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Afficher la version complète : In the hall of the mountain kings



toonoryu
30/01/2005, 21h31
Voici le lien vers un blog que j'ai trouvé. J'essaierai d'en faire la traduction dès que possible (c'est assez long). Enjoy !

http://mountainkings.blogspot.com//

Info-Sumo
30/01/2005, 21h54
Merci! c'est le blog dont azumaryu nous a présenté les photos cette semaine. :D (lien vers le blog sous les photos - visit the blog)
Photos de la Hanaregoma beya (par Jacob Adelman) (modules.php?name=Forums&file=viewtopic&t=595)

toonoryu
30/01/2005, 23h43
C'est vrai, le lien existait déjà, au temps pour moi :oops: ... par contre, du boulot en perspective, car il y a une bonne soixantaine de pages, que je n'ai pas parcourues encore entirement. Patience donc, première livraison dans les prochains jours. Stay tuned... :wink:

toonoryu
07/02/2005, 19h37
Bonjour,

Comme promis, voici la première traduction du blog de Jacob Adelman. Son journal est assez long, et je compte donc sur vos feedback pour savoir si vous pensez qu’il est intéressant que j’en poursuive la traduction (sans garantie sur le rythme, je suis assez occupé en ce moment). J’ai zappé le premier texte qui ne concernait que ses angoisses de départ, et suis passé directement au deuxième. Le blog se poursuit et Jacob semble toujours au Japon (il était parti pour huit jours au départ…). Sur ce, bonne lecture. Enjoy !



Samedi, 18 décembre 2004

L’Oyakata, le Kashira et Iki

Miki-san, le chroniqueur sportif du Yomiuri qui a arrangé mon séjour dans la heya, devait être absent hier, jour prévu pour mon arrivée par l’oyakata, et il a donc envoyé un de ses collègues, Usaoa-san, me prendre pour me déposer à la heya. Usaoa me rencontre à la station Ryogoku, près du Kokugikan, le stade et quartier général du sumo à Tokyo, d’ou un apprenti lutteur doit m’accompagner jusqu’à la heya.

Usaoa me fait pénétrer dans un bureau encombré du Kokugikan, qui ressemble à n’importe quel bureau japonais : six plans de travail se faisant face par sections, des papiers partout, des rayonnages en métal et des meubles aux teintes années 50.

A l’arrière du cabinet se tient, assis derrière un bureau, un homme aux cheveux lisses, poivre et sel, porteur d’une cravate qui tranche avec son costume bleu marqué de ses initiales. Il ressemble à un directeur d’entreprise, apprêté pour la photo officielle dans son usine. Assis sur la table devant son bureau se tient un gros gars aux cheveux en brosse. Celui-ci ressemble, avec sa carrure massive engoncée dans un costume bleu roi à boutons dorés, à un videur d’une boîte de nuit surpeuplée.

Usaoa me fait asseoir devant l’homme assis derrière le bureau et prend un siège derrière moi, tout près du gorille.

« Donc, Miki-san me dit que vous voulez vivre la vie d’un rikishi » entame-t-il, se servant du mot japonais pour lutteur de sumo. « Ca me va, mais je veux juste m’assurer de quelques points… ».

A ce moment-là, en fait, j’ignore totalement qui était cet homme. Etant assis derrière un bureau du Kokugikan, j’imagine donc qu’il doit être un employé de la fédération de sumo. En fait, c’est l’oyakata, le patron, la maître de l’écurie de sumo où je dois me rendre. Peut-être Usaoa pensait que j’allais le reconnaître. Ou peut-être me l’avait-il expliqué en chemin et je l’avais mal compris. J’ai encore des lacunes en japonais.

L’oyakata poursuit. « Il faut que vous sachiez que les rikishi se lèvent très tôt. Pouvez vous vous lever avant même le soleil ? ».

« Bien sûr » réponds-je. Cette question est facile. Je viens juste d’arriver au Japon et en fait, le décalage horaire me fait encore me lever bien avant l’aube.

Question suivante. « vous savez, les rikishi dorment sur un futon à même le sol, dans une grande chambre collective. Vous êtes capable d’en faire de même ? ».

« Okay ». Ca me parait très semblable à une auberge de jeunesse.

« Les rikishi ne mangent que deux fois par jour, le déjeuner et le dîner. Pas de petit-déjeuner. Vous devez être habitué à avoir trois repas. Pourrez vous faire avec deux seulement ? »

Là, c’est plus dur, mais, encore une fois, je réponds par l’affirmative. Je peux gérer la faim le matin pendant une semaine s’il le faut. Et, après tout, je veux avoir une expérience de première main de la vie que connaissent les rikishi.

« Savez vous ce que mangent les rikishi ? » me dit l’oyakata, annonçant le prochain défi. « ils mangent du chanko-nabe. Pouvez vous manger du chanko-nabe ? ».

Je n’ai jamais essayé le chanko-nabe, mais j’en ai beaucoup entendu parler. Il s’agit du régime copieux, riche en protéines, de n’importe quel rikishi, un ragoût de bœuf, porc, poisson, poulet, tofu et je ne sais quoi d’autre, cuit dans un bouillon épais. Il n’y a pas franchement beaucoup de voies bien claires pour la reconversion des sumotori, qui quittent leur sport avec un corps massif qu’il leur faut gérer. L’une est de devenir oyakata et de démarrer sa propre écurie, voie très chère puisqu’il faut acheter une licence spéciale. Une autre est de devenir coiffeur de sumo. La troisième est d’ouvrir un restaurant de chanko-nabe.

Je n’ai jamais mangé de chanko nabe, et le dit à l’oyakata quand il me demande si je pourrai le supporter. « mais ça n’a pas l’air mal », dis-je, lui arrachant le premier sourire depuis le début de notre conversation.

Il poursuit sa litanie des choses qu’il me faudrait faire si je veux vivre comme un lutteur de sumo. « les rikishi portent le mawashi », dit-il, parlant de cette pièce de tissu façon couche-culotte dans laquelle les lutteurs se battent et s’entraînent. « porterez vous un mawashi ? ».

Pour dire vrai, cela ne me tente pas vraiment, et je suis certain que cela ne sera pas très flatteur sur moi. Mais je veux que l’oyakata soit sûr que je le fais pour de vrai, et lui réponds donc, dans un japonais pour le moins approximatif « si c’est ce que font les lutteurs, je le ferai ».

« c’est bon », me dit-il, m’expliquant que le gorille va m’accompagner à l’écurie. Après un bref dialogue final avec l’oyakata pour déterminer combien de temps je resterai (c’est toujours en cours, probablement une dizaine de jours max), Usaoa et moi-même suivons le gorille en dehors. Sur le chemin de la gare, celui-ci se présente sous le nom, ou plutôt le titre, de Kashira. Il s’avère que c’est une sorte d’adjoint de l’oyakata. Il me dira plus tard qu’il a été un lutteur jusqu’à dix ans auparavant. Son shikona était alors Hananokuni.

A la gare, Usaoa nous quitte, le Kashira m’achete un ticket et nous pénétrons à l’intérieur. Nous tombons alors sur un lutteur, ce qui me paraît assez normal à Ryogoku, le quartier du sumo de la ville. Mais il s’avère qu’il est de notre écurie ; je crois qu’il est là pour nous accompagner. Le Kashira me le présente comme étant Kitamura.

Kitamura est un bel homme, avec toutefois un début de cernes sous les yeux, portant un chignon allongé qui pointe sur le haut de son crane et retombe vers l’avant. Il est vêtu d’un kimono violet et d’une large ceinture bleue, avec un téléphone mobile coincé à l’intérieur. Il n’est pas très grand, et le kimono qui recouvre son ventre qui dépasse de sa ceinture ne lui donne pas une allure ridicule. C’est un gars solide, pétant la forme.

Mais ses oreilles son affreuses. Couvertes de cicatrices et de protubérances, réduites à l’état de bourgeons atrophiés. Je suis sûr et certain que c’est du à son entraînement. Lorsque j’ai préparé ce projet d’étude, j’ai lu un ouvrage sur le lutteur hawaïen Takamiyama, premier rikishi non-japonais à avoir emporté un tournoi. Il y était expliqué comment Takamiyama a eu ses propres oreilles en chou-fleur : dans les mains des lutteurs expérimentés de son écurie quand ils étaient persuadés qu’il faisait preuve d’arrogance. Si l’oyakata m’avait dit : « les rikishi finissent par avoir leurs oreilles réduites en une purée sanguinolente. Vous êtes prêt à avoir les oreilles dans cet état ? » c’est là que j’aurais refusé.

Mais il est trop tard pour ce type de pensées. Je suis déjà dans le train, coincé entre Kitamura et le Kashira. Je bavarde avec ce dernier, qui m’interroge sur le type de nourritures japonaises que je suis capable de manger, jusqu’à ce que nous atteignions la gare d’Ogikubo, l’arrêt de la heya.

Il faut encore dix bonnes minutes de marche. Kitamura, qui a quitté le train à l’arrêt précédent, est déjà là. A l’intérieur, une douzaine de lutteurs sont autour du tatami. La plupart sont en survêtements ; l’un d’entre eux, toutefois, pour une raison indéterminée, ne porte qu’un short blanc. Tous ont un chignon allongé sur le crâne, et tous ont une carrure impressionnante. C’est comme si je venais de pénétrer dans un monde d’êtres sur-gonflés.

Le Kashira m’extirpe de ce monde quelques instants pour me faire monter un escalier partant directement de l’alcôve d’entrée, endroit où, dans les maisons japonaises, les visiteurs laissent leurs chaussures. A l’étage se trouvent les appartements de l’oyakata et de son épouse. Le Kashira me présente à celle-ci, qui porte un inquiétant bandage sur des bleus à sa pommette gauche.

Le Kashira me ramène alors en bas, dans la chambre aux paillassons, où tour à tour chacun des lutteurs se présentent à moi. Je ne me rappelle aucun de leurs noms, mais je n’oublierai jamais cette sensation de me trouver en présence de tant de personnes aussi radicalement différentes, dans tous les aspects de moi-même. Ils font tous une tête de plus que moi, pèsent quelque chose comme deux fois mon poids, sont tous asiatiques (l’un d’entre eux, je l’apprendrai par la suite, est Mongol) et ont tous la même coupe de cheveux, un style que la plupart des gens ne connaissent que par l’entremise des sketchs de John Belushi.

Dans Le Lion De Papier, où George Plimpton écrit sur son expérience d’entraînement en tant que débutant aux Lions de Detroit, celui-ci cachait le fait qu’il était écrivain et fut à même de garder ce secret un petit moment, jusqu’à ce que ses équipiers ne commencent à se demander pourquoi il se baladait en permanence avec un ordinateur portable. Pour ma part, il n’y a aucune chance que je puisse essayer de faire croire que j’appartiens à ce milieu.

Après qu’ils se soient présentés, deux gars me font descendre par un couloir au sol de béton nu et aux murs défraîchis, donnant sur des salles de bain empestant l’urine, puis une volée de marches m’amène dans l’une des chambres communes. Ils me montrent mon couchage, plié au sol. Tous sont avachis dans leurs propres lits, en dessous de l’amoncellement de leurs effets personnels. Tous ont une sorte de petit campement, avec leur propre télévision, une étagère avec des affaires de toilette et différentes choses, des CD, une statuette d’un doigt d’honneur, des photos de playmates, des canettes de bière. Pratiquement tout ce que l’on trouverait dans une chambre de jeune homme, simplement rassemblé ici dans le petit espace alloué dans cette grande chambre unique.

D’évidence, c’est l’heure de la sièste. Deux des gars dans la chambre s’endorment instantanément. L’un joue aux jeux vidéos sur sa télévision à écran plat avant de s’assoupir lui-même. J’en entends un parler au téléphone sous ses couvertures, puis quelques bips m’indiquent qu’il doit envoyer de textos. Je commence à prendre quelques notes, lorsque la porte s’entrouvre sur un mec maigre en survêtement de velours orange, mèches blondes et chaînes en or, porteur d’un attaché-case argenté et d’une boîte en carton. Me jetant un regard, il dit : « Harry Potter ? vous êtes Harry Potter ? ». Il me demande si j’aime le sushi, d’une voix forte malgré les lutteurs endormis autour de moi. L’un d’eux se retourne et demande l’heure. Je m’aperçois pour la première fois qu’il dort avec un inhalateur de ventoline (pour asthmatiques).

Le gars en orange s’assied sur le futon où j’étais assis à prendre des notes. Son téléphone se met alors à sonner. Il a alors une longue conversation que je ne peux suivre, et me pose des questions durant les blancs de sa conversation.

« Tu connais ? » me demande-t-il montrant le logo sur la boîte qu’il a apportée. Je ne connais pas.

A l’occasion d’une autre pause, il ouvre sa mallette et me montre un petit album photo, le genre que l’on a gratuitement avec le développement. Des photos de lui dans un bar, trinquant avec pas mal de femmes différentes, la plupart jeunes et jolies.

« Mon travail ». C’est en tombant sur une photo d’une vitrine emplie de photographies de beaux mecs japonais que je crois comprendre quel est son travail. C’est un gigolo. Les femmes le paient pour boire un verre avec lui.

En fait, il s’avère que j’ai en partie raison. Après son coup de téléphone, je lui demande quel est son métier, mais cette fois-ci il sort un classeur rempli d’illustrations produits. Il me fait alors son numéro : la première illustration montre une chaîne de vente du producteur, à travers distributeurs et revendeurs, jusqu’au consommateur. L’autre montre une flèche qui éradique tous les intermédiaires.

« Directement du producteur au consommateur ». Je ne suis pas bien sûr de ce qu’il peut vendre. Cela a l’air d’être une sorte de médicament breveté pour les problèmes intestinaux.

En une mixture d’anglais et de japonais, il m’explique qu’il travaille comme gigolo la nuit en complément, mais que son activité principale est son numéro de marketing.

« Beaucoup de travail » me dit-il « mais je suis riche ». Dans le cours de la conversation, j’apprendrai qu’il a été lui-même lutteur dix années auparavant. Au vu de ses oreilles en chou-fleur, je veux bien le croire. Maintenant, il vit à proximité, et passe parfois à la heya pour passer un moment.

Bientôt, les lutteurs commencent à bouger. Quelqu’un entre et commence à balayer, et je replie donc mon couchage pour descendre. En bas, un lutteur balaie, pendant que deux autres font un sort aux boites de chocolat que j’ai apportées en cadeau. Dans la cuisine, d’énormes marmites de ragoût cuisent, tandis que trois lutteurs coupent de gros quartiers de viande. Une glacière, qui contient deux poissons entiers longs comme mon bras, est posée par terre. Je demande si je peux aider, et devant le refus, je remonte pour écrire encore un peu. J’y suis encore à cet instant, prêt à redescendre pour manger.

Tajoha
07/02/2005, 20h11
Très interressant, même si je peux lire la VO je préfère le français :) !

deniishu
07/02/2005, 20h12
j'ai hate de voir la suite
en plus il a un style d'écriture que j'aime bien

toonoryu
08/02/2005, 18h03
Bonsoir,

Deuxième fournée pour le blog. Je précise pour ceux qui l’auraient également lu en VO que certains choix de traduction (le temps au présent par exemple) sont parfaitement volontaires, pour un rendu un peu plus vivant.Quelques choix en terme de vocabulaire aussi (je traduis par exemple stable par heya au lieu d'écurie, c'est plus "sumo").
Sur ce, je vous laisse pour les premières véritables prises de contact de notre ami Jacob au sein de la heya. Enjoy !


Dimanche, 19 décembre 2004

Le Sekitori

L’idée que les sumotori puissent engraisser en mangeant des sashimi élaborés et du bœuf de Kobe, avec de temps à autres quelques tranches de foie gras pour le dépaysement, est séduisante. Elle est cependant à des années-lumière de la vérité. Le régime des sumotori n’est vraiment pas quelque chose d’enviable.

J’ai ma première expérience du menu sumo le vendredi soir, quelques heures après mon arrivée dans la heya. Une fois achevée la sieste de l’après midi, les lutteurs arrivent peu à peu dans la salle commune. Trois tables rondes sont disposées là. Comme on me demande de m’asseoir, je prends place à la table de celui dont je découvrirai un peu plus tard qu’il est le Gyoji.

Les Gyoji sont les arbitres du sumo. Ils sont vêtus dans le style de l’aristocratie de l’ère Heia, d’un kimono chamarré et d’une coiffe laquée, et rendent leur verdict sur le dohyo en agitant l’éventail qu’ils portent. J’imaginais que les Gyoji étaient des hommes d’âge avancé, membres hauts placés de la hiérarchie du sumo. Mais le Gyoji assis à ma table est un gamin ; il ne doit pas avoir plus de 25 ans (je n’ai pas encore essayé de lui demander). Sa coupe de cheveux est courte et classique, et il porte jeans et pull, comme n’importe quel jeune japonais, sauf que, à l’instar de tous les Gyoji, il vit avec les lutteurs dans la heya auquel il appartient.

Nous sommes rejoints à table par le Yobidashi, qui, me paraissant encore plus jeune, m’estomaque encore plus. Les Yobidashi sont les hérauts du sumo, qui proclament les noms des compétiteurs. Celui-ci, qui vit également au sein de la heya, ressemble à un frêle adolescent. Il porte des jeans foncés et un T-shirt noir sur lequel est inscrit « Scorpion Boy ».

Le Gyoji et le Yobidashi mangent tous deux rapidement, et quittent bientôt la table. Pour ma part, je mets plus de temps à avaler mon repas. Celui-ci consiste en des restes de chanko-nabe de l’après-midi : un brouet sombre et acide de miso (ndla : les nipponisants, je compte sur vous, je ne sais pas ce qu'est le miso…) où surnagent des morceaux de poisson plein d’arrêtes. Le chanko-nabe, comme je le découvre alors, n’est pas nécessairement le bouillon de viandes variées dont on m’a parlé. En fait, il se compose de n’importe quelle viande dont on dispose à l’instant, généralement d’une seule sorte. Nous mangeons aussi de petits poissons fumés et salés dont il faut retirer les arrêtes, de grosses tranches de lard très gras, et des pommes de terre baignant dans une sauce épaisse et grasse. Du moins j’imagine que ce sont des pommes de terre ; ce pourrait tout aussi bien être des morceaux de radis noir. C’est difficile à dire, car cela n’a aucun goût et la consistance est trop molle à cause du bouillon.

Les lutteurs ont un bon coup de fourchette, mais ne sont pas les Gargantua que l’on pourrait s’imaginer. Ils s’envoient tous un bol de soupe empli de riz, et au moins un bol de chacun des mets se trouvant sur la table. Mais cela ne semble pas si énorme, si l’on considère le volume de leur ventre.

Une fois le repas achevé, les tables sont débarrassées et posées contre les murs, et tout le monde s’affale sur le sol pour regarder la télévision. L’un des lutteurs s’approche alors de moi et me dit : « viens avec moi. Il y a une autre personne que tu dois rencontrer. C’est un Sekitori ».

Les sekitori rassemblent les rangs les plus élevés du sumo, du grand Champion, le Yokozuna, jusqu’aux juryo. L’unique sekitori de cette heya, un juryo, vit dans une chambre individuelle à laquelle mène un escalier privatif. En chemin, le lutteur qui m’accompagne me rend quelque peu nerveux « Ne dis que ‘mon nom est Jacob, yoroshiku onegaishimasu’ », les mots de présentation usuels. C’est à priori malvenu de s’en écarter lorsque l’on s’adresse à un sekitori.

Lorsque nous atteignons le haut des marches, nous trouvons, rassemblés sur le palier du Sekitori, quelques lutteurs. J’entre, et aperçois le Sekitori assis sur le sol de sa petite chambre, dans un kimono blanc entrebâillé, une console de jeux vidéos à ses genoux. Son regard est perçant, ses cheveux en bataille.

« mon nom est Jacob, yoroshiku onegaishimasu ».
Il me demande quel est mon âge, et je lui réponds que j’ai trente ans.
« c’est vieux », dit-il.
Il me demande alors combien de temps je suis censé rester.
« Environ une semaine »
« Allez vous mettre un mawashi et combattre pour de vrai ? »
« Peut-être ».

Sur ce, il me fait signe de m’en aller, et les lutteurs présents me font sortir de la pièce. En bas, je commence une conversation avec quelques lutteurs parmi les plus jeunes. Le seul non-japonais de la heya, un Mongol du nom de Batto, raille un autre lutteur japonais, complexé par son teint très mat, en le traitant d’Irakien.

« Regardes, c’est un Irakien, c’est le neveu d’Oussama ben Laden », répète-t-il à l’envi.
« Tes blagues mongoles ne sont pas drôles » lui réplique sa victime.

