makuuchi, l’élite des sumos.
A partir du 8 mars Participe au tournoi d’Osaka.

Immyr
06/03/2015, 22h36
http://www.info-sumo.net/forum/attachment.php?attachmentid=1628&stc=1

pereboulon
07/03/2015, 07h46
Intéressant cet article. Il y a une suite ?

Immyr
07/03/2015, 09h03
Non. C'est les portraits quasi-quotidiens, de l'avant dernière page de libération. Ils prennent un personnage comme sujet et ils font un article unique à leur propos.

Gnoppod
07/03/2015, 13h48
J'ai apprécié ce portrait sensible, qui remet dans son contexte ce lutteur souvent brutal dans ses combats. Merci de l'avoir partagé:)!

Immyr
07/03/2015, 15h32
Tu as raison. Ça le rend beaucoup plus... comment dire... accessible. Je le trouverais même sympathique (même si je continues à ne pas vraiment apprécier les coups de coude).

Sakana
20/03/2015, 09h55
On peut retrouver l'article en lecture ouverte à tous, ici : http://www.liberation.fr/sports/2015/03/06/osunaarashi-mou-baraque_1215572

liclic
20/03/2015, 14h23
J'aime bien l'article moi aussi.;