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Afficher la version complète : Tochinishiki-Wakanohana, un Âge d'Or du sumo.



toonoryu
10/12/2009, 17h45
Nouveau texte de madorosumaru sur SF, cette fois-ci pour évoquer l'ère Tochi-Waka. Pour les passionnés d'histoire du sumo. Enjoy !



C'était les Petits Costauds. Ces deux lutteurs ont passé l'essentiel de leurs carrières respectives autour voire en dessous du quintal, et en dépit de leur taille réduite, ils ont démontré une puissance ahurissante et une maîtrise hors du commun des techniques leur permettant de faire chuter des adversaires bien plus grands qu'eux. Leurs exploits sur le dohyo ont réjoui et fasciné les foules du Japon d'après-guerre, qui avait un cruel besoin de héros outsiders, et ensemble ils ont contribué à créer un nouvel Age d'Or du sumo que l'on a appelé «*l'ère Tochi-Waka*».

Plus vieux de quelques années, Tochinishiki rejoint l'Ozumo presque huit ans avant Wakanohana. Il est déjà au niveau des sanyaku quand Wakanohana rejoint la division makuuchi, et le devance en permanence sur le banzuke. A vrai dire, il ne partageront qu'un peu plus de deux ans comme yokozuna. ET pourtant, leurs noms restent indéfectiblement liés dans l'Histoire pour leur présence formidable sur le dohyo et pour les luttes épiques qu'ils se livrent l'un l'autre.

D'innombrables anecdotes circulent au sujet de Tochinishiki. Il était si petit qu'au moment où il cherche à rejoindre l'ozumo, il se gave de riz et boit des litres d'eau pour pouvoir passer les tests de shindeshi. Il saute ensuite sur la balance pour faire monter l'aiguille au-dessus de la limite fatidique. Son oyakata ne nourrit au départ pas beaucoup d'espoirs en lui, mais le jeune homme travaille avec acharnement et surprend son shisho à chaque niveau du banzuke. Kasugano oyakata en est si impressionné qu'il fait de Tochinishiki son tsukebito personnel, l'emmenant partotu et lui enseignant tout ce qu'il sait sur le sumo. Du fait de sa petite taille, Tochinishiki se base beaucoup sur l'habileté technique. Il est aussi diablement accrocheur, et finit par se voir attribuer le surnom de Mamushi, un serpent craint au Japon car une fois ses crocs plantés dans sa victime, il ne lâche jamais.

Au moment où il rejoint les rangs sanyaku, on l'appelle également «*le Maître de la Technique*», son étalage de qualités de sumo étant un véritable fourre-tout. On dit que durant sa carrière en makuuchi, il utilise pour ainsi dire toutes les techniques répertoriées à l'époque. En fait, c'est à cause de Tochinishiki que la Kyokai établit alors une liste officielle de kimarite. Il s'adjuge une série consécutive de cinq gino-sho. Les gens disent alors «*le Prix de la Technique existe pour Tochinishiki*».

Cependant, il a ses détracteurs qui pensent qu'il est trop «*actif*» sur le dohyo pour un rikishi de haut rang – trop de mouvements inutiles. En réponse à ces critiques, Tochinishiki gagne environ quarante kilos après être devenu yokozuna et change son style de sumo. Il n'est plus le magicien du mouvement mais désormais un praticien d'oshi et de yori – en gros, il fait du sumo de yokozuna.

Dans les sept basho précédant son intai en 1960, Tochinishiki établit un score de 95-10 avec trois yusho et quatre jun-yusho. Lors du Haru 1960, il est défait lors d'une confrontation historique par son camarade yokozuna Wakanohana, alors que tous deux arrivent au senshuraku avec des fiches parfaites de 14-0. Et pourtant, lorsqu'il concède deux revers lors de ses deux premiers combats du basho suivant, Tochi décide d'arrêter les frais à l'âge de 35 ans. Cela donne une idée de l'importance qu'avaient la fierté et la dignité chez les rikishi de haut rang à cette époque.

Wakanohana est aussi un homme de petite taille, mais il possède une puissance invraisemblable. Sa famille a dû vendre ses vergers de pommes quand il était jeune et il lui a fallu travailler sur les docks pour subvenir à leurs besoins. C'est là qu'il développe son incroyable sens de l'équilibre et sa force des membres inférieurs en transbahutant de lourdes charges sur les navires.