Après un moment, un autre lutteur, Takemura Hiroki (à ne pas confondre avec son jeune frère Takemura Tatsuya, autre lutteur de la heya), m’invite au sento, les bains publics japonais. J’y vais, appréhendant quelque peu qu’il puisse me demander de lui frotter le dos, ou pire, ayant entendu ce que les plus jeunes lutteurs avaient parfois à faire pour leurs aînés. Mais le refus des autres lutteurs des les aider en cuisine m’a indiqué d’ores et déjà que, contrairement à ce que l’oyakata a pu me dire, je ne serai pas tout à fait traité comme un apprenti lutteur. Et, de toute manière, ma plus grande crainte est maintenant de rentrer chez moi avec des oreilles en chou-fleur, alors…

Tatsuya et moi même frottons nos corps respectifs, et essayons de papoter, mais à l’instar de nombreux lutteurs, son accent est à la limite du compréhensible. Il me dit qu’il est d’une ville ouvrière du centre du Japon, à la criminalité importante (mais pas autant qu’une ville américaine, insiste-t-il). Lorsqu’il a eu 16 ans, un de ses professeurs de lycée qui connaissait l’oyakata l’a recommandé pour la heya, bien qu’il n’avait jamais lutté auparavant. Il a donc quitté l’école pour venir à Tokyo.

De retour à la heya, je passe le temps avec les lutteurs dans la salle commune. Ils regardent la télévision, se baladent avec leurs cellulaires, jouent avec leurs gameboy. Tout semble normal et apaisé, mais je suis toujours particulièrement conscient de la brutalité présente sous cet aspect bonhomme – ces gars, après tout vivent du combat. Leurs visages couverts de bleus, leurs yeux au beurre noir et leurs oreilles en chou-fleur ne semblent pas leur poser de problèmes : la douleur, lorsqu’on passe toutes ses journées à faire des reprises sur un dohyo, est un élément de la vie quotidienne. Mais leur style de vie, consistant à s’infliger l’un l’autre les pires douleurs toute la matinée, puis à se reposer béatement ensemble toute la soirée, leur donne l’aspect de membres d’un étrange monastère de la violence, une confrérie très hiérarchisée de bagarreurs de rue.

Bientôt, je vois certains d’entre eux sortir les futons de leurs placards, et je comprends dès lors que la pièce, qui sert déjà de réfectoire et de salon, s’apprête à devenir une chambre à coucher. Je remonte dans la plus petite pièce, où je suis installé, me rendant compte à présent que je suis logé avec les plus importants lutteurs (en dehors du sekitori) qui bénéficient d’un peu plus d’intimité, ont moins de colocataires et, plus important, ont la possibilité d’avoir pas mal d’affaires personnelles. Les inférieurs ne peuvent pas avoir grand chose car ils n’ont pas la place pour les mettre. Les gars d’en haut marquent leur territoire par l’accumulation d’affaires.

Personne n’est dans la chambre lorsque j’y arrive, et le chauffage est coupé. Je déplie alors mon futon et m’enroule dans la couverture pour me tenir chaud. Je m’endors sans même m’en rendre compte et dors comme une masse toute la nuit.

Tajoha
08/02/2005, 22h34
Tu comptes tout traduire ? C'est très long (j'ai même pas réussi à tout lire ce soir), mais vraiment interessant aussi. Faudra archiver ta traduction alors.

toonoryu
08/02/2005, 23h51
Ben, j'essaierai au moins (s'il y a des lecteurs...), ça m'entraîne... qu'entends tu par "archiver" ? il y a un autre type de stockage sur le site ?

Asafan
09/02/2005, 00h19
bien sûr qu'il y a des lecteurs! continue, c'est passionnant. Et merci pour tout ce boulot.

deniishu
09/02/2005, 13h46
moi je veux bien voir la suite
pour une fois que je lis quelque chose régulièrement
La suite... :lol: La suite... :lol: La suite... :lol: La suite... :lol: La suite... :lol:

Kaiowaka
09/02/2005, 13h50
Continue Toonoryu, on veut savoir la suite !!!!!!!!!

C'est passionnant !

Merci en tous les cas pour ton travail !

Tajoha
09/02/2005, 14h18
Je sais pas si on peut archiver ici, mais je voulais dire mettre ta traduction en valeur d'une manière ou d'une autre de telle sorte que tout le monde puisse y avoir accès rapidement (et que ça ne sombre pas dans les profondeurs du forum). Peut être en faire un article ?

toonoryu
09/02/2005, 14h35
A mon avis, c'est un peu long pour en faire un article (dans les soixante pages actuellement, au 2 février). J'avoue que je ne maîtrise pas les arcanes d'internet pour savoir quoi faire à ce niveau. A propos, faudra patienter au moins jusqu'à demain pour la prochaine livraison, qui est un peu plus longue. Sujet : l'entrainement.

Kaiowaka
09/02/2005, 14h37
On s'en réjouit d'avance et on patientera le temps qu'il faudra !!!!!! :wink: :roll: 8O :mrgreen:

toonoryu
09/02/2005, 19h22
Aaaargh, j’ai quand même réussi à trouver une heure ou deux pour achever la traduction du jour, pour les lecteurs assidus du forum (l’autoglorification, j’y crois même pas…). Voici donc les suites des aventures de Jacob, qui assiste à son premier entraînement. Enjoy !

Lundi, 20 décembre 2004



L’entraînement

Je me réveille le samedi sur les coups de six heures du matin, avec les lutteurs autour de moi qui émergent lentement de leur sommeil et se préparent pour l’entraînement. Mon énorme voisin de lit, Saita, a déjà roulé son couchage et reste assis dans le noir, entourant ses poignets et chevilles de bandages.

Après son départ, je me lève et descend au rez-de-chaussée. Je tombe sur Batto dans le couloir. Il porte un mawashi et me fait signe d’aller dans la salle commune. Contiguë à cette dernière, se trouve une aire d’entraînement de taille similaire, au sol en terre battue. Elle se trouve à un niveau inférieur, si bien que l’entrée de la salle commune fait saillie. Au centre de cette saillie se trouve un coussin vide avec d’un côté un cendrier vide, et de l’autre un quotidien sportif attendant l’oyakata, comme je le suppose avec raison.

Au centre de la salle d’entraînement de trouve le dohyo, aire circulaire délimitée par d’étroites botte de pailles à demi-enterrées.

Pour l’instant, je n’ai encore vu personne dans la pièce, il n’y avait ce matin qu’un gros monticule de terre avec un papier blanc savamment plié enfoncé au sommet – qui se révèlera être de nature religieuse (ndla : si quelqu'un peut développer...).

Là, le gros monticule a disparu, et les lutteurs se tiennent en rangs dans la pièce. L’un d’entre eux commence à égrener un compte et, à chaque chiffre, les lutteurs frappent l’une de leurs cuisses, lèvent une jambe de côté, la frappent au sol puis s’accroupissent. Les levers de jambe ne sont pas franchement synchronisés, mais sont plutôt comme une lente pétarade.

Ils portent tous un mawashi gris, et à peu près la moitié d’entre eux ont des bandages aux pieds ou aux mains. Certains ont d’énormes ventres proéminents, de grosses poitrines tombantes et de grotesques amas de bourrelets dégoulinants sur les côtés de leur mawashi. Mais, même chez les plus gros, leur musculature est clairement apparente. Quand ils frappent le sol, leurs amas de chair sont comprimés et leurs muscles tendus apparaissent.

Après leurs étirements, ils forment alors une sorte de file indienne et s’avancent autour du périmètre du dohyo. Un lutteur balaie alors celui-ci, tandis qu’un autre l’arrose avec l’eau d’un pot de fleur bleu ciel.

Deux lutteurs se mettent alors face à face, puis se chargent mutuellement. Après une brève échauffourée, l’un d’eux se retrouve en dehors. Les combats se succèdent à un rythme soutenu, un nouvel adversaire se présentant pour remplacer celui venant d’être projeté au dehors ou, moins souvent, au sol.

Le choc d’entrée est une collision brutale. Quelques uns entrechoquent leurs têtes, et l’on peut entendre le bruit des crânes qui se cognent. Un autre lutteur, après avoir encaissé un grand nombre de charges à l’épaule, se met à saigner au point de contact. Et, au vu des traces, bleus et coupures présentes dans la salle, c’est apparemment un matin plutôt calme.

Peu après le début des combats, le Kashira fait son entrée par une porte extérieure. Il enlève ses chaussures et sa veste. Peu après, le Yobidashi entre dans la salle commune, toujours dans son T-shirt « Scorpion Boy » et un pantalon à carreaux, et s’assied juste derrière moi. Lui faisant un signe, le Kashira lui souffle quelque chose à l’oreille, apparemment pour m’enjoindre de ne pas m’asseoir le jambes étendues comme je l’ai fait jusqu’à présent. Je dois être assis jambes croisées, m’indique le Yobidashi. Un jour et demi après être resté assis pendant les quatre heures d’entraînement, mes jambes me font toujours mal.

Environ une heure et demi après le début des combats, le Sekitori fait son entrée, dans un mawashi blanc. Tous les lutteurs s’inclinent devant lui avec déférence, tandis qu’il s’avance vers le robinet qui se trouve de l’autre côté de la salle d’entraînement, où il se rince la bouche de grandes gorgées d’eau. Bien qu’étant le lutteur le plus accompli dans la pièce, il est loin d’être le plus gros. Ses bras et ses jambes sont fins, avec des muscles bien dessinés, son ventre, rond et ferme comme une pierre polie. Il reste dans un coin de la salle, pratiquant des étirements et levers de jambe.

Finalement, environ deux heures après le début de l’entraînement, l’Oyakata descend les marches qui mènent de son appartement au hall d’entrée. Il s’assied sur le coussin qu’on lui a disposé et s’allume une cigarette. Après un instant, il se penche vers moi et me murmure « vous voulez un petit-déjeuner ? ». Je lui fais signe que ça va, bien qu’affamé et en manque cruel de caféine.

L’Oyakata et le Kashira restent à leur place sur l’entrée, lançant d temps à autres des critiques aux perdants des matches. Les combats se poursuivent l’un après l’autre, des lutteurs de rangs proches se bousculant pour prendre place face au dernier vainqueur, se contemplant durant un bref instant d’éternité, puis s’entrechoquant au milieu du dohyo. Après chaque douzaine de matches, un lutteur se positionne au bord du dohyo et laisse un autre lutteur le charger. Il se laisse pousser au travers du dohyo sans soulever ses pieds, en grattant la surface comme une surfaceuse humaine. Puis les deux lutteurs simulent un match rapide, celui ayant servi de surfaceuse se laissant projeter au sol, en faisant un saut de l’ange avant de sauter sur ses pieds.

Après pas mal de reprises de cela, la plupart des lutteurs qui ont combattu ayant eu l’opportunité de pousser ou d’être poussés, le dohyo est à nouveau balayé et arrosé, puis une nouvelle série de matches reprend avec des lutteurs plus haut classés.

Dans la dernière série, Kitamura et un véritable géant du nom de Nakahara affrontent tour à tour le Sekitori. Dès que ce dernier fait son entrée sur le dohyo, trois jeunes lutteurs – Batto le Mongol, un costaud nommé Fuchita et Hayeshida, lui assez petit et paraissant très jeune – s’alignent à l’arrière, porteurs respectivement d’une serviette, d’un bol de sel et d’un balai. Le Sekitori prend alors quelques poignées de sel, et s’en frotte les bras, les jambes et la bouche, puis et répand sur le dohyo. Puis il affronte Kitamura.

Kitamura est de loin le lutteur le plus fin, toute chose étant relative. Son torse est large et bien dessiné avec, chose extrêmement rare ici, des abdominaux clairement visibles. L’ensemble de sa carrure fait qu’il ne semble pas déplacé parmi les autres lutteurs, mais presque l’ensemble de celle-ci est composée de muscles.

Malgré cela, il ne fait pas le poids devant le plus gros mais plus flasque Sekitori, qui le sort du dohyo match après match. Très rarement, le Sekitori peut se retrouver sur le point d’être lui même projeté, mais même en ces occasions, il se débrouille pour contourner son adversaire pour le balancer en dehors.

L’une des rares fois où il se retrouve entraîné au dehors du dohyo est quand le bien plus imposant Nakahara parvient à le coincer dans son étreinte sur le rebord du dohyo et, se servant de son énorme ventre comme d’un levier, soulève le Sekitori pour le déposer en dehors des limites.

Les victoires du Sekitori sont, malgré cela, largement plus nombreuses. Il excelle dans l’art d’utiliser la force de son adversaire le projeter lui-même en dehors. Lorsqu’il est chargé, il s’écarte souvent au dernier moment, attrapant son adversaire par le mawashi et l’entraînant en dehors du dohyo grâce à son inertie.

Lors d’un combat avec Nakahara, alors qu’il agrippe celui-ci, le Sekitori commence à le provoquer vertement : « Tu comptes faire quoi ? Tu comptes faire quoi ? », lui dit-il alors que, pratiquement submergé dans les chairs du géant, il finit par le faire valser autour du dohyo avant de le laisser simplement s’écrouler.

A la fin de cette série de confrontations, le dohyo se transforme en une « surfaceuse pour tous », les lutteurs se succédant dans des séries de poussées. Kitamura et Nakahara, tour à tour, offrent une louche d’eau au Sekitori, qu’il refuse. Les lutteurs sont couverts de sueur, leurs cheveux retombant de leurs chignons. Beaucoup ont le dos entièrement recouvert de terre qui se colle sur eux lorsqu’ils sont projetés au sol.

Entre temps, je commence à m’inquiéter. Je commence à me demander ce qui a bien pu me passer par la tête quand je me suis imaginé que je pouvais m’entraîner avec ces gars. Je m’étais sans doute imaginé qu’il feraient quelques séances de gym, répèteraient des mouvements comme dans un cours de judo, et qu’ils s’affronteraient dans quelque combats raffinés et softs.

Je suis très loin du compte. Voilà comment ils s’entraînent vraiment : ils s’entrechoquent comme deux locomotives face à face, poussent, bousculent, culbutent ou agrippent l’autre jusqu’à le soumettre. Aucun calcul : on saute sur le dohyo et on y va. Je réalise soudain que me confronter à l’un de ces gars sur le dohyo serait comme foncer à mobylette contre une rame de métro. Je serais broyé, au sens propre.

C’est peut-être vrai, toutefois, j’essaye de reprendre mon sang-froid. Je peux toujours aller ici et là, regarder ce qui se passe, parler au maximum de personnes. Je ne suis pas forcé de monter sur le dohyo pour tirer les vers du nez du maître.

C’est alors que, tandis que les lutteurs s’essuient et entament le balayage final du dohyo, l’Oyakata se penche à nouveau vers moi
« alors, vous voulez essayer ? ».

j’ai comme dans l’idée que la réponse qu’il attend, et que je partage désormais, est un « non ». J’essaie donc de m’en tirer avec le plus d’élégance possible.
« Vous savez, j’aimerais essayer, mais je n’ai aucune idée de la façon de faire ».

A ma grande surprise, toutefois, il ne me laisse pas m’en tirer ainsi.
« Bien sûr, mais quelqu’un peut vous l’apprendre, petit à petit. Et s’il y a quelque chose que vous ne voulez pas faire, vous n’êtes pas obligé de le faire ».

en un clin d’œil, je me retrouve replongé dans la partie. Lundi (le dimanche est leur jour chômé), je débuterai mon entraînement de sumo.

Dans l’intervalle, Batto a commencé à balayer le terre en surface du dohyo en un monticule disposé au centre, comme je l’avais entraperçu auparavant, tandis que quelques lutteurs discutent avec le Sekitori. Dans la pièce commune, le coiffeur de sumo, le « tokoyama », qui est arrivé et a commencé sa préparation pendant les derniers matches, travaille les cheveux d’un lutteur avec de l’huile parfumée et les attache en un chignon. Le tokoyama – son nom est Tokokado – vivait dans la heya, mais l’a quittée lorsqu’il s’est marié, et apparaît désormais à la fin des séances d’entraînement.

Alors que je m’apprête à quitter la pièce, le Sekitori m’appelle, me désignant Hayeshida.
« hey, c’est un pédé » dit-il. Rire général. Je me figure que quand le Sekitori lance une blague ou une insulte, tout le monde rit.

« Vraiment ? » demandé-je innocemment. Je ne sais pas trop quoi dire. Je ne veux pas entrer dans le jeu du Sekitori en riant moi-même, mais je ne peux pas rester complètement indifférent.

Ma réponse fait rire le Sekitori et, par voie de conséquence, tout le monde. Ce qui pousse le Sekitori a poursuivre sa blague « lui aussi, c’est une fiotte », dit-il, en montrant Kitamura, déclenchant de nouveaux rires. « Il est bisexuel ».

« Oh », dis-je en quittant la pièce.

Je remonte dans ma chambre, où Moriyasu, qui est mon voisin, joue avec son cellulaire en écoutant Missy Elliot. Moriyasu est arrivé dans la heya treize ans auparavant, à l’âge de quinze ans. Il est actuellement en makushita, le plus haut rang des waikashu, les divisions inférieures, juste en dessous du Sekitori qui, comme juryo, est au rang le plus bas des divisions professionnelles.
Après avoir attendu que le Sekitori en ait fini avec son bain, Moriyasu va lui-même se baigner et m’invite à le rejoindre. Je commence à croire que les lutteurs, ici, sont un peu trop enclins à partager leur bain avec moi, mais me range finalement à l’explication qu’ils veulent être sûrs que je sais comment prendre un bain à la japonaise, où l’on se récure avant de plonger dans la baignoire. Deux autres lutteurs – particulièrement énormes – nous rejoignent dans la salle de bains.

J’aimerais pouvoir dire quelque chose d’intelligent à propos sur l’expérience de partager un bain avec trois sumotori couverts de mousse, mais cela s’avère particulièrement banal.

Bref, une fois baignés, Moriyasu me dit que je devrais remercier l’Oyakata. Je ne comprends pas très bien pourquoi, puisque je viens juste de lui parler durant l’entraînement, mais il me conduit en haut des marches et m’enjoint de dire « Otsukarisan degozaimasu », version sumoïstique d’une expression banale de remerciement après une dure journée de labeur. Arrivés à l’appartement de l’Oyakata, nous passons devant son épouse assise dans la cuisine et arrivons dans le bureau où se tient l’Oyakata.

« Otsukarisan degozaimasu », dis-je, tandis que Moriyasu me retire les mains des poches où je les ai inconsciemment et fort impoliment fourrées alors que je m’adresse à l’Oyakata. Lorsque ce dernier me donne congé, Moriyasu me pousse en dehors du bureau et me bouscule jusqu’en bas en me réprimandant avec un maternel « Garde tes mains hors de tes poches quand tu parles à l’Oyakata ».

De retour à la salle commune, le Sekitori est en train de prendre son repas, assis tout seul par terre. Hayeshida, Fushita et Batto se tiennent debout de l’autre côté de la table, lui servant son chanko-nabe et lui versant du thé glacé, encore dans leur mawashi qui les fait en la circonstance ressembler à de jeunes esclaves de la Grèce antique.

Dans un nouvel exemple de mon statut ambigu dans ce monde hautement stratifié, Moriyasu m’indique que je devrais commencer à manger, maintenant, avec le Sekitori dont je croyais qu’il mangeait toujours le premier et seul. Je m’assied à ses côtés, et Fuchita me sert un bol de chanko-nabe. Puis le Sekitori lui crie de me servir un verre de thé glacé : c’est la première et dernière fois que j’aurai une boisson avec un repas en ces lieux.

Alors que nous mangeons, les lutteurs défilent, se rendant eux-mêmes chez l’Oyakata pour le remercier. Je me rends compte que c’est quelque chose que tout le monde fait tous les jours une fois baigné après la séance d’entraînement matinale. Alors qu’un lutteur traverse la pièce, le Sekitori me dit « son nom est Gu-Rauns ».

Je le crois sur parole, bien que tout le monde se mette à rire, y compris le lutteur qu’il désigne. « Okay », répons-je.
« Il est de Yamaguchi » poursuit le Sekitori, attendant les rires. « Gu-Rauns veut dire ‘trou du cul’ dans le patois de Yamaguchi. C’est pour cela que c’est son nom ».
« Oh, vraiment ? » dis-je, recherchant une réplique qui éviterait de rentrer dans son jeu. « on dirait du Français ». Je répète alors « Gu-Rauns » quelques fois avec un accent français très prononcé.
« Français, vraiment ? » dit le Sekitori, tandis que le lutteur de Yamaguchi poursuit son chemin « là, ça le fait pas mal ».

le nabe est bien meilleur que celui de la veille : il consiste en des morceaux de poulet dans un bouillon clair, accompagné de choux, champignons et carottes. Les assiettes complémentaires – des tranches de gâteau de poisson avec une sauce légèrement pimentée et de petites tranches de viande grillée – sont également plus comestibles. Mais j’ai du mal à en profiter en la présence du Sekitori et de ses esclaves, et je respire donc quand celui-ci annonce « je suis plein » et part rejoindre ses propres quartiers.

Je tyermine mon propre repas et remonte en haut dans la chambre, avec l’intention de tuer le temps jusqu’à ce que tout le monde ait fini de manger et se soit couché, pour pouvoir sortir sans rendre de comptes et brancher mon ordinateur sur une ligne téléphonique et vérifier mes e-mails. Mais, chose peu surprenante après une journée sans caféine, je m’endors moi-même une paire d’heures jusqu’à l’heure du dîner. Après le dîner, je regarde en compagnie de quelques lutteurs une série coréenne, avant de retourner me coucher.

Ce rythme de vie, manger, dormir, manger puis dormir encore, est la raison précise de la prise de poids des sumotori.

toonoryu
10/02/2005, 18h40
Au fait, toujours personne qui pourrait m'indiquer ce qu'est le miso, en cuisine japonaise ?

Konosato
10/02/2005, 21h02
Le miso? eh bien cliquez ici (http://www.cuisine-vegetarienne.com/index.php?in_id=105) pour en savoir plus :D

wario959
14/02/2005, 14h56
C'est très intéressant toonoryu, :D je ne voyais pas la vie des sumotoris si difficile. 8O

pereboulon
15/02/2005, 12h24
Superbe traduction que tu nous fais là toonoryu ! Le texte en lui-même est formidable car l'idée de départ est très bonne et j'attends chaque nouveau jour avec impatience (même si je lis un petit peu l'anglais).

Bravo !

toonoryu
15/02/2005, 13h26
Pour répondre aux impatiences :wink: , un nouveau jour de traduit. Désolé pour le retard, j'ai été assez pris ces temps-ci, mais je devrais pouvoir produire quelques pages d'ici la fin de la semine. Voici donc le dimanche à la heya, où notre auteur se rends compte qu'il n'est quand même pas considéré comme un lutteur comme les autres, et que Ishide a décidément un humour assez... particulier. Ce soir, peut-être, la première séance de shikos. Stay tuned and enjoy !!



Mardi, 21 décembre 2004


L’Homme à la Tête de Chien


Le dimanche est le jour de repos de la heya, sans entraînement matinal. Aucun de mes camarades de chambrée n’était autour de moi quand je me suis couché la nuit précédente et, lorsque je me réveille, tous à l’exception de Moriyasu – qui n’est toujours pas rentré – sont plongés dans un profond sommeil.

En bas, une poignée de lutteurs sont avachis dans la salle commune devant la télévision. Mitsui, un homme au visage serein et réfléchi, a mis des lunettes pour lire une bande dessinée, assis contre le mur. Deux autres lutteurs sont assis côte à côte, presque blottis l’un contre l’autre, et bricolent chacun leur portable. Les frères Takemura, Tatsuya et Hiroki, dévorent un tas de Mc Muffin et quelques boîtes de Mc Nuggets en attendant de passer à table. Batto met en place une corde à linge dans la salle d’entraînement, puis y suspend le kesho mawashi du sekitori pour l’aérer.

Les Kesho mawashi sont des mawashi de cérémonie avec un tablier, que portent les haut gradés pendant les tournois. ils sont en soie, faits main, coûtent des milliers de dollars et sont généralement offerts par les oyakata ou des groupes de supporters. Le kesho mawashi que Batto a suspendu en face de la salle commune a comme l’image d’une mascotte portant un marteau brodée dessus. Le shikona du sekitori, Ishide, est brodé à droite.

Je demande à Hiroki ce que font les lutteurs pendant leur jour de repos. « On dort, on se baigne, on se repose… des trucs comme ça » me dit-il

Comme j’ai pas mal dormi les deux derniers jours, aidé en cela par l’apparente absence de café dans la heya, et que je sais que personne ne me laissera l’aider aux tâches ménagères, même si j’insiste, je décide d’aller me balader l’après midi. J’ai besoin d’un peu d’air, n’ayant quasiment pas quitté la heya depuis mon arrivée. Donc, après le déjeuner, je prends le train vers Shibuya, où je peux enfin goûter à un café tant mérité et recevoir mes e-mail dans un cybercafé.

J’aimerais bien prendre également mon dîner dehors – manger indien, ou bien une pizza, quelque chose qui n’apparaîtra jamais sur le menu de la heya. Mais j’ignore quand les lutteurs attendent mon retour et craint que de rester dehors trop longtemps puisse être mal perçu. Je me mets donc sur le chemin du retour, prenant cette fois mon train à la station de Harajuku, ou je traverse la foule du dimanche après midi, des métalleux, des gothiques, ou des lolitas perverses, et des touristes faisant la queue pour les photographier.

Le dîner à la heya, s’avère en fin de compte une agréable surprise : coquilles Saint Jacques grillées, avec quelques plats d’accompagnement. Après avoir dîner et m’être une nouvelle fois vu refuser mon aide pour la vaisselle, je monte pour taper quelques notes.

Peu après, Tatsuya vient m’annoncer que c’est l’heure du thé. Je le suis en bas, où nous passons devant le sekitori, accompagné de Batto, qui se rendent à la salle de bains.

Je suppose tout d’abord que le thé est une tradition du jour de repos et m’attends à voir toute une assemblée de lutteurs, tasse à la main, dans la salle commune. Au lieu de ça, on me tend une tasse de café et un beignet, et me dit de m’asseoir par terre. Apparemment, ce n’est l’heure du thé que pour moi. Dans un petit accès de paranoïa, je m’imagine qu’ils espèrent me voir boire un café, rester éveillé toute la nuit et dormir pendant l’entraînement demain matin, leur épargnant l’embarras de m’habiller en mawashi et de m’emmener sur le dohyo avec eux. Mais la vérité doit être tout simplement qu’ils se sont figurer que m’offrir un café et un beignet serait un geste sympa, ce que c’est d’ailleurs.

Je m’assied avec mon café et mon beignet, et regarde un programme télévisé sur des enquêteurs traitant des légendes urbaines. Dans l’épisode, ils vérifient la véracité de l’histoire d’une dame qui a passé son chat au micro-ondes et doivent découvrir si la nourriture brûlée donne ou non le cancer. Soudain, le sekitori entre, une serviette jaune autour de la taille, suivi de Batto, le caleçon relevé à la manière d’un string.

Tout le monde se lève à l’entrée du sekitori. Je regarde vers Ishiwaka, celui que Batto a appelé l’Irakien. Ce dernier secoue légèrement la tête, me faisant signe que je n’ai pas à me lever. Le sekitori tend une boîte emplie de papiers à Mitsui, puis se met devant le réchaud pour quitter sa serviette pour une paire de shorts. Un autre lutteur, grand, la mâchoire carrée, nommé Matsunaga, se balade entre moi et la télévision. Le sekitori le remarque. « pousses toi de là » aboie-t-il à son attention.

Plus tard, assis à côté de Mitsui, le sekitori discute avec lui, me semble-t-il de ce qu’ils pensent que j’arrive à comprendre du programme télé. C’est bien ça.

« Combien comprends-tu de l’émission ? » me demande le sekitori.
« Environ 60 pour cent »

Il bouscule Mitsui. « Je t’avais bien dit qu’il ne comprend pas tout ». Puis il pointe Mitsui du doigt et me dit : « Il n’en comprend que 40% », déclenchant un rire général. Puis il montre Kitamura, alors en train de faire sécher la serviette du sekitori devant le réchaud. « Lui, que 15% ».

Après les éclats de rire, il reste près de Mitsui quelques moments, avant de se lever pour faire une prise enserrant la tête de Fuchita, lequel se met à tousser et à défaillir, le visage tout rouge. Après qu’il a desserré son étreinte, Fuchita continue de longs moments à respirer péniblement.

Maintenant, le programme télé s’intéresse à l’homme à tête de chien, qui est apparemment une légende urbaine très connue au Japon. La caméra zoome sur un visage momifié d’homme à tête de chien, qui s’est révélé être un canular. Le sekitori montre le visage de Kitamura, indiquant une ressemblance ressentie avec la mine de l’homme-chien. Kitamura ne fait pas attention, et tout le monde rit donc sous cape jusqu’à ce qu’il lève la tête pour se rendre compte qu’il est l’objet d’une autre des farces du sekitori.

L’assemblée peut alors partir encore une fois dans un éclat de rire gras et général.

Kaiowaka
15/02/2005, 15h37
Si celà peut t'aider Toonoryu, voici les données de toutes les personnes qui sont dans la même beya..........! (classements - Banzuke Hatsu 2005 !)

Owner

HANAREGOMA Teruyuki (f. Ozeki Kaiketsu)

Juryo wrestlers
Ishide (West Juryo 4)

Makushita wrestlers
Kaishozan (West Makushita 11)
Kitamura (East Makushita 20)
Komanofuji (West Makushita 24)

Sandanme wrestlers
Matsunaga (East Sandanme 33)
Murayoshi (West Sandanme 30)

Jonidan wrestlers
Fuchita (East Jonidan 30)
Hayashida (West Jonidan 94)
Ishikawa (East Jonidan 107)
Kainoyama (West Jonidan 11)
Komanohide (West Jonidan 59)
Komanosho (East Jonidan 31)
Mitsui (East Jonidan 52)
Saita (West Jonidan 10)
Takemura (East Jonidan 101)
Wakatora (East Jonidan 59)

Jonokuchi wrestlers
Kainokuni (West Jonokuchi 34)

Gyoji (referee)
Kimura Kichijiro (Sandanme-kaku)
Kimura Nobutaka (Makunouchi-kaku)

Yobidashi (helpers)
Haruki (Jonokuchi)
Katsuyuki (Sanyaku)

Wakaimonogashira
Hananokuni (f. Makuuchi Hananokuni) = Kashira !

Tokoyama (hairdressers)
Tokokado (3)

Y a peut-être des orthographes ou des noms à corriger !!!!!!
Pas de traces aussi de Nakahara, de Batto, de Tatsuya et de Hiroki !

toonoryu
15/02/2005, 19h13
Merci wak pour ces renseignements, qui permettent d'un peu mieux situer les lutteurs mentionnés dans le blog.

Nouvelle livraison ce soir, où Jacob apprend dans la douleur ce qu'est un entraînement de sumo. Assez sympa, bien que violent, cet article pourrait bien faire réagir... Enjoy !



Mardi, 23 décembre 2004



Le Mawashi

Le petit matin dans une heya a quelque chose de féerique. Personne ne parle, même s’ils murmurent dans leur coin et respirent fort, passant dans les couloirs dans leurs légers kimonos et entourant en silence leurs blessures du jour précédent avec des bandages. C’est une atmosphère que je suis réticent de briser, en ce lundi matin, mais je n’ai absolument aucune idée de la façon de me préparer pour le dohyo. Finalement, c’est Hiroki qui me voit un peu perdu dans les couloirs, près de la salle de bains, et me demande ce qui se passe.

« L’oyakata a dit que je pouvais essayer aujourd’hui »
« Donc tu mets un mawashi ? »
« Oui, si ça ne dérange pas ».

Il prend un mawashi – une longue et large bande de tissu gris, repliée dans le sens de la longueur – de la pile attenante et me dit de me déshabiller, ce que je fais. Pour le mettre, il me faut d’abord le déplier, tenant un bout sous le menton, et le passer entre mes jambes en une sorte vasque effilée. Puis je tourne sur moi même tandis que Hiroki enroule le reste de la toile autour de moi comme une ceinture. Juste avant les derniers tours, il me montre comment enserrer le bout de mawashi que je tiens toujours sous le menton de manière à pouvoir le détacher pour aller aux toilettes. Pour finir, quand l’ensemble du mawashi est enroulé autour de ma taille, il termine en enserrant le reste dans mon dos. Le mawashi ne fait en principe que quelques tours autour de la taille des lutteurs avant d’être achevé. Pour ce qui me concerne, toutefois, j’ai eu à tourner tellement de fois qu’il s’est quasiment transformé en un tutu fait de rouleau isolant pour charpente…

Vêtu de mon mawashi, je suis Hiroki vers le terrain d’entraînement en terre battue, au contact bien froid sous mes pieds nus. Hiroki me demande d’attendre sur le côté jusqu’à ce que quelqu’un ait le temps de venir pour m’expliquer comment faire, mais Murayoshi, le camarade de chambrée que j’ai vu dormir avec un inhalateur de ventoline, me fait bondir dans la ligne des lutteurs qui pratiquent le lever de jambe de côté, le shiko.

C’est bien plus dur que ça en a l’air. Il me faut garder mes mains sur les genoux, pouces vers l’avant et coudes en arrière durant le squat ; les pieds doivent être dans l’axe des épaules ; les pieds doivent frapper franchement, les genoux verrouillés. Et avant chaque combinaison squat-frapper de sol, je dois claquer bruyamment mes cuisses.

Chaque lutteur compte à tour de rôle dix répétitions, ce qui fait environ 150 au total : bel exercice de musculation des jambes. Puis nous nous agenouillons sur la jambe gauche tout en étirant la droite, changeons de position et répétons l’exercice en entier quelques fois. Regardant autour de moi, je m’aperçois que les lutteurs, même les plus gros d’entre eux, transpirent nettement moins que moi.

Puis, suivant la direction des lutteurs, je pose mes fesse presque nues sur le sol et étire mes jambes au maximum. Il faut toucher les orteils, ce qui s’avère particulièrement difficile en raison des nombreuses couches de tissu qui me rentrent dans l’estomac.

Puis tous les lutteurs se penchent vers l’avant, amenant leur estomac tout près du sol. Je suis très loin de pouvoir le faire. Murayoshi, apercevant ma piètre performance, repousse mes jambes un peu plus loin encore avec sa plante de pieds et presse doucement sur mon dos, amenant mon torse plus près du sol. Soudain, quelque chose claque dans le haut de ma cuisse gauche. Je ne peux dire que cela soit quelque chose de grave, pas un claquage ou apparenté, mais c’est clairement un claquement et ça fait mal. Murayoshi l’a aussi entendu. Il s’arrête de pousser et me dit quelque chose que je ne suis pas sûr de comprendre, mais qui ressemble à « Gagné… ».

Les combats peuvent alors commencer, les moins gradés entrant en premier tout comme samedi. Murayoshi m’enjoint de poursuivre mes shikos, à l’instar de beaucoup d’autres lutteurs. Le mouvement me permet de ne pas trop ressentir le froid, en dépit du fait que je me trouve sur un sol de terre battue dans une pièce non chauffée, et quasiment nu. Mais dès que les autres lutteurs s’arrêtent, je stoppe également mes mouvements, pour ne pas me couvrir de ridicule en étant tout seul à les poursuivre.

La pause est brève toutefois. Bientôt, le Kashira fait son apparition, et fait signe à Mitsui, qui se trouve à côté de moi, de me faire continuer les shikos, peut-être parce qu’il veut que je reste chaud, ou parce que c’est ce qu’on doit faire quand on est sur le dohyo pour la première fois. Bref, je poursuis mes shikos sans m’arrêter pendant quasiment une heure, de peur que le Kashira ne me fasse une remarque comme samedi à propos de mes jambes dépliées. Mitsui m’accompagne, s’arrêtant parfois pour corriger ma position.

Au bout d’une heure, je commence à avoir les hanches très douloureuses et ne peux quasiment plus tenir sur une jambe tout en frappant le sol avec l’autre. Quand Mitsui s’arrête enfin, je l’imite, trop fatigué pour continuer et me sentant toujours ridicule d’être seul à poursuivre l’exercice.

Debout, dans mon mawashi, je sens très vite le froid me prendre à la gorge. Je me demande soudain ce que je fais là, en slip de tissu à faire des mouvements de gymnastique, puis à attendre là dans ce froid mordant de pouvoir m’entraîner au bout du compte. Cela va-t-il vraiment ajouter quelque chose à ma compréhension du sumo plutôt que de rester à voir l’entraînement du sol confortable et chaud de la salle d’entraînement ? Mais, si la réponse est non, cela ne vient-il pas remettre en cause l’essence même de mon projet d’étude ?

Au milieu de cet afflux de questions existentielles, je finis pas regarder un petit peu l’entraînement qui se déroule devant moi. Les combats d’aujourd’hui sont de loin plus brutaux que ce que j’ai vu samedi. Le plus renversant étant de se rappeler de la façon dont ces gars sont en dehors du dohyo, me cajolant pratiquement pour être sûrs que je ne manque de rien, nourriture ou bains.

Quelques instants auparavant, Murayoshi est venu me demander si j’ai besoin d’une pause pour aller me baigner, craignant sans doute que je puisse ne pas en prendre un parce que je ne sais pas ôter mon mawashi. Maintenant, il est sur le dohyo avec Hiroki et le démolit littéralement. Hiroki était déjà dans un sale état : son genou droit et sa cuisse droite en sang. Mais il continue encore et toujours à remonter sur le dohyo avec Murayoshi, qui va largement au-delà de la simple bestialité nécessaire pour remporter un match. Plus d’une fois, il balance Hiroki hors du dohyo, puis lui sort de nulle part une baffe gratuite en chemin. A une occasion, il jette même Hiroki au sol, puis le frappe dans le dos.

Muriyasu est encore plus brutal. Pendant une séance de « polisseuse », qui sont en réalité dénommées butsukarigeiko, il met au défi Batto de le sortir du dohyo, mais ce dernier se révèle incapable de le bouger plus d’un mètre à chaque fois. Muriyasu lui hurle constamment à l’oreille « plus vite ! Tu es trop lent ! ».

Toutes les séances « polisseuse » que j’ai vu jusqu’ici ont été suivies de combats simulés, ou le pousseur, toujours le moins gradé, laisse le haut gradé repousse le mener tout autour du dohyo par le cou. Puis le pousseur se laisse projeter au sol d’où il bondit de manière théâtrale sur ses pieds.

Mais cette fois ci, il ne s’agit plus de combats simulés. Muriyasu tire véritablement Batto par le cou et les cheveux, puis le projète au sol avec violence. Et au lieu de bondir avec grâce sur ses pieds, Batto se retourne au sol avec le peu d’énergie qui lui reste, soufflant et grognant, des larmes plein les yeux, puis échoue encore et encore à essayer de repousser Moriyasu hors du dohyo. Couvert des pieds à la tête de terre battue collée sur son corps luisant de sueur, des gouttelettes de sang perlent de son genou.

Une fois la plupart des matches finis, le sekitori, ayant combattu deux de ses plus immédiats inférieurs, et les ayant laissé se combattre entre eux, s’avance vers moi et me demande si je suis prêt à combattre. Je lève alors mes bras et lui fait comprendre « je suis prêt ».

« Tu le combat, lui » dit-il, montrant Hayeshida, qui le suivait juste derrière. « Mais c’est un pédé », ajoute-t-il.
« D’accord, je m’en souviendrai », dis-je.

Mais je me retrouve en fait à affronter Hiroki à la place. Tout d’abord, je dois faire une séance de « polisseuse » contre lui. Il se place au centre du dohyo et attend que je le charge depuis le rebord. Comme prescrit, je part d’une position de squat sur le rebord, poings au sol devant moi et me jette sur lui, paumes en avant contre son torse.

Il ne bouge pas d’un millimètre.

Le sekitori me dit qu’il me faut rentrer dans son torse avec la tête, et Hiroki montre du doigt l’endroit précis, sous son épaule droite, où doit se produire l’impact. Je charge à nouveau, et cette fois, il bouge bien de cinq ou six centimètres. Mais le sekitori me dit que j’ai encore mal chargé. Je suis censé le rencontrer sans que mes pieds ne quittent le sol.

Pour mon ultime charge, j’avance comme prescrit, les pieds bien au sol, et rentre dans son torse avec la tête et les paumes. Encore une fois, je dois bien le faire bouger de deux centimètres.

Vient ensuite le véritable combat. Nous nous faisons face au centre du dohyo, accroupis les poings au sol, et il reçoit ma charge avec douceur, attrapant mon mawashi. Je fais des pieds et des mains pour l’entraîner dans une sorte de prise, mais le sekitori me crie « Attrape son mawashi ».

Le tenant par son mawashi, je réussis sans trop savoir comment à le faire venir au rebord du dohyo, et le sekitori me crie alors « Pousse ! ». Vaine remarque. Je ne peux pas bouger Hiroki, qui fait une tête de plus que moi et doit peser quasiment 150 kilos. Au lieu de cela, c’est lui qui me repousse, et en un clin d’œil me voici de l’autre côté, prêt à être éjecté. Je réussi toutefois à rester encore dans le dohyo en plantant mes pieds dans les balles de paille enterrées qui marquent ses limites. Avant qu’Hiroki ne puisse me soulever et me balancer, le sekitori fait signe que le match est fini.

La séance d’entraînement se termine par quelques centaines de squats, bien douloureux après mes heures de shiko. Quelques pompes, un retour au calme et la séance est terminée.

Quelqu’un m’a apporté un kimono. Le sekitori me dit de rester devant le réchaud. Clairement, je ne suis pas traité comme une jeune recrue ordinaire.

Après l’entraînement, je prends mon bain, mange et remonte dans la chambre, avec à nouveau l’intention de taper quelques notes. Au lieu de ça, je dors à nouveau d’un sommeil de plomb. A mon réveil, Murayoshi me prévient que le Kashira nous emmène pour un barbecue coréen. A l’heure de partir, Murayoshi, Ishikawa et moi-même montons sur des bicyclettes, puis roulons à travers des zones résidentielles ou commerciales tranquilles jusqu’au restaurant. J’ai les jambes détruites par tous les shikos que j’ai effectués.