Il a 18 ans lorsqu'il est découvert après qu'il tombe un certain nombre de rikishi en tournée au cours d'un jungyo. Ses parents s'opposent avec véhémence à son départ et ne se laissent convaincre qu'après que Waka leur ait promis de revenir s'il n'était pas sekitori dans les trois ans. Une fois arrivé dans l'ozumo, Wakanohana est plongé dans le bain des keiko notoirement féroces de l'ichimon Nishonoseki. Rikidozan, qui connaîtra plus tard la gloire en puroresu, lui inflige un jour une leçon si violente que Waka ne parvient plus à se lever du sol. Riki continue à le frapper et donc le jeune homme, craignant pour sa vie, mord l'ani-deshi au tibia. La légende veut que Rikidozan portera ses fameux cuissards montant en catch pour masquer la cicatrice de cet incident.

Dur au mal, il gravit rapidement les échelons du banzuke et parvient en juryo en deux ans et demi, devançant le délai qu'il s'était fixé avec ses parents. Si Tochi est connu pour son répertoire de techniques, Waka est lui réputé pour la magnificence de ses kimarite, en particulier le très spectaculaire yobimodoshi, qui est moins le produit d'une solidité du haut du corps que celui de jambes hors du commun. Waka projette dans la poussière avec cette technique des adversaires bien plus massifs que lui, provoquant des cris d'enthousiasme dans la foule. Sa force surnaturelle lui vaut le surnom de «*l'Irréel*» dans les médias. Il est aussi connu comme «*Le Loup*», des années avant qu'un autre petit bonhomme ne rende ce sobriquet encore plus fameux.

Après l'Aki basho où il termine avec un score de 10-4-1, il est promu ozeki en même temps que Matsunobori. Il n'a que 28 victoires et deux nuls à son actif en trois basho avant sa promotion, mais il a aussi montré un sumo ahurissant, dont un inoubliable combat face au yokozuna Chiyonoyama qui s'éternise durant 17 minutes et quinze secondes. Le combat connaît plusieurs mizu-iri et un tori-naoshi après une interruption de deux combats, et se termine pourtant sur un nul.

Tochi et Waka livrent de phénoménales batailles. Lors de leur deuxième confrontation, le combat en vient à un mizu-iri nibango torinaoshi [ndt : combat recommencé depuis le début après un mizu-iri pour absence d'initiative]. Ce combat laisse une image pour l'éternité, celle de Tochinishiki épuisé, les cheveux pendant sur ses épaules après que son mage se soit détaché pendant la lutte acharnée. Le combat s'est poursuivi un moment avec la chevelure de Tochi flottant, avant que le gyoji n'interrompe l'action, aenvoyant Tochi en contrebas sur le dohyo-shita pour refaire son mage (selon la légende avec un brin de paille de tawara). De l'époque où Waka est promu en 1958 au milieu de 1960 quand Tochi se retire, un total de quinze basho se déroule, avec Waka qui remporte sept confrontations contre quatre pour Tochinishiki. Quel que soit le vainqueur final du yusho, l'autre est son plus proche challenger.

Il y a une anecdote fameuse sur les derniers jours de Wakanohana. Il était si fier qu'il refusait d'être projeté sur le dohyo, préférant sortir de lui-même s'il était en grand danger. En janvier 1962, le sekiwake Tochinoumi, encore un autre petit lutteur qui allait devenir yokozuna, lance une série de prises rapides qui finissent par aboutir à Wakanohana chutant au milieu du dohyo. Le kimarite, annoncé comme un kekaeshi, aurait tout aussi bien pu être défini comme un ketaguri. Après le combat, le yokozuna déclare alors «*Je suis fichu si je laisse ce genre de choses se produire*». Au basho suivant, il perd lors du shonichi et ne sera plus jamais revu sur un dohyo en tant que rikishi.

Tochi et Waka servent tous deux comme rijicho après leur intai. Comme Kasugano rijicho, Tochinishiki sera responsable de la construction du Ryogoku Kokugikan. Waka, comme Futagoyama, lui succèdera. Les rijicho proviennent en général de grandes et influentes ichimon comme Dewanoumi ou Tokitsukaze. Pour un homme de petite heya de l'inférieure Nishonoseki, prendre la première place montre le respect dont il pouvait jouir.


Bonus track : le combat Tochi-Waka avec la réfection du mage. Non, ce n'est pas en accéléré...


http://www.youtube.com/watch?v=k_kQZQtSP2k

Soupooshu
10/12/2009, 22h18
Un grand merci pour cette traduction. :wink:

pereboulon
11/12/2009, 19h30
Ce texte (magnifiquement traduit, comme toujours) est passionnant. Il fait regretter de ne pas avoir connu cette époque. Heureusement que certains ont le talent nécessaire pour le ressusciter.