Le Kashira arrive avec sa fille de treize ans, calme mais enjouée, qui lit une traduction japonaise de CS Lewis à table quand elle n’est pas en train de manger. Le Kashira voudrait bien qu’elle parle anglais, en se servant de moi comme d’un traducteur, mais son anglais n’est pas franchement au point et de toute manière, elle n’a pas la tête à ça.

Le Kashira commence une impressionnante quantité de nourriture, notamment des pieds de porc bouillis, un bol de soupe de riz et une salade, qu’il mange tout seul. Pour la tablée, il commande plusieurs gras plateaux de tranches de bœuf mariné que nous faisons griller sur de petits grils de table. Même sort pour des tranches de langue de bœuf, excellentes trempées dans du jus de citron frais, et un énorme plat de tripaille caoutchouteuse et sentant les pieds. Quelques assiettes de sashimi de foie de bœuf également, cru et trempé dans de l’huile de sésame, étonnamment goûteuses.

Une fois rentrés à la heya, Hiroki, m’ayant vu précédemment griffonner dans mon calepin, plaisante : « maintenant, il va écrire dans son journal ‘aujourd’hui le Kashira m’a emmené au barbecue coréen. C’était très bon ». C’est exactement ce que je suis en train de faire.

toonoryu
16/02/2005, 21h02
Bonsoir à tous les lecteurs intéressés par les aventures de Jacob au pays des sumos... :wink: Petite suite ce soir, où Jacob prend conscience des conséquences de l'entraînement de la veille :cry: . A noter que vous pourriez bien retrouver dans un avenir plus ou moins proche (en fonction du rythme de mes possibilités de traduction :oops: ) ces textes accolés au blog de Jacob, qui a pris contact avec moi pour cette éventualité. On verra bien, vous serez tenus au courant. En attendant, enjoy !

Vendredi, 24 décembre 2004

Lendemain de shiko

Je me réveille mardi matin emmitouflé dans les couvertures de mon agréble futon, béat et satisfait. Il ne me faut que peu de temps, toutefois, pour me rappeler où je suis, et qu’il va me falloir m’extirper de ce douillet cocon pour passer quelques heures avec rien d’autre sur le dos qu’un sous-vêtement de tissu rêche. Je traîne donc sous mes couvertures jusqu’à ce que mes camarades de chambrée commencent eux-mêmes à se lever et descendre en bas. Je finis par balancer mes couvertures et me lève pour ranger mon couchage.

Mais aussitôt que je suis sur mes jambes, je m’écroule presque. Clairement, j’en ai trop fait sur les shikos hier. Jamais aucune séance de musculation ne m’a fait ressentir ce que j’ai aujourd’hui : ni mes premières courses en montagne, ni le ski, ou encore le snowboard. Des genoux au bassin, je ne suis plus que douleur. Douleur pour marcher. Douleur pour rester debout. Douleur pour s’asseoir.

Rester couché, toutefois, me semble pas trop inconfortable, et je rampe donc jusqu’à mon lit en me demandant si je dois essayer d’échapper à la séance d’entraînement ce matin. D’un côté, je n’ai pas envie d’être pris pour un glandeur. Le monde du sumo, pour ce que je peux en dire, exècre ce genre de choses. Et j’ai peur que l’Oyakata, qui a fait montre de tant d’hospitalité, ne pense que je n’ai pas été sincère avec lui, et que je suis prêt à faire fi de mon enthousiasme à me lever tôt, à sauter le petit déjeuner et à mettre un mawashi au premier petit bobo.

De l’autre côté, je crains que, même si j’arrive à enfiler mon mawashi et à atteindre la salle d’entraînement, je ne pourrai sans doute pas dépasser la première série de shikos. Ce qui voudrait dire que j’aurais embêté quelqu’un pour m’aider à mettre mon mawashi, pour m’éclipser du dohyo avant même que les combats n’aient commencé.

Finalement, je décide de faire quelques shikos dans la chambre même, pour pouvoir me tester. Au pied de mon lit, j’écarte les jambes, frappe le sol du pied droit, écarte les jambes à nouveau, puis pied gauche. Chaque mouvement me donne une sensation tant douloureuse qu’étrange, mes jambes ayant la vivacité de nouilles trop cuites. Murayoshi, encore dans son lit, m’aperçoit en train de m’escrimer douloureusement sur mes shikos, seul dans l’obscurité, et me dit : « Qu’est-ce que tu fais ? »
« Mes jambes me font mal », lui dis-je, les dents serrées.
« Si tes jambes te font mal, c’est pas la peine de mettre un mawashi » me dit-il, ce qui est exactement ce que je voulais entendre.
Je rampe à nouveau vers mon lit pour tuer le temps et me préparer mentalement à passer les prochaines heures dans la salle commune, mes jambes endolories devant être croisées.

Quand je finis par descendre, Murayoshi, que je croise dans le couloir, me dit « n’oublies pas de remercier le Kashira pour le dîner ».
Le Kashira se trouve dans la salle d’entraînement assis à sa place habituelle sur l’avancée. Quand je le remercie pour le barbeucue coréen de la veille, il me dit : « alors comme ça, tes jambes te font mal ? »
« elles me font mal, oui ». Petit sourire en coin de sa part. Quelques autres lutteurs, entendant que je ne les accompagne pas à la séance parce que j’ai mal aux jambes, rient doucement. Lorsque l’Oyakata descend enfin de ses appartements quelque peu après le début de l’entraînement, il me voit dans la salle commune, en survêtements.
« Ses jambes lui font mal » explique le Kashira avec un sourire, ce qui provoque également l’hilarité de l’Oyakata.

pereboulon
17/02/2005, 15h20
Formidable texte et formidable traduction. Je ne te remercierai jamais assez Toonoryu.

Si ton texte est associé à l'original sur le même site, ce serait une bonne chose. Il le mérite en tout cas.

toonoryu
17/02/2005, 19h31
C'est fait depuis cette nuit, vous pouvez retrouver le blog traduit (enfin, ce que j'ai pu faire jusqu'à présent :oops: ) sur l'adresse suivante :
http://roidelamontagne.blogspot.com/
Je pense que pour l'instant au moins, je vais continuer à les poster ici. Si des demandes interviennent dans ce sens, j'arrêterai et préviendrai quand de nouveaux posts seront effectués. Prochain épisode demain soir sans doute, et peut-être plus de week end. Stay tuned et merci pour tous vos encouragements :wink: .

toonoryu
19/02/2005, 13h27
Salut tout le monde,
Livraison du week end (la première au moins). J’espère que vous apprécierez ce texte car Jacob étant passé à un style descriptif assez détaillé de la cérémonie à laquelle il a assisté, j’avoue que j’y ai passé un moment. Mais ce n’est pas grand chose en face des 60 pages encore à traduire. En tous les cas, enjoy !



Dimanche, 26 décembre 2004


Dohyo-Tsukuri


Trois fois par an, la Hanaregomabeya, la heya au sein de laquelle je séjourne, détruit puis reconstruit son aire d’entraînement. L’Association Japonaise de Sumo impose cela à toutes les heyas de Tokyo, avec probablement un but mystique, mais lorsque j’ai demandé à Murayoshi quelle en était la raison, il m’a juste répondu : « je ne sais pas. J’imagine que le centre du dohyo finit par être usé ? ».

L’ensemble du processus, appelé dohyo-tsuruki, prends trois jours : un premier pour détruire le sol, un autre pour le refaire, et un troisième pour le dohyo matsuri, un rituel de sanctification. Les lutteurs entament le processus mardi, juste après la séance de retour au calme. Cherchant pelles, truelles et râteaux dans un placard de la salle d’entraînement, il commencent à creuser le sol de terre battue, pieds nus, enfonçant leurs pelles avec leurs talons sans chaussures. La plupart portent juste leur mawashi, mais certains ont une serviette nouée autour de la taille, qui fait irrésistiblement penser à une minijupe d’où leurs fesses tranchées par le mawashi pointent de manière coquine.

Il ne leur faut pas trop de temps, malgré le peu d’entrain des lutteurs les mieux classés. Bientôt, ils atteignent la bordure que Kazuya a délimitée au sol environ à un mètre des murs. (Kazuya est le jeune lutteur que j’ai toujours nommé ici par son nom de lutteur, Hayeshida).

Pas d’entraînement le lendemain. Au lieu de cela, les lutteurs se réveillent à l’heure assez tranquille de 07 h du matin pour commencer la réfection de l’aire d’entraînement. Ils sont rejoint par trois yobidashi – les hérauts du sumo – venus d’autres heyas pour donner un coup de main. Les yobidashi, apparemment, sont les ingénieurs du monde du sumo. Leurs attributions comprennent la supervision de la construction des dohyos et l’exécution des tâches les plus délicate de cet ouvrage. Les yobidashi qui sont venus pour le dohyo matsuri portent les tabi, des chaussures à fine semelle de caoutchouc dont le dessus de coton sépare le gros orteil des autres, comme un moufle. Ce sont les chaussures traditionnelles du monde du bâtiment au Japon.

Katsuyuki, le yobidashi le plus expérimenté des trois, est dans sa quarantaine. Il appartient aussi à la heya où je vis, mais habite à l’extérieur. C’est lui qui dirige les opérations, supervisant Haruki, le yobidashi adolescent qui vit dans la heya, et deux autres yobidashi d’autres heyas, qui ont tous les deux l’air d’avoir dans les vingt ans.

A huit heures, quand je me lève en même temps que les lutteurs les plus gradés avec qui je vis, la reconstruction a déjà commencé. Katsuyuki est en train de se mettre en tenue de travail est semble atterré de voir entrer un petit bonhomme blanc, le regard embrumé, en survêtement froissé.

Les deux yobidashi des autres heyas, pendant ce temps, sont dehors en train de préparer la tawara, ces sacs de terre en fourreau à demi-enterrés en cercle dans le sol de la salle d’entraînement pour former le dohyo. Des lutteurs emplissent par des fentes sur le côté les éléments de tawara déjà préparés. Une fois bien emballés, le yobidashi les referme et les martèle pour leur donner leur forme à l’aide d’épaisses bouteilles de bière en verre.

Pendant cet ouvrage, les lutteurs commencent à marteler la terre du sol de la salle d’entraînement. Ils se succèdent, utilisant un épais billot munis de poignées aux extrémités. Travaillant en binômes, ils le soulèvent et l’abattent violemment au sol. Evoluant en cercles concentriques, ils martèlent petit à petit le sol du dohyo.

Une fois la tawara achevée et le sol du dohyo complètement aplani, Katsuyuki guide les lutteurs qui font courir une corde qui rejoint les milieux de deux murs opposés de la salle, puis frappe sur la corde pour imprimer une démarcation séparant la pièce en deux. L’opération est réitérée pour les deux autres murs, traçant une croix au centre de la salle, centre dans lequel Katsuyuki enfonce un pieu.

Un jeune yobidashi attache alors la corde au pieu et se sert d’un mètre ruban pour marquer sur la corde la distance de six shaku (une unité de mesure typiquement japonaise, ce qui équivaut à peu près à deux mètres cinquante) depuis le pieu. Enfonçant un énorme clou dans la corde, il le fait tourner autour du pieu comme un compas géant, gravant un large cercle sur le sol.

Puis Katsuyuki et l’un de ses assistants dégagent une couche de terre à l’intérieur du cercle, commençant par le centre et repoussant cette terre vers les extrémités, pour qu’elle forme un périmètre approximatif à l’endroit ou le cercle a été dessiné. Le jeune yobidashi étale alors la terre de nouveau dans le cercle. Les lutteurs reprennent alors à nouveau leur travail en tassant à nouveau le sol, tout d’abord avec le billot, puis avec d’épaisses planches enfoncées à l’extrémité de perches qu’ils soulèvent au dessus de leurs épaules et martèlent violemment au sol.

Ensuite, ils réutilisent la corde pour retrouver le centre de la salle et redessinent le cercle, que Katsuyuki et deux lutteurs martèlent une fois de plus avec leurs outils. Pendant ce temps, des autres lutteurs creusent une rigole le long du cercle géant avec leurs pelles et truelles. Tandis qu’ils effectuent leur tâche, un yobidashi se sert d’une truelle pour creuser nettement les rebords du cercle. Quand tout est achevé, le cercle est devenu un cylindre parfait de terre solidement battue, s’élevant de la rigole dans une salle toujours en terre brute.

Après le déjeuner, un jeune yobidashi commence la mise en place de la nouvelle tawara dans la rigole faisant le tour du cercle. Il la frappe au centre avec une grosse bouteille de verre vide pour qu’elle soit de niveau avec la partie centrale du cercle. Tandis qu’il s’affaire autour du cercle, les lutteurs aplanissent le reste de la salle d’entraînement. Une fois cette tâche achevée, le sol semble immaculé, en dépit du fait qu’il est fait de terre battue, avec une tawara de paille toute neuve remplaçant la précédente, qui était maculée de terre.

Pendant ce temps, trois gars, qui ressemblent à des ouvriers typiques, salopette, mitaines et bottes de chantier, sont arrivés et installent une échelle à côté du reliquaire qui se trouve près du plafond, dans le coin arrière droit de la salle d’entraînement. L’un d’entre eux enlève l’épaisse corde suspendue sur le reliquaire et le drap violet aux armes de la famille de l’oyakata – aux motifs verdoyants – qui le recouvre en partie. Repoussant de côté les urnes d’offrandes en porcelaine blanche et des vases de feuilles fraîchement coupées, il descend le minuscule reliquaire, emporté à l’extérieur pour être nettoyé. Un homme plus âgé, pendant ce temps, suspend une corde de paille tressée autour du plafond de la salle d’entraînement, dont retombent des fils et des papiers blancs découpés en forme d’éclairs. Avant de repartir, les ouvriers replacent enfin le reliquaire et les autres ustensiles, achevant le travail avec une toute nouvelle corde suspendue et un nouveau drap au dessus.

Pas d’entraînement le lendemain. Pas plus mardi. La matinée est passé à étudier le banzuke – les feuilles de classement du sumo : j’en dirai plus un autre jour. Dans l’après midi, Nobutaka, le gyoji en chef de la heya, i.e. un arbitre de sumo, arrive pour diriger le dohyo matsuri, le rituel de purification du dohyo.

Si les yobidashi sont les ingénieurs du sumo, les gyoji en sont à l’évidence les prêtres. La heya où je séjourne a deux gyoji : Kichijiro, 27 ans, qui vit avec nous, et le plus ancien, expérimenté, Nobukata, qui a son propre appartement.

Kichijiro passe la majeure partie du mardi après midi à préparer l’arrivée de Nobukata, sortant ses kimonos, éventails et tout le reste du bazar. Kichijiro instruit ensuite Ishikawa, l’un des lutteurs, de déposer un tas de terre sèche et argileuse au milieu du dohyo et d’en élever un petit monticule, au sommet duquel il place une idole de papier . En face, il place une sorte de paillasson, sur lequel il dépose un petit autel de bois avec des assiettes d’algues séchées, poisson séché, riz sec et de sel, ainsi qu’une petite branche feuillue. A côté, une grosse bouteille de saké. Pour finir, il dépose trois petits tas de sel aux coins de la pièce.

Nobukata apparaît après le repas. C’est un petit vieux qui porte un costume bleu à fines rayures. Il est sérieusement dégarni. Quand je demanderai plus tard son nom à l’un des lutteurs, il me répondra « Hage-san » - Mr Crâne d’œuf – avant de me donner son véritable nom.

Dès son arrivée, Nobukata commence à se déshabiller au milieu de la salle commune, pendant que Kichijiro l’aide à enfiler son premier kimono noir, sur lequel il passe un kimono bleu avec de larges manches pendantes, refermé par une large ceinture. Le kimono porte également un motif en forme de feuille et de petits ornements cylindriques jaune et orange, qui ressemblent à des appâts de pêche à la mouche, brodés sur les manches, le col et près des ourlets. Pour finir, il revêt un chapeau noir, bas et pointu, une jugulaire lui descendant en dessous du menton, et glisse dans sa ceinture le petit éventail de bois que Kichijiro lui a sorti d’une boîte recouverte de satin.

Tandis que les lutteurs s’alignent de chaque côté de la salle, l’Oyakata, le Kashira et le Sekitori alignés contre le mur du fond, Nobukata s’agenouille sur le paillasson et frappe deux fois dans ses mains, comme le font les gens ici quand ils s’approchent d’un sanctuaire et qu’ils veulent attirer l’attention des dieux. Il psalmodie une prière japonaise dont je ne comprends pas un mot, se penche vers l’avant en sortant son éventail de bois, puis le remet à sa ceinture et refrappe deux fois dans ses mains.

Prenant la branche, il l’agite doucement au dessus de son épaule. Il l’apporte à l’oyakata, au kashira et au sekitori, qui s’inclinent devant elle, puis aux deux rangs de lutteurs, qui s’inclinent également, avant de retourner devant l’autel. Frappant encore deux fois dans ses mains, il s’incline à nouveau avec son éventail.

Puis il se saisit de la bouteille de saké et dépose à chaque coin de la pièce quelques gouttes de liqueur sur les tas de sel que Kichijiro a déposés. Puis il fait le tour du dohyo, répandant du saké sur la tawara fichée dans le sol.

Finalement, il revient sur le paillasson et demande à Kichijiro d’emporter l’autel et le saké. Ce dernier revient avec un éventail plus large, doré avec des motifs verts. Il s’agenouille encore et déclame d’une voix de stentor une prière que je ne comprends toujours pas. Remplissant deux verres, il les donne aux lutteurs qui en prennent une petite gorgée avant les faire passer.

Les lutteurs commencent également à ma grande surprise à manger les plats de riz et de poisson séché, que je croyais dédiés aux dieux. Plus grande encore est ma surprise quand Matsunaga m’enjoint d’en consommer moi-même. Je regarde les plats disposés et, pensant que les morceaux de poisson séchés ont l’air d’être ce qu’il y a de meilleur, j’en embouche un.

« Non » me dit Matsunaga. « Tu dois faire comme cela ». Il mime le fait de prendre une pincée de chaque plat – poisson, riz, algues et sel – et d’en avaler toute la poignée d’un coup.
« Oups, désolé », lui dis-je, avant d’en faire autant.

Sakana
19/02/2005, 14h07
travail énorme, c'est magnifique, vraiment, merci !!! :shock: :D

nabudetoulouse
19/02/2005, 15h39
voici quelques photos pour illustrer le dernier post de toonoryu.

ces photos datent de 2003 et sont surtout de la hanaregoma beya !!!

http://www.linkclub.or.jp/~ikell/media/SUMOU_BEYA_KIRIEZU/14)hanaregoma/dohyo_tataki.jpghttp://www.linkclub.or.jp/~ikell/media/SUMOU_BEYA_KIRIEZU/14)hanaregoma/dohyou_mizumaki.jpg

une BD illustrant le rikishi de la hanaregoma beya réalisant le Dohyo-Tsukuri

http://www.linkclub.or.jp/~ikell/media/SUMOU_BEYA_KIRIEZU/14)hanaregoma/hanaregoma.jpg
http://www.linkclub.or.jp/~ikell/media/SUMOU_BEYA_KIRIEZU/14)hanaregoma/D_tukurikata-3.gifhttp://www.linkclub.or.jp/~ikell/media/SUMOU_BEYA_KIRIEZU/14)hanaregoma/D_tukurikata2.gifhttp://www.linkclub.or.jp/~ikell/media/SUMOU_BEYA_KIRIEZU/14)hanaregoma/D_tukurikarta_1.gif

et maintenant un petit cadeau:
une superbe photo de Daizen a la Nishonoseki-beya

http://www.linkclub.or.jp/~ikell/media/SUMOU_BEYA_KIRIEZU/hontobira%20_Folder/daizen.jpg

http://www.sumofr.net/rikishi/portraits/daizen.jpg
DAIZEN

toonoryu
19/02/2005, 16h01
Zut, je devrais annoncer les sujets à l'avance, car ce genre de photos m'aurait aidé à avancer plus vite dans les trads les plus "techniques". En tous cas, merci beaucoup Nabu car ça colle pas mal du tout...
Prochain texte : le banzuke, suivi d'écrits sur le statut des sumos. Stay tuned...

toonoryu
20/02/2005, 10h15
Nouvelle livraison, pour une fois un texte assez court... Enjoy !



Mardi, 28 décembre 2004


Le Banzuke


Jeudi, le jour où le gyoji dégarni vient sanctifier le dohyo, arrive également le banzuke. Le banzuke – le classement du sumo – liste tous les membres de l’univers du sumo, des lutteurs aux yobidashi, tous placés selon leur rang. Le nouveau banzuke arrive généralement deux semaines avant le début de chaque tournoi bimensuel de sumo – à l’exception de celui précédant le tournoi de janvier, qui arrive une semaine plus tôt encore pour ne pas interférer avec le vacances du nouvel An qui paralysent quasiment le pays pendant la première semaine de l’année.

La feuille de banzuke réarrange le classement de tous les lutteurs du pays en prenant en compte leurs performances dans le tournoi précédent. C’est l’Association de Sumo qui les édite, mais les heyas elles-mêmes sont responsables de leur distribution. Jeudi, tôt le matin, l’oyakata est parti pour le quartier général de l’Association de Sumo, et revient avec quelques caisses de feuilles. Au moment où je me lève, les lutteurs – qui ont un jour sans entraînement pour pouvoir s’occuper des banzuke pour leur distribution – sont déjà en plein travail.

Ils se sont répartis en une sorte de chaîne de montage sur le sol de la salle commune. Le processus commence avec Kitamura, qui en effectue la répartition. Il distribue alors des paquets de feuilles sur toute la chaîne, où d’autres lutteurs les tamponnent du sceau de la heya. Les travail se fait par binômes, l’un des lutteurs tournant les pages et l’autre les tamponnant. Les feuilles sont alors passées à un autre binôme, qui les marque du sceau du Tournoi de Janvier.

Dernière étape pour les feuilles, les derniers lutteurs qui les rassemblent pour les envoyer aux mécènes et supporters, et à toute personnes qui en a commandé un exemplaire. Quelques lutteurs plient des feuilles en rectangles propres avant de les glisser dans de enveloppes pour ceux qui ont commandé des feuilles individuelles à 50 Ұ (0,5 €) l’exemplaire. Murayoshi, lui, range dans de plus grosses enveloppes des paquets de 5, 10 et 25 feuilles pendant que d’autres lutteurs en roulent plusieurs centaines à la fois dans des colis cylindriques pour les commandes en gros à 2500 Ұ (environ 20 €) les cent feuilles. Avant le dîner, ce sont 3000 banzuke qui sont sous enveloppe. Le travail se poursuit le reste de la soirée, cette fois ci pour des banzuke que les lutteurs s’achètent eux-même pour envoyer à leurs amis, familles ou fans.

Je m’assied près de Tatsuya, qui s’occupe de banzuke individuels, pour regarder par dessus son épaule cette grande feuille couleur crème, recouverte d’épais caractères calligraphiés. Elle est séparée en cinq lignes qui donnent un aspect presque cosmologique à l’univers du sumo. Les lutteurs les mieux classés sont mentionnés dans les caractères les plus gros sur la ligne du haut, les caractères se faisant de plus en plus petits à mesure que le regard descend dans le banzuke. La ligne du bas liste les noms des oyakata, kashira, yobidashi et autres personnes associées au monde du sumo, chacun de ces groupes ayant son propres classement. Ces lignes sont coupées en deux par leur centre par une colonne étroite qui coupe toute la feuille, dans laquelle on trouve des informations sur le tournoi à venir et les noms des gyoji. Les noms se trouvant à droite appartiennent à la division ouest, ceux de gauche, à celle de l’est. Ces démarcations sont parfaitement arbitraires et n’ont absolument aucun rapport avec les origines géographiques des lutteurs ou de leurs heyas.

Tatsuya met le doigt sur le caractère le plus gros de la ligne supérieure. « C’est le Yokozuna : Asashoryu ».

Asashoryu est actuellement le seul et unique Yokozuna, ou Grand Champion. Un sondage effectué au Japon l’a récemment placé en tête des sportifs non-japonais préférés. Il vient de Mongolie, pays très bien représenté dans l’afflux récent de lutteurs étrangers de haut vol, parmi lesquels on retrouve également un Russe, un Bulgare et un Géorgien. Il y a toujours eu des pincées de lutteurs étrangers dans le sumo, mais ils ne connurent jamais vraiment de succès avant la brochette de lutteurs hawaïens qui débuta dans les années 70 avec Takamiyama, premier étranger à remporter un tournoi, et s’est achevée il y a quelques années avec l’énorme Akebono, premier Yokozuna étranger du sumo.

Les lutteurs de la ligne du haut du banzuke appartiennent tous à la division makuuchi, me dit Tatsuya, qui inclut dans ses plus hauts grades les yokozunas, ozekis, sekiwake et komosubi. Il me montre quels lutteurs sont les ozeki, un rang en dessous du yokozuna, dont fait partie le lutteur Kaio. Kaio est souvent décrit comme le plus grand espoir pour les japonais d’avoir un yokozuna national, mais à chaque fois que le titre est à portée de sa main, il lui glisse entre les doigts.

Dans la deuxième ligne, où les lutteurs de rang subalterne commencent à être listés, Tatsuya me montre le nom du Sekitori, Ishide. Il est imprimé dans des caractères qui font à peine le quart du volume de ceux de la ligne précédente. Enfin, Tatsuya me montre son propre nom sur la ligne la plus basse des lutteurs, qui incluse les jonidan dont il fait partie. Son nom est imprimé en caractères si petits qu’il doit écarquiller les yeux et le chercher longtemps parmi les autres noms.

« C’est là que je veux être » me dit-il, en montrant la ligne du haut.

toonoryu
20/02/2005, 19h46
Bonsoir tout le monde,

Texte bien plus long, mais pour une fois pas trop compliqué. Je pense qu’il va intéresser pas mal de monde, car il montre un aspect pas toujours très connu des amateurs de sumo, les (difficiles) conditions de vie des lutteurs de rang inférieur. Enjoy !



Jeudi, 30 décembre 2004


De l’importance du statut sur la vie quotidienne


Quand Tatsuya me dit qu’il souhaiterait atteindre le haut du banzuke, je suis convaincu qu’il a en tête la renommée et la gloire qui nimbent les stars du sumo. Les lutteurs ne jouissent plus vraiment de l’estime qu’ils avaient avant au Japon, ce pays intégré désormais dans la mondialisation leur préférant les stars locales du football ou du base-ball. Mais les sumotori ont toujours leurs fans, dont de généreux mécènes qui leur offrent de grosses sommes. Les sumotori ont des magazines et des fan clubs qui leur sont dédiés ; ils reçoivent des lettres d’amour et des propositions en mariage d’admiratrices.

Mais je ne crois pas que Tatsuya parle uniquement du désir universel de l’athlète d’être reconnu pour ses qualités. Pour lui, l’avancement est la seule échappatoire – autre que le fait de quitter définitivement le sumo – à ce qui m’apparaît comme une existence plutôt pitoyable.

Les lutteurs dont je partage la chambrée ont tous un rang suffisamment élevé leur assurant une vie pas si terrible. Ils ont tous un petit espace personnel. Ils possèdent tous leur petite télévision. La plupart possèdent leur propre console de jeux. Muriyasu a une petite chaîne hi-fi sur laquelle il passe du rap ou du reggae tout en mangeant de larges tranches de pain grillé dans le petit toaster qu’il conserve dans son box. La chambre est souvent bercée par une douce cacophonie, le Playstation de Murayoshi rivalisant avec les films de la télévision de Saita et la chaîne hi-fi de Moriyasu en fond sonore.

La plupart de ces lutteurs atteignent la trentaine, et une télévision, une console de jeux et un placard rempli de livres et de CD peut apparaître comme le minimum vital pour des hommes de cet âge. Mais c’est, toutes proportions gardées, une existence de nababs en regard de celle de Tatsuya et des sept autres qui vivent au rez-de-chaussée.

Tout d’abord, leur chambre à coucher n’en est pas vraiment une. Ils dorment dans la salle commune où sont pris les repas, où l’on regarde la télévision et où l’on classe les banzuke. C’est la même pièce d’où j’assiste, assis les jambes croisées, à la plupart des entraînements matinaux. Quand ils s’apprêtent à se coucher, le soir comme pour la sieste, ils doivent sortir leur couchage hors du placard et les étaler au sol. Il leur faut effectuer l’opération inverse dès leur réveil.

Etant donné qu’ils n’ont pas d’espace pour eux, ils ne peuvent pas vraiment posséder quoi que ce soit. Chacun possède un tiroir en plastique dans le placard pour y mettre ses vêtements. Et la plupart semble posséder un cellulaire et une Gameboy, avec pour conséquence un fatras invraisemblable de fils électriques et de chargeurs de batteries sur les prises où ils branchent leurs appareils. Mais, ayant un statut qui ne leur confère quasiment pas d’espace personnel, c’est à peu près tout ce qu’ils peuvent posséder.

Mitsui, un lutteur un peu plus vieux qui n’a jamais vraiment pu grimper dans le banzuke et est toujours resté au rez-de-chaussée – et dont une blessure au cou l’empêche de combattre – a essayé d’améliorer sa condition matérielle. Un soir, il rentre avec un lecteur de DVD chinois bon marché qu’il relie à sa vieille télévision portable cabossée, pour pouvoir choisir ses propres films au lieu de s’en remettre au choix du groupe sur la télévision de la salle commune. L’ensemble est suffisamment petit pour tenir dans le placard durant la journée. Mais il y a quelque chose de pathétique et de poignant de le voir la nuit avec ses fils électriques se glissant dans son lit pour atteindre son petit cinéma personnel. Il le regarde, un drap posé au dessus de l’ensemble et de sa tête pour éviter de déranger ses voisins de chambrée.

Le statut d’un lutteur conditionne également sa journée. Les lutteurs du rez-de-chaussée sont debout avant ceux dont je partage la chambrée. Ils nettoient la pièce commune, revêtent leur mawashi, montent pour réveiller gentiment leurs supérieurs – qui généralement se rendorment juste après pour un moment – et vont alors fouler le sol de la salle d’entraînement. La plupart du temps, cela fait bien une heure qu’ils sont à l’exercice avant que mes camarades de chambrée ne fassent leur apparition dans la salle d’entraînement.

Pendant l’entraînement, beaucoup des lutteurs les moins bien classés disparaissent de temps à autres pour emplir la baignoire, aider à la préparation du repas, et accomplir des tâches pour le sekitori, l’oyakata et le kashira. Ils sont aussi victimes des rares mais fulgurantes bouffées de violence que les lutteurs les mieux classés déchaînent parfois à leur encontre. Je n’assiste pas trop souvent à des accès de violence de la part de ces garçons aux manières généralement policées, mais quand cela se produit, c’est véritablement effrayant. Extrêmement rare et imprévisible, cette violence n’en est que plus saisissante.

Après l’entraînement, l’ensemble des lutteurs suit le même emploi du temps l’après midi : coiffure, bain, repas puis sieste. La coiffure est officiée par le tokoyama, le coiffeur du sumo, qui arrive chaque matin et déploie son attirail quand l’entraînement tire sur sa fin. Les sumotori ne se lavent les cheveux qu’une fois par semaine en général, l’affaire étant rendue difficile par le nettoyage de toute l’huile parfumée que le tokoyama emploie pour leur cheveux chaque jour. J’ai aperçu une fois Nakahara, sans doute le lutteur le plus lourd de la heya, en train de se laver les cheveux : il reposait nu, sur le côté, sur le sol de la salle de bains, dont il emplissait la majeure partie, sa tête plongée dans une bassine d’eau chaude pour dissoudre l’huile.

Par conséquent, au lieu de se laver les cheveux, tout ce qu’un lutteur fait un jour ordinaire est de se rincer la chevelure dans l’évier de la cuisine pendant que le repas se prépare, puis de s’asseoir sur le tapis du tokoyama pour se faire coiffer. Le tokoyama peigne les cheveux, les frictionne avec une bonne rasade d’huile parfumée puis se sert d’un peigne pour rassembler les cheveux en un mince fourreau huileux, pointant au dessus du crâne. Il en égalise la pointe, puis l’attache au milieu avec un morceau de fil blanc épais. Il se sert ensuite d’un autre morceau de fil pour attacher le chignon au dessus du crâne du lutteur, le bout pointant vers l’avant.

Ce chignon si typique – le chonmage – était autrefois porté par les samurai et les citadins japonais, avant que le régime modernisateur arrivé au pouvoir à la fin du 19° siècle ne l’interdise. Les nouveaux maîtres, sous le règne de l’empereur Meiji, pensaient que les chignons donnaient aux Japonais un aspect rétrograde par rapport aux autres nations. Mais du fait de la place très importante que le sumo tenait déjà dans la culture japonaise à l’époque, les lutteurs furent autorisés à conserver leur chonmage.

Le sekitori se fait coiffer en premier, suivi par les lutteurs classés immédiatement en dessous de lui. Les lutteurs les moins bien classés ne sont bien souvent coiffés que des heures après l’entraînement.

Le bain est également pris dans l’ordre de l’ancienneté, l’oyakata le prenant le premier, puis le sekitori, le kashira, mes camarades de chambrée. Les lutteurs mal classés, bien sûr, passent en dernier. Tandis qu’ils attendent eux-mêmes de pouvoir se baigner, toutefois, ils aident l’oyakata, le sekitori et le kashira dans leur bain, habillement et repas.

Je ne suis pas convaincu que l’oyakata et le kashira aient quelqu’un qui leur frotte le dos dans la salle de bains, mais ils ont quelqu’un qui attend dehors pour leur donner leur serviette quand ils sortent et leur préparer leurs vêtements. Un après midi, le kashira s’est habillé après son bain dans la chambre où je dors, et j’ai regardé le jeune Ishikawa lui donner chaque vêtement dans l’ordre de nécessité.

Je ne pense pas non plus que les jeunes lutteurs aient à donner le bain au sekitori. En raison de son rang, le sekitori a des tsukebito, des assistants, choisis pour lui par l’oyakata parmi les lutteurs. Les tsukebito du sekitori changent souvent après la publication d’un nouveau banzuke. Avant le banzuke de jeudi dernier, le sekitori avait trois tsukebito : Nakahara et Kitamura, qui sont juste un rang en dessous de lui, et Batto, le Mogol de rang inférieur. Depuis, Batto a passé son tour, Kazuya et Matsunaga prenant sa place.

Le sekitori avait l’habitude de faire appel à Batto, et fait maintenant appel à Kazuya, pour la plupart des petites tâches quotidiennes, y compris le bain. En conséquence, la plupart des lutteurs sont épargnés par ce poste, mais personne ne sait jamais quand cela peut lui tomber dessus. Les tsukebito mal classés du sekitori se tiennent également debout près du dohyo, porteurs d’une serviette à lui tendre pendant son entraînement, mais lors des tournois, je me suis laissé dire que cette tâche incombe aux makushita Nakahara et Kitamura. Il n’est apparemment pas de bon ton d’avoir un simple jonidan pour se faire passer une serviette en public.

Quoi qu’il en soit, après avoir fourni leur aide pour le bain, les lutteurs de rang inférieur servent leur repas au sekitori et au kashira (l’oyakata mange en famille dans son appartement). Pendant ce temps, le lutteurs mieux classés, qui se sont reposés pendant le bain de leurs supérieurs, prennent leur propre bain. Puis ils mangent tandis que les moins bien classés peuvent enfin se baigner.

Lorsque les lutteurs bien classés et moi-même avons fini notre repas et montons pour la sieste de l’après midi, en général avant deux heures, les inférieurs commencent à peine leur repas. Il leur faut encore manger, ranger la salle commune et faire la vaisselle avant de pouvoir sortir leur couchage et s’endormir eux-mêmes.

Ils finissent également leur somme plus tôt que mes camarades de chambrée. Nous nous réveillons généralement après quatre heures quand l’un des lutteurs du rez-de-chaussée vient vider nos poubelles et balayer la chambre. Les gars « du haut » tuent alors le temps – télévision, cellulaire, un petit roupillon supplémentaire – pendant que les gars du bas préparent le dîner, balaient la salle commune, lavent les mawashi et serviettes de l’entraînement, et récurent le couloir et les toilettes.

Une fois le dîner prêt, les mal classés montent et nous appellent à table. Ils ne sont pas autorisés à se servir eux-mêmes avant que leurs supérieurs n’aient pris leur part ou sauté keur tour. Le sekitori mange seul dans sa chambre, servi par ses tsukebito.

Tout de suite après le dîner, les mal classés sont à nouveau de corvée de vaisselle. Mais leurs responsabilités ne s’arrêtent pas forcément là. Leurs supérieurs envoient constamment des lutteurs dehors pour chercher en catastrophe de la nourriture dans des snacks ou des épiceries.

Le rang des lutteurs détermine même ce qu’ils doivent porter. Les plus mal classés – jonokuchi ou jonidan – ne peuvent sortir qu’en geta, de grosses et bizarres sandales de bois. Les mieux classés – sandanme et au-dessus – peuvent porter des sandales souples à semelles de bambou. Les lutteurs classés en haut du banzuke peuvent porter des ceintures colorées sur leur kimono, quand les moins bien classés doivent se limiter à une ceinture noire. Ils ne sont même pas autorisés, à l’inverse de leurs supérieurs, à porter un manteau sur leur kimono.

Ces règles compliquées, toutefois, n’ont que peu de sens dans la pratique, les lutteurs de rang inférieur étant en général bien trop occupés par leurs tâches au sein de la heya pour pouvoir vraiment s’éloigner, et leurs survêtements et tongues sont amplement suffisants pour les courses qu’ils doivent faire dans le voisinage.

Tajoha
20/02/2005, 23h32
C'était le passage qui m'a le plus marqué. Je trouve ces remarques assez justes. Vu de l'extérieur, je ne pensais pas que les rikishis non titulaire avec des conditions de vie aussi "précaires" toutes mesures gardées, ils sont logués, blanchis et très bien nourris ;), et ont un petit salaire quand même.

Mais en tout cas ça colle très bien à l'idée "d'organisation verticale" que l'on colle si souvent à la société japonaise.

toonoryu
21/02/2005, 13h26
Salut tout le monde,

on continue, avec un texte qui proonge le précédent sur la stratification sociale du sumo, tout en se penchant cette fois ci sur les aspects historiques du système. Enjoy !



Vendredi, 31 décembre 2004



Le Sumo, archétype de la pyramide sociale.



Le Japon est réputé pour la rigidité de son système social, mais je pense que l’importance de son influence dans le Japon moderne est parfois surestimée. Bien sûr, les gens se servent de différentes formules de politesse suivant la personne à laquelle ils s’adressent, et ils affichent clairement leur déférence lorsqu’ils parlent à leurs patrons ou autres supérieurs. Mais ce sont, je crois, des survivances d’un Japon antique. En fiat, les vieux japonais se plaignent souvent de ce que la jeunesse ne sait pas manier le complexe système de titres honorifiques, formes verbales différenciées et pronoms personnels annexes qui changent radicalement la langue suivant la personne à laquelle on s’adresse.

Cette marche vers un Japon plus égalitaire, moins ancré dans ses hiérarchies immuables, est la plupart du temps considéré comme un bienfait. Les quelques bonnes nouvelles que l’on entend ces temps-ci au sujet de l’économie japonaise sont des success stories d’entreprises qui ont laissé tomber leurs structures de commandement rigides pour se mettre à l’écoute de leurs jeunes créateurs et pouvoir recruter à l’extérieur.

Mais dans le monde du sumo, la rigidité qui disparaît de la vie japonaise moderne est encore prégnante. Elle ne détermine pas uniquement le titre de celui auquel on s’adresse ; elle détermine la qualité même de la vie de tout un chacun. Votre rang dans la hiérarchie sociale détermine si vous allez baigner ou être baigner ; faire la cuisine ou être servi ; être sujet aux bastonnades intempestives, ou les administrer vous-même.

Cette rigidité a aussi un but très pragmatique, je pense. Elle amène une incitation très concrète aux petits à devenir plus gros, plus fort et plus hargneux pour pouvoir progresser dans la hiérarchie et échapper aux servitudes du sekitori. Et plus une heya a de lutteurs haut classés, plus elle a de prestige et d’argent.

Je parierais que, une fois qu’on le connaît vraiment, le sekitori n’est sans doute pas un mauvais bougre. Sans doute passe-t-il autant de temps cloîtré seul dans sa chambre parce qu’il en amarre d’être une crevure. Etre responsable de la torture et de l’humiliation d’un amas d’athlètes boursouflés n’est pas une sinécure. Mais cela fait partie du boulot et des prérogatives se rattachant à son rang.

J’imagine que le sekitori est sympa avec moi parce qu’il peut l’être. Je ne fais pas partie de la hiérarchie qui détermine la vie sociale de la heya. En mettant au point ce projet, je voulais être traité comme une jeune recrue. Je m’aperçois maintenant que c’était totalement impossible. Humilier un étranger tel que moi mettrait en péril le pouvoir symbolique d’humiliation habituellement utilisé.

Je réalise également à présent que, pour mon étude, la position que j’occupe, hors hiérarchie, est préférable à celle d’un apprenti. Elle me donne accès à des choses que ne peuvent connaître aucun des autres résidents. Je peux aller partout : sortir avec mes camarades haut classés, me faire offrir le dîner par le kashira, papoter avec le sekitori, ou regarder des émissions de variété dans la salle commune avec les jeunes lutteurs mal classés.

Mais ces derniers, par exemple, ne peuvent pas venir dans la chambre où je dors pour taper la discute avec mes camarades de chambrée. Et le sekitori ne peut pas passer un moment dans la pièce commune avec les mal classés pour regarder la télévision, du moins sans les maltraiter un peu au moins. Chacun doit rester au sein de sa caste.

Il est en fait assez étrange qu’une hiérarchie si rigide existe dans le monde du sumo. Ce sport est né d’un milieu rétif aux castes, le « demi-monde underground » du Japon des 17° et 18° siècles. Ce monde coexistait avec son pendant officiel, le Japon du shogunat de l’ère Edo.

Le Japon des shogun, posé sur son socle confucianiste, possédait des structures sociales parmi les plus codifiées. Une hiérarchie rigide le divisait entre les dirigeants du Japon, ses nobles, ses fermiers, les citadins et marchants formant la base de la pyramide. Des règles de comportement très strictes réservaient les artisanats les plus élaborés et les couleurs les plus chatoyantes aux détenteurs du prestige le plus élevé, tandis que les interdictions de déplacements limitaient la mobilité géographique.

Pour encore plus dominer cette stricte organisation sociale, le shogun empêchait aussi sa noblesse féodale – les samurai – d’accroître leur puissance en contraignant ses membres à passer le plus clair de leur temps à Edo, aujourd’hui Tokyo, où il pouvait les avoir à l’œil. Leur présence dans la cité développa une classe marchande de plus en plus nombreuse pour pouvoir satisfaire à leurs besoins somptuaires. Vers le milieu du 18° siècle, cet amoncellement de samurai et de citadins ordinaires avait fait d’Edo la ville la plus grande au monde.

Et que se passe-t-il lorsque l’on entasse derrière les grilles d’une cité des samurai blasés et des nouveaux riches ? Dans le cas d’Edo, ce fut une demande exponentielle pour des bordels, demande à laquelle le shogunat répondit en établissant un quartier chaud « officiel » aux portes de la cité, là où il poserait le moins de désagréments à l’ordre social établi. Un gigantesque quartier de loisirs s’établit alors autour de la zone des bordels, des zones semblables naissant autour des quartiers chauds des périphéries des autres villes japonaises. Des quartiers colorés, violents, de maisons de jeux, de spectacles extraordinaires et de comportements audacieux. Certainement quelque chose comme Las Vegas, si l’on remplace David Copperfield par du théâtre kabuki.

Dans cet « underground » qu’étaient ces quartiers des plaisirs, les statuts officiels importaient peu. Ce qui comptait avant tout était d’avoir du fric et d’être « en vue ». il existait alors un mot pour l’idéal Edo du « people » : tsuu. Si l’on était tsuu, on savait quels clandés et quels bouges avaient le plus de classe, et comment l’on devait y agir. On pouvait arriver dans un bar, griffonner un haiku (poème japonais) alambiqué, torcher quelques bouteilles du meilleur saké sans pour autant être bourré, puis sortir avec les plus jolies filles (ou coucher avec les putes les plus recherchées). Si Dean Martin avait été un « Edokko », - un enfant d’Edo – il aurait été tsuu, ce qui importait largement plus qu’une position officielle dans les quartiers chauds de l’époque.

Et c’est précisément dans ce milieu qu’est né le sumo. L’un des spectacles de cet underground était les paris sur les combats de rue, dont les protagonistes étaient bien souvent des samurai en rupture de ban ou des migrants de la campagne. Il est tout à fait vrai que la lutte a une histoire séculaire au Japon, et fait même partie de la mythologie de ses origines. Temples et sanctuaires engageaient souvent ces hommes forts pour combattre dans leurs enceintes, un moyen comme un autre de faire de l’argent, leur donnant une relation avec la religion. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ces combats étaient de rudes, âpres, brutales compétitions, qui se terminaient parfois par la mort d’un des protagonistes.

Mais à l’aube du 19° siècle, le sumo subit une mutation complète. A l’époque, les sanglants combats de rue étaient en danger d’être interdits dans le cadre de la croisade moralisatrice des shogun de l’époque. Menés par le rejeton d’une famille influente d’Edo, qui revendiquait l’héritage des secrets du sumo qui reliait ce sport aux combats de cour du 12° siècle, une armée de promoteurs de combats fit du lobbying auprès du shogun pour qu’il laisse les combats se poursuivre. Le shogun se laissa convaincre, et bientôt des combats de sumo étaient même tenus en son château. Le sumo, désormais pris dans les filets de la religion semi-officielle du Japon, le shintoïsme, était complètement réhabilité comme représentation de l’esprit japonais. On demanda même aux lutteurs d’aller accueillir – ou intimider – le Commodore Matthew Perry et sa flotte de Bateaux Noirs qui mirent fin à des siècles d’isolationnisme japonais sous la férule des shogun.

Quand le sumo sortit de l’underground pour s’établir comme partie intégrante de la culture officielle, il a du absorber le système hiérarchique du Japon des shogun, qui s’est fossilisé en la hiérarchie qu’il connaît aujourd’hui. Et, étant donné que cette hiérarchisation héritée de l’ère Edo perdure dans le sumo alors qu’elle disparaît rapidement de la vie japonaise moderne, le sumo pourrait véritablement être devenu le creuset des valeurs japonaises que ses refondateurs du 18° siècle imaginaient.

C’est certain, la hiérarchie du sumo est moins figée que celle du Japon d’Edo : c’est une méritocratie, même si c’est une méritocratie de la violence. Mais il ne faut pas perdre de vue que les seigneurs de la guerre qui entamèrent le projet d’unité nationale, achevé par les shogun, n’étaient pas de grands nobles eux-mêmes. Ils étaient des brutes issus de milieux modestes, qui dominèrent le pays par la force et la ruse, à la manière des lutteurs dans leurs combats.

Konosato
22/02/2005, 22h53
Un grand merci à toi toonoryu pour tes traductions. Je me régale du contenu, mais aussi de ton français très soigné, je dirais même cultivé. C'est du vrai bon français, sans un mot anglo-américain malgré que tu pourrais être enclin à en placer quelques-uns vu que tu traduis de l'anglais. Bravo! :D


Tiré de "Défense du français", bulletin édité pas la section suisse de l'union de la presse francophone (août 2004):

A l'heure où tant de francophones abdiquent honteusement devant l'anglo-américain, il est réconfortant de constater que la langue française a été et est encore souvent célébrée par de nombreux écrivains étrangers... même anglophones:
"La difficulté d'écrire l'anglais m'est extrêmement ennuyeuse. Ah, mon Dieu! si l'on pouvait toujours écrire cette belle langue de France!" (Dickens).
"Le français est peut-être le langage le plus précis du monde" (Coleridge).
"Le français est comme le vin: il pétille, il pique le palais, il a de la saveur" (V.Woolf).

toonoryu
22/02/2005, 23h15
Merci pour ces encouragements qui me vont droit au coeur... Et d'autant plus venant d'un Helvète, dont la partie francophone fait partie comme le Québec de ces coins de francophonie qui n'abdiquent pas, eux... :wink:
Et crois moi, il y des parties de plaisir pour traduire certains idiomes et trouver leur signification (le "Zamboni" m'a coûté quelques recherches sur le net...).
Prochaine partie à venir, d'ici le week-end (oups, un mot anglais :oops: ), le chanko-nabe. Au fait, les traductions se trouvent toujours également sur le blog traduit que Jacob remet régulièrement à jour (avec les photos en prime).
@+

toonoryu
25/02/2005, 12h27
Salut à tous,

avant de partir en week-end, une petite traduction vite faite. Sujet, le chanko nabe, mythes et réalité. Bon appétit et enjoy !



Samedi, 01 janvier 2005



Le Chanko Nabe


Mardi dernier, je ne me suis pas entraîné avec les autres lutteurs car mes jambes étaient encore particulièrement endolories de la séance de la veille. Mercredi, les lutteurs ont procédé à la réfection du dohyo à la place de l’entraînement, et jeudi la journée était chômée pour envoyer les banzuke. Donc, jeudi soir, la douleur ayant enfin consenti à quitter mes jambes, je me sens prêt à remonter sur le dohyo lorsque l’entraînement va reprendre demain matin. Je m’en ouvre à Tatsuya.

« Je ne pense pas que ça va être possible » me dit-il, à ma grand surprise. Comme tout le monde ici, il a été particulièrement serviable avec moi, me laissant participer à quasiment toutes les activités de la heya.

Mais il s’avère en fait que l’arrivée du banzuke marque le début d’une nouvelle étape dans la vie de la heya. Maintenant que tout le monde se situe dans la hiérarchie, il est grand temps que l’entraînement pour le tournoi de Janvier commence pour de bon. Des lutteurs d’autres heyas doivent se joindre à l’entraînement. Je serais tout simplement dans leurs pattes, me confie Tatsuya.

Pour être tout à fait honnête, il me faut reconnaître à cet instant que mon objectif initial de « m’entraîner une grosse semaine à devenir un sumotori » va avoir du mal à être atteint. Beaucoup de lutteurs rejoignent une heya sans rien connaître du sumo ; mais il apparaît aussi que tous passent leur six premiers mois de présence à l’école du sumo, au quartier général de Ryogoku, où sont enseignés les fondamentaux de la lutte. L’entraînement en heya se compose dans son intégralité de matches individuels déjantés, avec quelques instructions hurlées par les lutteurs anciens, le kashira et l’oyakata. Il n’est pas envisageable, pour le moins, que je puisse prendre part à de telles séances.

Mais j’ai toujours l’espoir que le reste du groupe ne partage pas la réticence de Tatsuya à me laisser m’entraîner avec eux, et qu’ils vont me laisser me mettre un mawashi dans la matinée pour les rejoindre. Je suis venu pour m’immerger dans la vie des sumotori, ce qui implique entre autres ces séances d’entraînement. Je suis donc bien décidé à y participer de nouveau, même si cela implique de passer encore une longue matinée à faire des shikos pour réchauffer la terre du dohyo.

Vendredi matin, je suis réveillé par les sons des lutteurs circulant dans la pièce. Murayoshi est en train de rouler son futon dans l’obscurité.
« Je peux m’entraîner avec vous aujourd’hui ? »
« C’est pas évident », me dit-il. « mais il est encore tôt », ajoute-t-il, impliquant que je ferais mieux de retourner dans mon lit. Dégageant mon réveil de mon fatras de fringues, livres et fils électriques, je constate qu’il n’est que 4h30. Et donc je me replonge dans mes draps.

J’émerge en me rendant compte que Moriyasu est en train de me parler. « Jacob, il est 7h00 ». Je bondis du lit, au moment où Murayoshi entre en mawashi.

Me voyant, il me demande « c’est vrai, tu voulais mettre le mawashi ».
« Je peux ? »
« Je crois que tu peux. Mais il y a beaucoup de monde en bas. Il n’y a vraiment pas de place pour toi ».
« Le kashira est en bas » poursuit-il. « Ce serait bien que tu descendes pour le saluer ». L’oyakata, le kashira, le sekitori et le tokoyama doivent tous être salués avec respect quand on les voit pour la première fois de la journée. « Assieds toi pour regarder l’entraînement et après on verra ».

Je descends au rez-de-chaussée et, après avoir salué le kashira, constate qu’il y a apparemment deux fois plus de lutteurs que d’habitude dans la salle d’entraînement. Je me résigne donc à rester observateur – plutôt qu’acteur – ce matin. Bientôt les oyakatas des deux autres heyas font leur entrée par la grande porte qui mène directement de l’extérieur dans la salle d’entraînement. Prenant chacun place sur un coussin, il attendent, assis à l’opposé du kashira.

L’un d’entre eux est un homme imposant, le cheveu court et taillé en brosse. On dirait qu’il appartient à la même mafia que le kashira (ndt : il s’agit de l’ancien yokozuna Onokuni). L’autre est grand et fin, les cheveux poivre et sel, habillé d’un pantalon de trekking Adidas et d’un manteau sombre. Il pourrait presque passer pour un entraîneur de foot européen.

Plus tard, j’apprendrai que ces oyakatas ont été des élèves de l’oyakata. Ils sont venus avec leurs lutteurs pour s’entraîner ici – plutôt que l’inverse – par respect pour leur ancien maître. L’une des deux heyas se trouve de l’autre côté de la ville et ses lutteurs doivent se lever à 3 heures du matin pour faire une heure de vélo avant d’arriver ici pour s’entraîner.

Les lutteurs des autres heyas sont, en moyenne, plus petits et « chétifs » que ceux d’ici. L’un d’entre eux est véritablement maigre ; pratiquement rien ne montre qu’il est un sumotori, si ce n’est ses cuisses et hanches très développées qui indique qu’il a fait son content de shikos. Ses cheveux – encore trop courts pour qu’il puisse en faire un chignon – montrent à l’évidence qu’il n’est pas dans le sumo depuis bien longtemps. Et pourtant, il bat une palanquée de lutteurs de notre heya à la file. Même Torii, l’un de nos lutteurs les plus imposants, doit s’employer contre ce petit bonhomme pour rester sur le dohyo, et perd même quelques matches.

Après un petit moment, toutefois, mes jambes croisées commencent à se raidir, et je commence à avoir du mal à me concentrer sur les combats, en ayant vu beaucoup ces derniers temps, et je décide donc d’aller voir ce qui se passe en cuisine. J’ai envie de voir comment se prépare le fameux chanko nabe.

Je sais que Takasaki doit être maintenant à la cuisine. Takasaki quitte la salle d’entraînement après s’être échauffé et avoir pris part à quelques corps à corps légers, pour aller préparer le repas. Il n’a pas effectué un véritable entraînement depuis presque un an et demi en raison d’une blessure à l’épaule qui l’a cantonné dans le rôle de chef cuisinier de la heya. C’est un lutteur trapu, carré, au teint presque rose, dont le haut du torse semble meurtrie en permanence d’avoir encaissé des charges sur le dohyo.

Quand j’entre dans la cuisine, Takasaki est en train de découper en morceaux un poulet à l’aide d’un couteau long et aplati, la poussière du dohyo toujours collée sur son dos. Des abats de poulet cru éclaboussent son mawashi – son seul vêtement du moment – quand il gratte de la carcasse tout ce qui peut en être comestible : le gras, le cartilage, les bouts de viande collés aux os. Il jette le tout dans une passoire qu’il a placée dans l’évier.

Torifumi, le lutteur que le sekitori appelle « Gu-Rauns », se trouve également dans la cuisine, en train de griller un Hokke entier – une sorte de maquereau – coupé en deux. Quittant le gril un moment, il verse du sake dans les deux grosses marmites d’eau en train de bouillir sur leur feu. Takasaki le rejoint avec sa passoire pleine de morceaux de poulet et en répartit le contenu à l’aide d’une louche. Un faux mouvement, et de l’eau bouillante éclabousse les cuisses nues de Torifumi. « Ouch », glapit-il.

A l’évidence, cela fait un bail que les deux lutteurs sont à l’ouvrage. en face des feux, on trouve une passoire pleine de légumes hachés : des carottes, une sorte de gros radis appelé daikon, des oignons. Une énorme passoire de chou, une autre emplie d’épinards et de champignons – des shitakes, de couleur brune, et de longues et fines bottes d’enokis.

Les accompagnements sont également prêts et posés à côté. Deux bols de natto – des germes de soja fermentés et gluants, qui exhalent une odeur de pied renfermé et ressemblent à de la morve – mélangés à de l’échalote. S’y ajoutent quatre plats de calmar cru coupés en bandes et marinant dans leur jus rosâtre.

Takasaki reste devant les plats, écumant le gras du poulet qui surnage, les flammes des brûleurs dangereusement près, me semble-t-il, des poils pubiens qui dépassent de son mawashi.

« Tu es en train de recopier la recette ? » me demande-t-il, en me voyant prendre des notes sur mon carnet.
« Bien sûr. C’est le chanko nabe ».

a ce moment, quelques autres lutteurs se trouvent également dans la cuisine, sans doute pour y trouver refuge du froid de la salle d’entraînement. Torii est assis sur la marche menant à la salle commune. Un lutteur gras, le cheveu rare, d’une autre heya, repose sur une serviette posée à même le sol, tel une version obèse du villageois risible qui requiert les services des Sept Samouraïs dans le film de Kurosawa. Batto et Saita se tiennent debout, à la chaleur des marmites d’eau bouillante, couverts de terre. Même le tokoyama, le coiffeur des sumotori, est présent. Il me demande si ça me dérange qu’il fume, puis s’en allume une et commence à faire des ronds de fumée dans la cuisine.

Tous partent d’un grand éclat de rire quand je dis « c’est du chanko nabe ».
« Il n’y a pas de plat qui s’appelle chanko nabe » m’informe Takasaki, revenant avec autorité sur les paroles d’un nombre incalculable d’amis japonais m’ayant décrit ce plat comme le délice du viandard : un épais ragoût de bœuf, porc, poisson et poulet, avec quelques morceaux de tofu et quelques légumes ajoutés pour faire bonne mesure. J’ai même pu lire au sujet de ce plat dans des livres sur le sumo, et en ai vu des recettes. J’ai pu voir – même si je n’y ai pas mangé – des restaurants de chanko nabe à Tokyo, tenus d’après ce que j’ai pu entendre par d’anciens sumotori.

Toutefois, sur la semaine que je viens de passer au sein de la heya, je n’ai jamais encore vu ce plat. Bien sûr, le plat principal de chaque déjeuner est un nabe (prononcer nah-bay), sorte de ragoût à la japonaise, que l’on fait mijoter sur la table, et dans lequel on ajoute en permanence des ingrédients frais. Mais il est peu fréquent d’y trouver plus d’une sorte de viande, et la base en change chaque jour. Parfois c’est du miso, parfois de la sauce soja, parfois cela a juste le goût d’un bouillon de poulet.

Malgré tout, j’imagine qu’il y a quelque chose dans ce nabe qui le rend « chanko », un tour de main ou un ingrédient particulier. J’ai tort.

« Le chanko nabe est un nabe fait par des sumotori » m’explique Takasaki, tout en écumant la graisse du poulet. « tout ce que des sumotori peuvent cuisiner, on l’appelle ‘chanko’ ».

puis il verse quelques cuillerées de sel dans chaque marmite, puis du poivre. Il y ajoute un peu de mirin – sorte de vin cuit – et un peu de kim-chi, une sauce piquante. Puis il répand ce que je crois être du sucre, mais encore une fois je me trompe.
« Non, c’est de l’ajinomoto » dit Takasaki, donnant le nom de la marque qui commercialise ce que chez nous nous appelons le glutamate de sodium (ndt : il semble que ce soit les « sucrettes »).
« La poudre magique » ajoute Saita.

Takasaki poursuit la cuisson du nabe, ajoutant peu à peu du sel, du poivre, du mirin ou du kim-chi, avant de goûter le bouillon et de rajouter à nouveau de l’assaisonnement. Quand le bouillon est à son goût, il y verse les passoires de daikon et carottes, les répartissant dans les deux marmites.

En attendant l’ébullition, il donne à Torifumi – toujours en train de cuire le hokke – une tape amicale sur son ventre nu et rond.

Puis il ajoute les champignons shitake. Le reste des ingrédients – champignons enoki, épinards – doivent être ajoutés quand le nabe sera sur un brûleur de la salle commune, me dit-il.

Arrivé à cette heure, l’entraînement s’est achevé et les lutteurs pullulent dans la cuisine, picorant tout ce qui leur passe sous la main. Murayoshi teste une cuillerée du ragoût de nabe, et s’exclame « il n’a pas de goût », et ajoute encore quelques cuillers de kim-chi. Je surprends Moriyasu en train de chiper une tranche de pain dont je sais qu’il va aller se la griller dans sa chambre ; après treize ans passés dans la heya, il ne supporte plus le chanko, et mange donc du pain après l’entraînement pour se caler l’estomac avant de pouvoir rejoindre un restaurant.

Takasaki est toujours en train de touiller le nabe. Saita, qui se met un doigt sous l’aisselle, me dit : « Le voilà, l’ingrédient secret du chanko nabe : la sueur du sumo ».

furanohana
25/02/2005, 14h41
« Non, c’est de l’ajinomoto » dit Takasaki, donnant le nom de la marque qui commercialise ce que chez nous nous appelons le glutamate de sodium (ndt : il semble que ce soit les « sucrettes »).
« La poudre magique » ajoute Saita.
Excellent traduction, comme d'habitude.

Petite remarque : le glutamate de sodium est juste du... glutamate de sodium. Il s'agit d'un condiment (comme le sel), utilisé par les asiatiques mais pas par les européens. On le trouve en épiceries asiatiques.
Conclusion biologique : il existe sur les langues des récepteurs au salé, au sucré, à l'amer, et... au glutamate !

ArnaudB
26/02/2005, 13h13
vraiment très agréable à lire cette traduction :)
félicatation toonoryu :wink:

Nemosima
26/02/2005, 17h16
En fait glutamate monosodique, un des nombreux sels utilisés en cuisine.

Les sodium sont tous des sels :

Le sel commun est le chlorure de sodium (NaCl). Le « soda à pâte » est le bicarbonate de sodium (NaHCO3).

Le glutamate a un goût salé et fait office de sel (comme le sel de cèleri ou le bicarbonate de soude dans nos cuisines européennes).

Autres sels :
glutamate monosodique, citrate disodique ou trisodique, citrate ou phosphate de sodium ou monosodique, accent, sel d'ail, sel de céleri, sel d'oignons, bicarbonate de sodium (ou de soude)...

toonoryu
27/02/2005, 19h02
Comme quoi, la traduction, qui est loin d'être une science facile ni exacte, nécessite, comme je l'ai toujours pensé, d'être multispécialiste, y compris parfois en art culinaire dans un sujet de sumo. Etonnant, non ? Bon, ben je vais aller me mettre la tête dans un sac et aller faire pénitence... :oops:

En attendant, et pour me faire pardonner, une nouvelle traduction. Une autre plus longue demain. Sujet du jour, les sumos et le sexe (c'est à dire un certain vide...). Enjoy !


Lundi, 03 janvier 2005


Vous êtes Français ?



Pas d’entraînement samedi matin non plus. Après en avoir été dissuadé par les lutteurs, je souhaitais en parler avec l’oyakata, mais n’en ai pas eu l’occasion. Donc, une fois de plus, je descends voir l’entraînement de la salle commune.

Pas mal de spectateurs dans la heya aujourd’hui. Peu après que je me sois assis à ma place habituelle près du kashira, deux hommes d’âge moyen et une femme arrivent et s’asseyent juste en face de moi. Je présume qu’ils sont des mécènes de la heya. Celles-ci assurent la majeure partie de leur financement – et, quand les lutteurs sont en déplacement, de leur logistique – de tels fans.

Me déplaçant sur le rebord, je m’assied du côté de l’oyakata. Environ une heure avant le début de l’entraînement, une famille occidentale me rejoint dans la pièce. Une femme, dont j’imagine qu’elle est la mère de la famille, s’assied à côté de moi, tandis qu’une femme plus jeune, deux enfants et une femme d’âge mûr prennent place derrière moi.

C’est la première fois que je vois des Blancs dans la heya, et mon premier réflexe est d’y voir des intrus. J’ai acquis un esprit très possessif : « ce sont mes sumotoris. Allez vous en chercher d’autres », me dis-je. Mais ce sentiment est fugace. Lorsque la femme assise derrière moi se contorsionne pour voir l’oyakata en face d’elle, je m’écarte avec gentillesse.

« Merci » me dit-elle (ndt : en français dans le texte).

Alors que la famille s’installait, le sekitori a débuté son entraînement, et effectue une longue série de face-à-face contre un Mongol d’une autre heya. Le sekitori semble enfin avoir rencontré une opposition à sa mesure. Le Mongol est grand, large est musculeux, bâti comme un Bibendum énergique, et possède une grande vitesse de réaction.

J’ai fini par observer que le sekitori a une faculté magnifique à faire sortir les autres lutteurs du dohyo, en s’écartant sur le côté alors qu’ils poussent de toutes leurs forces, les laissant tomber, entraînés par leur élan. C’est sa technique défensive de base. Mais pour qu’elle puisse fonctionner, il lui est nécessaire d’obtenir une prise du mawashi de son adversaire pour pouvoir le manipuler. Le Mongol ne lui en donne que rarement l’occasion, le maintenant à distance par des coups rapides à la poitrine, et le déséquilibrant en fonçant dans tous les sens à l’intérieur du dohyo. S’il ne l’envoie que très rarement au sol, le Mongol réussit assez régulièrement à sortir le sekitori du dohyo. A chaque match perdu, ce dernier grimace nerveusement et pousse de longs soupirs.

Bien entendu, le sekitori est loin de perdre tous ses matches. Quand il réussit à amener le Mongol où il l’entend, il peut l’entraîner hors du dohyo à une vitesse que je n’ai encore jamais vue. Parfois, incapable de stopper sa course, il rentre dans un mur, et je le vois même une fois trébucher et tomber de tout son long sur le sol de la salle commune, obligeant Fuchita à accourir avec une serviette pour essuyer sa sueur du tatami.

Une fois les matches entre le Mongol et le sekitori terminés, et les exercices de retour au calme effectués, la famille se lève et s’incline longuement devant les lutteurs, embarrassés d’une telle attitude. Puis, j’ignore pourquoi, elle s’incline également devant moi. « Bye », leur dis-je. « Adieu », me répond la jeune femme.

M’ayant vu assis avec une famille de Blancs, le kashira me fait un signe et me demande, en anglais, si ce sont des amis. Sauf que je comprends qu’il me demande s’ils sont français, ce à quoi je réponds par l’affirmative. Ce qui a le don de nous laisser tous deux perplexes.

En fait, il s’avère assez vite que le kashira n’est pas le seul à croire que les membres de cette famille française sont mes invités. Tout le reste de la journée, tous les lutteurs me demandent : « qui étaient tes amis ? » ou encore « c’était ta famille ? »

Kazuya me demande même « la femme à côté de toi, c’était ta petite amie ? ».
« Mon cher Kazuya, tout d’abord, c’est la première fois que je vois ces gens de ma vie. Ensuite, cette femme avait au bas mot la cinquantaine »
« C’est pour cela que je me posait des questions : on aurait dit une obasan », me dit-il, se servant d’un mot qui signifie littéralement ‘tante’, et sert en général à désigner les vieilles femmes.

Depuis que je suis arrivé au sein de la heya, je suis constamment pris à témoin par les lutteurs lorsqu’ils veulent faire des allusions graveleuses sur les préférences sexuelles supposées d’un autre. On me dit « Lui, il aime les gamines », suffisamment fort pour que l’intéressé l’entende. Un autre, me dit-on, « aime les Américaines ». Un autre serait plus attiré par les hommes. Et Kazuya, d’après ce qu’on m’en dit, a un faible pour les obasans, donc il était peut-être jaloux que je sois assis avec cette française assez mûre.

Les lutteurs inventent sans doute ces histoires sur les autres pour compenser leur propre manque de vie amoureuse. Le sekitori, m’a dit le kashira, sort avec une call-girl, et j’entends assez régulièrement Moriyasu échanger des mots doux au téléphone avec sa petite amie, une conseillère matrimoniale. Mais en dehors d’eux, personne au sein de la heya ne semble avoir de relations amoureuses. Hiroki, qui a rejoint la heya quand il avait 16 ans, me dit qu’il n’a jamais eu de petite amie.

Ce n’est pas vraiment surprenant. S’il avaient des petites amies, ils ne pourraient pas les faire venir dans les locaux. Ce type de relations est tout sauf encouragé chez les lutteurs de rang inférieur. Et quand bien même ils pourraient le faire, je ne suis pas sûr que les mal-classés aient le temps ni l’argent pour entretenir des relations. J’en viens même à me demander comment ces lutteurs – qui passent toute leur vie de jeunes hommes cloîtrés hors de toute présence féminine – peuvent avoir un mariage heureux, même je n’ai rien pu observer qui implique le contraire.

Nemosima
27/02/2005, 20h35
Merci pour ta traduction très agréable à lire ! Je lis l'anglais, mais j'ai la flemme...

Il est possible cependant que je m'y résolve car ça me donne envie de lire la suite, et je n'ose pas te presser... Je commencerai donc par la fin pour continuer à découvrir avec plaisir ces textes en français.

Merci vraiment, c'est un gros travail d'autant que Jacob ne s'arrête pas d'écrire.

Au fait, quand doit prendre fin son "expérience" ?

Nemosima
27/02/2005, 20h51
Dis moi Toonoryu, je ne sais si c'est Jacob ou toi qui as traduit le titre (in the hall of the mountain kings) sur son blog, mais, malgré la référence à Grieg, ce serait plutôt "dans l'antre des rois de la montagne" ce qui est plus compréhensible pour une heya...

toonoryu
27/02/2005, 20h54
En fait, elle a pris fin il y a quelques temps, et il continue simplement de remettre ses notes en ligne quannd il a le temps, puisqu'il a repris son cursus en mastère de journalisme. J'aime bien ses textes car ce sont, au-delà des aspects techniques ou historiques que l'on finit par connaître au contact des érudits de ce forum, des histoires d'hommes, des destins, des petites aventures de la vie quotidienne, toutes choses difficiles à voir ailleurs...

Pour le titre, je viens effectivement de m'apercevoir avec horreur que je n'avais jamais fait gaffe qu'il y avait un "s" :oops: . J'en parlerai à Jacob...

toonoryu
28/02/2005, 10h56
Allez, comme je suis en forme, encore un autre texte (j'espère que vous n'en faites pas une indigestion...), assez marrant voire surréaliste par moments. La petite chanson de fin m'a permis de me lâcher un peu... Enjoy !




Lundi, 03 janvier 2005



Mawashi II : Le Retour



Samedi, veille de Noël. Je suis en train de regarder la télévision en compagnie de quelques jeunes lutteurs, dans la salle commune. Sur le petit écran, un duo de comiques nommés ‘99’ est en train d’emmener Nakai, membre du groupe pop SMAP, en tournée au Japon, pour lui faire des tours ou le placer dans des situations comiques à chaque arrêt.

Un moment donné, ils l’emmènent dans une station thermale, et l’installent avec quatre magnifiques poupées qui lui servent du saké dans un bain chaud. Puis les comédiens s’éclipsent, et l’on constate que la salle de bains est en fait montée sur des pilotis, et qu’une sorte de piste d’envol part d’en dessous, se terminant par une boucle. Quand le compteur affiché en bas de l’écran marque enfin zéro, le bas de la pièce s’ouvre, expulsant la popstar sur la piste dans un torrent d’eau chaude. La boucle de fin l’envoie valdinguer dans les airs. Une fois revenu au sol, il s’enfuit à toutes jambes, l’air hagard.

Eclat de rire général dans la pièce, devant la scène repassée plusieurs fois au ralenti et sous différents angles, lorsque l’oyakata fait son apparition par la porte coulissante de devant, que seul lui-même et quelques membres éminents de la petite communauté de la heya sont habilités à utiliser (les lutteurs et moi-même pénétrons dans la pièce par une plus modeste porte battante sur le côté de la salle).

Tout le monde dans la pièce se lève et salue l’oyakata, d’un « Otsukariandegozaimasu », et j’en fais donc de même. L’oyakata demande aux lutteurs d’aller lui chercher quelque chose dans sa voiture, et Tatsuya et Ishikawa s’y collent.

Puis il remarque enfin le sac en plastique que Mitsui vient de ramener de l’épicerie, et qui repose sur son matelas. « Qu’est-ce que c’est » demande-t-il.

« A manger » répond Mitsui avec déférence, provoquant des rires sous cape de la part des autres lutteurs. En effet, le sac déborde de trucs à grignoter : des bouteilles de soda aux pommes ou aux raisins, des chips de riz, des barres chocolatées…

Moue de désapprobation de l’oyakata. « Et ça, c’est quoi ? » demande-t-il, ayant remarqué le lecteur de DVD de Mitsui, qu’il entropose dans son coffre.
« Un appareil », dit-il, provoquant des gloussements tout autour.
« Quel genre d’appareil ? » demande, agacé, l’oyakata.
« Un lecteur de DVD ». Rires encore, cette fois bien forts.

L’oyakata fait la moue.

« C’est aussi vous qui avez mangé cette soupe instantanée ? » demande-t-il, montrant le réchaud posé à côté du matelas.
« Non, en fait c’est un Bolino ». Cette fois, les lutteurs partent dans un éclat de rire véritablement hystérique.

L’oyakata, qui maintenant a lui aussi un (petit) sourire aux lèvres, s’agenouille devant le sac de Mitsui et vérifie un temps les articles s’y trouvant. Puis il se lève et va rejoindre ses appartements. Je le rattrape au pied des escaliers.

« Oyakata », lui dis-je « je voulais vous demander. Pas mal de lutteurs viennent à l’entraînement chaque matin maintenant, et il n’y a plus beaucoup de place disponible. Mais est-ce que ça dérangerait si je venais quand même ? »
« Bien sûr que non » me dit-il, ce qui est la réponse que je voulais entendre. Je commençais à avoir un sentiment d’inaccompli d’avoir passé si peu de temps en mawashi, et je suis donc heureux d’avoir une autre occasion de m’entraîner avec eux. Je ne suis pas tout à fait sûr que cela soit bien utile à ce stade, ayant sans doute amassé toutes les impressions que je voulais recueillir sur le fait de se trouver près d’un dohyo en mawashi, mais je sens qu’il faut que je le fasse, au moins encore une fois. Après tout, quand je suis arrivé ici, je pensais que je porterais un mawashi tous les jours.

J’imaginais que le jour suivant, dimanche, serait chômé par les lutteurs et que j’aurais la possibilité de m’entraîner lundi. Quelle n’est pas ma surprise, le dimanche à mon réveil, de voir que le lutteur qui se coupe les ongles de pieds et me regarde, près du lit de Murayoshi, n’est pas Murayoshi. C’est Akiyama, un lutteur d’une autre heya, qui a sur l’épaule une bosse ressemblant à une demi balle de tennis, produit d’années de choc de tête de ses adversaires. Je m’étonne qu’il soit là un jour de week-end.

« Vous vous entraînez aujourd’hui ? », ce à quoi il me répond par l’affirmative. « Mince, je pensais que vous aviez votre dimanche ». J’ai tort. Avec les festivités des vacances du Nouvel An qui approchent et le Tournoi de Janvier qui se pointe à l’horizon, il n’est maintenant plus question de jour de repos.

Je suis quelque peu déçu, car j’espérais profiter de cette journée pour faire un peu mieux connaissance avec certains lutteurs. Je ne pratique pas d’interviews très formelles ; en fait, je papote avec eux, puis me précipite pour aller en retranscrire le contenu dans mon calepin dès que c’est fini. Je ne pense pas les trahir car je le fais ouvertement. Ils sont habitués à ce que j’interrompe nos conversations pour aller scribouiller sur mon calepin.

En effet, mes échanges avec les lutteurs ont été plus informels qu’autre chose, car je n’ai pas franchement envie de les pousser dans leurs retranchements quand il s’agit d’eux même. Mais je m’imaginais que je pourrais profiter de leurs moments de relaxation dès qu’il auraient un peu de temps libre. Il est clair que ce ne va pas être les cas aujourd’hui.

De plus, après avoir obtenu l’accord de l’oyakata de rejoindre l’entraînement, je m’imaginais le faire à la première occasion. Mais ayant dormi au-delà de la limite raisonnable au-delà de laquelle il m’était encore possible de les rejoindre, j’ai aussi laissé passer cette chance.

Je suis donc extrêmement déterminé à m’entraîner lundi. Avant de m’endormir dimanche soir, je confie à Murayoshi que je me joindrai à eux le lendemain et lui demande à quelle heure ils commenceront.
« 5 heures, mais tu peux commencer vers 6h30 ». Ce qui me convient parfaitement. « Quand tu te réveilleras, trouves quelqu’un pour t’aider à enfiler le mawashi ».

Le lendemain matin, j’émerge vers 4h30 au son des murmures des lutteurs, et me réjouis de constater sur mon réveil que je peux encore dormir quelques heures. Je me réveille encore une ou deux fois avant d’être complètement en éveil lorsque j’entends Moriyasu et Saita sortir, et constate qu’il est 6h20. En tant que lutteurs bien classés, ils sont autorisés à débuter l’entraînement à cette heure tardive. Et n’ayant pas d’implication particulière dans la heya, c’est aussi mon cas.

En bas, Fuchita m’aide à enfiler un mawashi. Comme il est en train de me l’enrouler autour de la taille, Ishikawa passe à côté et lui grommelle « Il ne devrait pas s’entraîner aujourd’hui ».

L’atmosphère dans la salle d’entraînement est radicalement différente de la première séance à laquelle j’avais participé. A une semaine du tournoi de Janvier, les séances deviennent bien plus longues, et bien plus brutales. Au cours d’un exercice, Hiroki perd l’équilibre sur le rebord du dohyo et est balancé par un lutteur d’une autre heya qu’il était sur le point de vaincre. Murayoshi l’agonit d’injures, et s’avançant vers lui, lui administre une énorme gifle sur la cuisse. Puis, continuant à crier, il le refrappe à plusieurs reprises, le son des claques résonnant à travers toute la pièce. Hiroki ne bouge pas, encaissant les coups et s’excusant d’avoir perdu.

Les séances d’entraînement ayant atteint ce degré d’intensité et de brutalité, personne ne semble d’humeur à s’occuper de moi en ce moment. Personne ne jette un œil pour vérifier si je fais mes shikos, et si je les fais correctement. La dernière fois, Murayoshi était aux petits soins pour moi, redressant mon dos pour s’assurer que j’avais une bonne position, me demandant si j’avais froid. La seule fois où l’on s’inquiète pour moi cette fois est quand le sekitori envoie le Mongol de l’autre heya valdinguer hors du dohyo dans ma direction, et que je me retrouve coincé brièvement contre le mur, recouvert de sa poussière et de sa sueur. Murayoshi me repousse durement sur le côté, comme un enfant qui a fait des bêtises, et me place à un endroit moins risqué.

Pas l’ombre d’une chance de s’entraîner pour moi ce matin, où même d’essayer de faire une séance de « polisseuse » sur le dohyo. Je n’ai pas non plus à compter mes cinquante shikos, comme la dernière fois – il n’y a même pas assez de place autour du dohyo, je dois les faire en dehors. En fait, les shikos sont tout ce que je peux faire ce matin pour rester chaud, alors même que je me sens un peu idiot sur l’instant.

Cette situation me permet malgré tout de me fredonner une petite chanson de ma composition :

Si tu te gèles les cacahuètes,
Et que malade tu vas tomber,
Il te faut plier tes gambettes,
Et aux shikos t’abandonner,

Simplement frapper la jambe droite,
Et alors au sol se pencher,
Simplement frapper la jambe gauche,
Encore et encore continuer

Du Pays Basque jusqu’au Ch’Nord,
Les shikos c’est vraiment trop fort.

Kaiowaka
28/02/2005, 11h32
Merci Toonoryu pour tous ces très grands moments........................!

Vivement la suite ! :wink:

toonoryu
01/03/2005, 13h12
Salut à tous,
Aujourd'hui, un texte assez étrange, qui lève un coin de voile sur des aspects méconnus d'un personnage assez étrange au sein de la heya. Enjoy !


Mercredi, 5 janvier 2005


Retour d’Iki


Même si la considération se révèle sans aucun intérêt particulier, ce lundi n’est pas ma dernière apparition en mawashi. Le lendemain - ce qui doit être mon avant-dernier jour au sein de la heya – je le remets de nouveau, sauf que cette fois c’est pour un mochi-tsuki. Les mochi sont ces gâteaux de riz flasques, que l’on mange toute l’année au Japon, mais tout particulièrement durant cette période de vacances de Nouvel An. Le mochi-tsuki en est la préparation à l’ancienne, qui consiste à marteler du riz cuit gluant, à l’aide d’un maillet géant, pour en faire une pâte collante. Congrégations religieuses, groupes d’écoliers, voisins de quartier ou d’immeuble se relaient pour frapper comme des malades des monceaux de riz servant à confectionner les mochi du Nouvel An. Les Japonais, en fait, peuvent ne pas avoir entendu parler de Neil Armstrong, mais ils sont convaincus qu’il peuvent apercevoir un lapin géant faisant du mochi avec un maillet géant dans les cratères de la lune.

Et comme les sumotori récupèrent tout ce qui est dans les pures traditions japonaises pour le faire avec encore plus d’ardeur que le reste de la société, le mochi tsuki est un moment très important pour la heya. Lundi, à la tombée de la nuit, les lutteurs disposent une énorme bâche plastique sur le sol du dohyo, et dessus, un énorme bol en pierre. Ils amènent également plus de soixante kilos de riz dégoulinant dans une grosse poubelle en plastique, et empilent une pyramide de cocottes minutes de bambou sur une sorte de brûleur en train de faire bouillir de l’eau dan un coin de la salle d’entraînement.

Le lendemain matin, très tôt, les lutteurs enfilent leur mawashi et commencent le travail. Deux vieux – des fans de la heya et, apparemment, des spécialistes de la confection des mochi – viennent superviser les opérations. Tout d’abord, les lutteurs cuisent les riz dans les cocottes de bambou, ainsi que dans d’autres gamelles plus modernes qu’ils posent sur les foyers de la cuisine. Puis le riz est jeté dans le bol en pierre, où quatre lutteurs le broient en se servant de maillets courts en bois comme de pilons.

Une fois le riz concassé, un lutteur arrive avec un énorme maillet de bois et commence à marteler le riz, tandis qu’un autre retourne la bouillie entre chaque impacts. A chaque coup de marteau, tous les lutteurs reprennent en chœur ce cri : « Yo-i-cho ! ».

Ils viennent juste de débuter les opérations quand je fais mon entrée.

« Tu veux donner un coup de main ? » me demande Ishikawa.
« Oui, j’aimerais beaucoup ».
« Dans ce cas, tu devrais mettre un mawashi », dit Hiroki.
« Naan, il en a pas besoin », coupe Ishikawa. Il montre du doigt mon survêtement et dit « Ca va avec ça ».
Mais j’interviens « Ca va, je vais mettre un mawashi ». en fait, j’ai vraiment envie de le mettre, car devant quitter prochainement la heya, je n’ai pas encore de photos de moi dans cet accoutrement.

Tatsuya m’aide à l’enfiler en bas. Nous faisons quelques photos de moi en train de faire des shikos ou de lutter contre Nakahara, le plus imposant des lutteurs alentours à ce moment, puis je rejoins les lutteurs autour du bol en pierre. Penché en arrière, j’attends mon tour de marteler le riz, jusqu’à ce que Mitsui me fasse finalement remarquer que je dois dire « Yo-i-sho ! » quand on frappe dans le bol, et donc je commence à fredonner avec les autres.

Quand mon tour arrive enfin, je laisse de côté le petit marteau léger qu’on me suggère de prendre et empoigne le gros. Je l’abaisse sur la masse de riz aggloméré. « Yo-i-sho ! », crie-t-on en chœur. Je soulève à nouveau le maillet, et l’abaisse, encore et encore. Entre chaque coups, le kashira soulève puis étale l’amas de riz gluant, afin qu’il soit uniformément battu. Les premières séries de coups sont faciles, et je tiens sans problème la cadence des lutteurs.

Puis mon bras commence à me faire mal, et le marteau se fait plus lourd. Il me faut de plus en plus de temps pour soulever le marteau au-dessus de mon épaule. Il ressort du bol en pierre, et les lutteurs entament un « Yo-i… », mais doivent laisser un temps de latence jusqu’à ce que le maillet soit enfin dans les airs, pour finir par un « …sho ! » quand je finis par l’abattre. Finalement, je rends mon maillet à Kitamura et me met à l’écart.

A l’écart du bol de pierre, le sekitori, qui sait que je dois partir le lendemain, m’interroge : « Alors, tu vas devenir un sumotori ? ».
« Moi ? »
« Ouais, tu es vachement fort », jugement complètement faux, comme ma performance au maillet vient de le démontrer.
« Mais je sui trop vieux, et trop petit ».
« Lui aussi est petit », dit-il, pointant du doigt Ishikawa, qui fait pratiquement une tête de plus que moi.
« Bon, alors je vais peut-être devenir sumotori ».

En fait, non seulement je n’ai vraiment aucune envie de le devenir, mais je n’ai même plus envie de remettre un mawashi. J’ai mes photos et ai mis la main à la pâte pour le riz. C’est bien suffisant. Je revêt donc le kimono qui m’a été donné après ma première séance sur le dohyo et m’éclipse pour me changer. Dans le couloir près de la lingerie, je m’escrime avec le mawashi qui s’accroche à mes jambes comme une sangsue, puis monte à l’étage, en tenant mon kimono pour le garder fermé.

Lorsque j’arrive en haut des escaliers, quelle n’est pas ma surprise de voir en dehors de la chambre une paire de bottines de femme à hauts talons. Quand j’entrouvre la porte, c’est pour voir Iki assis par terre en train de trier des photographies aux côtés d’une fille en bas et minijupe.

Cela me fait un drôle d’effet. Je n’ai jamais vu une femme à l’étage, et n’en ai vu que peu au rez-de-chaussée. Il ne m’est jamais venu à l’idée qu’une femme puisse même avoir droit de cité dans la chambre des lutteurs : c’est tellement l’archétype d’une garçonnière. Mais elle est là. Et en plus, elle est canon, et a à peine la vingtaine pour autant que je puisse en juger.

J’ai un léger mouvement de recul, me demandant si ce n’est pas une vision. Puis, finalement, je lâche un « konnichi wa » et entre.

« Harry Potter » me salue Iki. Puis, s’adressant à la fille, lui lâche « Toi, tu parles anglais, parles lui ».

Au lieu de ça, elle me raconte – en japonais – une histoire à propos d’un « client » chinois qui lui a dit – en anglais – qu’il avait 99 ans. A l’évidence, elle appartient au monde interlope d’Iki.

Et me voilà, nu sous mon ridicule kimono japonais, à me demander commencer je vais bien pouvoir enfiler le jean que j’étais venu mettre. J’ai perdu pas mal de ma pudeur ces dernières semaines, à force de me baigner ou de me changer en groupes, et j’aurais balancé le kimono sans même y penser s’il n’y avait que des mecs dans la pièce. Mais c’est plus compliqué à cet instant, et je ramasse donc mes affaires dans une corbeille pour les emmener en bas.

Je fais mon retour habillé normalement, et la fille me lance donc un « Vous avez changé d’affaires »
« Oui, effectivement », lui dis-je avant de m’asseoir sur mon couchage pour taper quelques notes. Iki extirpe une paire de pantalons énorme de la pile de linge de l’un des lutteurs, avant de la passer sur le short écossais qu’il portait jusque là. Puis il s’en va avec la fille, laissant derrière lui sa mallette métallique, son sac à main Vuitton et ses albums photo.

Ce n’est pas la première fois que je vois Iki dans la heya depuis mon arrivée, jour où il débarqua durant la sieste. Il apparaît comme ça de temps à autres. Parfois, il s’assied au sol, prenant un appel sur l’un de ses deux cellulaires ; parfois, il pique un roupillon quelques heures, puis s’en va.

Une nuit, il vint, dans le même survêtement orange que le première fois – qui paraît d’ailleurs plus sale à chaque rencontre – et, tout en fredonnant quelques mesures de Let It Be, déroula le couchage de Saita et se mit à l’aise.
« Harry Potter » dit-il, rangeant d’autres photos dans un album, « tu ressemble à Harry Potter ».
« Pas du tout », dis-je.
« C’est pas mal de ressembler à Harry Potter. C’est un beau garçon ».
« Harry Potter est juste un enfant ».
« Pas dans le dernier. As-tu vu le dernier ? ».

Il me fallut reconnaître que non. Plus tard, il se mit à me faire des compliments sur mon nez.
« C’est un joli nez ».
« Non, il est gros ».
« C’est un joli nez. Il est joli parce qu’il est gros ».
« Aux Etats-Unis, les gens se font opérer pour se le faire raccourcir », lui dis-je.
« Ici, les gens se font opérer pour les rendre plus gros ». Il réfléchissait à une opération pour l’élargir, me dit-il.

Peu après, il me demanda : « Tu aimes la nourriture japonaise ? »
« Oui ».
« Et les filles japonaises ? »
« Bien sûr, elles sont jolies »
« Jolies ? tu t’en es tapé une ? »
« La ferme », cria Murayoshi de son futon, d’où il regardait la télévision, avant que je n’aie pu dire à Iki que je n’allais pas lui répondre.

Iki fit aussi une apparition de matin du dohyo-tsukuri, alors que tout le monde s’affairait sur la tawara. Il apparut en bicyclette, vêtu d’une salopette bleu foncé à pattes d’ef et d’une veste en jean assortie. J’étais en train de prendre des photos et lui demandai donc si je pouvais en prendre une de lui. Il prit la pose d’une manière assez surprenante, entre mannequin et James Bond.
« Geisha Boy », fredonnait-il entre ses dents.

Mais qu’est-ce que c’est que ce type ? me demandé-je souvent. Qu’est-ce qu’il fait dans la heya ? Dans quelle hiérarchie entre-t-il ? A quoi sert-il ?

Me voilà encore à me poser cette question après son départ avec la pute, hôtesse ou quoi qu’elle soit. La curiosité est trop forte, et je décide de jeter un coup d’œil sur les albums photos qu’il a laissés.

Dans l’un d’eux, seulement des photos de femmes en train de boire ensemble, avec lui en costume, avec d’autres gigolos. J’imagine que ces photos ont été prises dans le même endroit dont il m’a parlé l’autre jour, où il bosse comme gigolo.

Mais l’autre album me laisse bien plus perplexe. J’y trouve des photos des lutteurs, principalement les plus vieux, en plein karaoké ou en train de boire avec de belles femmes en décolleté plongeant et faux-cils surdimensionnés.

Brusquement, tout devient clair : Iki est-il le mac de la heya ?

toonoryu
01/03/2005, 13h15
Allez, et pour fêter mon centième message, encore quelques textes, cette fois-ci des portraits de lutteurs. Spéciale dédicace à Asafan, avec le portrait de Batto, a.k.a. Wakatora, lutteur mongol de la heya. Enjoy !



Vendredi, 7 janvier 2005


Portraits de sumotori 1 : Hiroki et Tatsuya, les frères Takemura


En dehors des quelques mois passés à être un piètre judoka au collège, Hiroki n’a jamais vraiment fait de sport, dit-il. Mais il n’a jamais vraiment eu de bonnes notes : il a du faire des cours de rattrapage estivaux en maths et sciences physiques pour avoir son brevet, et dès ses premiers mois au lycée, il était déjà en grand danger d’échec. Même ses notes en japonais, littérature et histoire, seules matières qu’il aimait, ne suffisaient à remonter sa moyenne. Il était déjà costaud, atteignant le mètre quatre vingt et pesant presque 120 kilos avant même de commencer au sein de la heya.

Son professeur de sport de l’époque, dans la préfecture de Hyogo, tout près d’Osaka, appartenait au réseau d’amis et de fans de l’oyakata, dont ce dernier se sert pour repérer de nouvelles recrues potentielles. Un jour, son professeur lui demanda s’il aimerait devenir un lutteur de sumo. Il n’avait jamais pensé devenir sumotori, mais il aimait pas mal le sport. « Pourquoi ne pas essayer ? » lui suggéra son professeur, et il se dit qu’il pouvait le faire.

Son père – charpentier sur des chantiers immobiliers – et sa mère étaient opposés à cette idée. Il avait 16 ans et ils ne voulaient pas qu’il laisse tomber l’école et quitte la maison. Mais lui et son grand-père – grand fan de sumo devant l’Eternel – s’unirent pour convaincre ses parents de le laisser rejoindre la heya.

Désormais âgé de 23 ans, il semble assez mitigé sur le destin qu’il s’est choisi. Il lui est difficile de s’entraîner tous les matins, et chaque tournoi requiert une énorme dose de motivation. La victoire est belle, me dit-il. « Mais la défaite est horrible. On peut se retrouver face à un gars énorme qui va tout simplement te balancer au sol. ».

Son destin de sumotori n’est pas tendre. Après sept ans au sein de la heya, il est toujours coincé en jonidan, le deuxième rang le plus bas. « Je veux juste progresser » me dit-il. Il lui faut emporter cinq des sept matches sur lesquels il va s’aligne ce mois-ci pour rejoindre le niveau suivant, celui des sandanme. En sandanme, il pourra porter des sandales souples, refermer son kimono avec une ceinture plus colorée, et mettre un manteau quand il sort dehors en hiver. Il pourrait même monter à l’étage dans la petite pièce que je partage avec les lutteurs les mieux classés. Mais il n’est pas très optimiste sur ses possibilités de remporter suffisamment de victoires.

Ses projets d’un avenir plus lointain sont bien plus confus que son objectif de promotion à court terme. Il ne s’est pas posé beaucoup de questions sur les conséquences de l’arrêt de ses études avant qu’il ait dépassé la vingtaine, quand il s’est enfin demandé ce qu’il pourrait bien faire le jour où il arrêterait le sumo. Ayant travaillé, plus jeune, sur des chantiers de construction durant les vacances estivales, il s’est dit qu’il pourrait toujours recommencer quand il quitterait le monde du sumo. « On ne peut pas faire grand chose au Japon sans avoir fait d’études, mais il reste toujours la construction ou les métiers manuels. Mais actuellement il n’y a pas tellement de travail dans cette branche, et quand on décroche un job, il est payé au lance-pierre ».

Son rêve est de pouvoir ouvrir un bar ; il aimerait pouvoir intégrer une école de cuisine quand il aura quitté la heya. Il me dit que l’oyakata lui a dit que de faire la cuisine pour ses camarades lutteurs, c’est pareil que d’être en école de cuisine. Mais Hiroki n’est pas franchement convaincu. « Bien sûr, on apprend les techniques. Mais on n’apprend pas grand chose sur la nourriture ».

Tatsuya, de son côté, détestait tellement les études qu’il n’est même pas allé au lycée, et a suivi son frère dans la heya. Il a commencé à penser au sumo au collège, où il a fait du judo pendant trois ans. Il se souvient de son frère rentrant à la maison pendant ses premières vacances de la heya, le visage couvert de meurtrissures et l’oreille constamment ravagée par les chocs de tête des autres lutteurs. « Jamais de ma vie je ne voudrais faire ça », se disait-il à l’époque.

Puis un week-end, Tatsuya rendit visite à son frère à Tokyo, séjournant dans la heya, où il assista à l’entraînement tous les matins. « Au début, c’était effrayant. Puis j’ai commencé à vouloir le faire ». Il a pris sa décision de rejoindre la heya après son brevet, et immédiatement cessé tout travail scolaire. Il intégra la heya en mars 2003, à l’âge de quinze ans.

Au début, il était en permanence épuisé par l’entraînement, le ménage et la cuisine qu’il lui fallait faire, et avait le mal du pays. Lui manquaient ses amis, avec qui il jouait au basket. Les filles qu’il emmenait dans les terrains vagues alentours pour allumer des feux d’artifice à la nuit tombée. « Ca créée une ambiance sympa. Les filles aiment ça ».

Mais il s’est rapidement mis à aimer l’ambiance de la heya. Rentrer dans la soirée avec une BD ou un CD et se reposer, en sachant qu’il n’avait à se soucier de rien avant l’entraînement le lendemain matin. Avoir pas mal de gens autour de lui à qui parler.

Il n’a pas de dépenses et gagne un peu d’argent. Pas assez pour économiser quoi que ce soit : juste les $700 et quelque que quelqu’un de son rang, jonidan, perçoit après un tournoi. Mais c’est assez pour s’acheter un lecteur minidisc et une Gameboy, quelques CD et tout ce qu’il veut grignoter de l’épicerie d’en face. « Je suis un sumotori. Je mange beaucoup ».

Toutefois, il en a souvent marre des insultes de ses camarades de heya, et du manque d’intimité. Et parfois il n’a pas franchement envie de se joindre à l’équipe de nettoyage du jour. « Je n’ai pas trop l’esprit collectif », me confesse-t-il.




Portraits de sumotori 1 : Battushig Yagaanbaatar, alias Batto, alias Wakatora.


Il y a quelques années, en Mongolie, Batto, comme le surnomment ses camarades, a vu à la télévision un reportage sur un recruteur japonais de sumo qui était dans son pays à la recherche de nouveaux lutteurs. La popularité du sumo arrivait à son apogée en Mongolie : Asashoryu venait d’être promu Yokozuna et était un héros national dans son pays d’origine.

Le père de Batto, un importateur d’automobiles, ancien pratiquant de lutte mongole – très semblable au sumo – lui suggéra qu’il devrait aller au Japon et essayer de devenir sumotori. Batto avait déjà un frère au Japon, qui vivait en balieue de Tokyo et vendait des téléphones portables, et deux frères aînés faisant des études universitaires en Angleterre.

Batto et sa famille se mirent à la recherche du recruteur qui était passé au journal. Il fut finalement choisi parmi les cinq finalistes pour l’admission dans la heya de l’oyakata et, après une série de tests médicaux et sportifs, fut déclaré vainqueur.

Batto, désormais âgé de 18 ans, a rejoint la heya en mai 2003, sans parler un traître mot de Japonais. Byabjhav, le lutteur Mongol de l’autre heya, que j’ai vu combattre le sekitori, vient souvent pour lui apprendre les ficelles du métier et lui expliquer les règles de comportement au sein de la heya. Batto l’appelle son « senpai », terme japonais pour désigner un supérieur ou un ancien. Cela implique un haut degré de respect et d’attachement.

Au début, Batto détesta vivre dans un pays dont il ne comprenait pas la langue. Il renâclait aussi devant la nourriture : le poisson est une rareté dans son pays enclavé, encore plus le poisson cru. Mais devant le manque d’occasions de parler Mongol, il finit vite par apprendre le Japonais au contact des autres lutteurs et s’habitua à la nourriture. Il évite toujours les sushi, mais aime le natto, ces germes de soja fermentés dans une sauce gluante que certains japonais ne peuvent même pas avaler.

Tout le monde dans la heya l’appelle Batto, diminutif japonais de son prénom « Battushig ». Mais lorsqu’il lutte, à l’instar des 61 étrangers du championnat, il le fait sous un nom japonais. Le sien est « Wakatora ».

Je demande à Batto ce que ça lui fait d’avoir à prendre un nom et une identité japonaises, d’adopter des comportements japonais, de rendre un culte à des dieux japonais. Il s’en fiche : « Je ne fais que suivre le mouvement et faire ce que tout le monde fait ».

toonoryu
01/03/2005, 13h16
Allez hop, le dernier du jour. Bonne journée à tous, et bonne lecture...



Samedi, 8 janvier 2005


Portraits de sumotori 2 : Kazuya


Quand je suis passé voir l’oyakata l’autre jour, il m’a dit que de convaincre des lutteurs potentiels de rejoindre sa heya était rarement chose aisée. « On leur parle longtemps, pas juste une fois ou deux, mais encore et encore. Ca peut prendre un an ou deux avant qu’ils n’arrivent ».

Il semble que cela ait été le cas avec Kazuya. Sa route a croisé celle de l’oyakata pour la première fois quand il a eu son bac. Il était un très bon joueur de badminton à l’époque. Il accepta l’invitation de l’oyakata de venir dans la heya quelques jours, mais ne fut pas convaincu. On lui offrait une place dans l’équipe de badminton universitaire de la faculté qu’il souhaitait intégrer, et il avait envie d’accepter. (Oui, je sais, j’ai dit « Badminton universitaire ». Ne riez pas : c’est un sport olympique dans lequel les voisins asiatiques du Japon excellent).

Il entra à l’université. Comme beaucoup d’athlètes universitaires, il vivait dans des dortoirs, pour être plus proche de ses coéquipiers et avoir plus de temps pour l’entraînement et pour lui. Mais l’oyakata était tenace. Il implora Kazuya de revenir encore une fois dans la heya, ce qu’il fit l’hiver dernier pendant les vacances du Nouvel An. Et cette fois-ci, en regardant les lutteurs à l’entraînement matinal, il décida de changer d’orientation.

« Quand j’étais petit, je pensais que le sumo, c’était sympa. Puis, quand je suis venu ici et que j’ai vu comment ça se passait, je me suis dit ‘wow, c’est vraiment sympa’. Ce n’est pas comme de la lutte pro ; c’est du vrai, authentique combat ». Avec la bénédiction de son père, un maçon, et de sa mère, il quitta sa ville natale de Fukuoka, sur l’île méridionale de l’archipel nippon, laissant également derrière lui une sœur hôtesse de bar et un frère toujours à l’école.

Il ne fut pas trop difficile pour Kazuya de s’adapter à la vie de sumotori. Comme athlète universitaire, il se levait tôt le matin, pour endurcir son corps me dit-il. Il faisait les courses et la lessive pour ses deux senpai – un pour chaque année au-dessus de lui – et donc rien, y compris d’être tsukebito du sekitori, ne lui est étranger.

Il aime la camaraderie que la vie de sumotori offre, dit-il. Il aime vivre avec un groupe de gens qui travaillent tous avec le même but. Mais il aimerait avoir un peu plus de temps pour lui-même. « Je n’ai pas le temps de m’amuser. Je n’ai même pas le temps d’avoir une petite amie ».

En plus de son programme d’entraînement et de ses responsabilités professionnelles en tant que lutteur débutant et tsukebito rattaché au sekitori, il finit son université par l’entremise de cours par correspondance. Sans diplôme universitaire, dit-il, il sait qu’il lui sera difficile de trouver du travail quand il quittera le sumo. Il aimerait devenir professeur de sport quand il se retirera.

Tajoha
04/03/2005, 00h46
C'est surement un peu grâce à Jacob qu'Ishide est passé en Makuuchi :wink: !

toonoryu
07/03/2005, 13h22
Désolé pour ma fainéantise de ces derniers jours, je n'ai pas trop eu l'occasion de travailler aux traductions :oops: ... C'est réparé aujourd'hui avec le bon-en-kai, petite fête de tradition. D'autres traducs ce soir peut-être... Enjoy !


Lundi, 10 janvier 2005


Le Bon-En-Kai


Me voici donc, seul dans la chambre à l’étage, en train de fureter dans les photos d’Iki. Alors que je suis sur le point de les reposer et de regagner mon petit coin, je remarque l’image plastifiée collée sur sa mallette métallique. On dirait une publicité, qui le met en scène en train de tenir une bouteille de champagne et d’effectuer une variante de sa pose de « geisha boy ». au moment où j’essaye de déchiffrer les idéogrammes de la photo, j’entends du monde monter les escaliers. Je me précipite sur mon couchage et m’étends, faisant mine de lire un livre.

Le kashira fait son entrée, suivi d’Ishikawa toujours en mawashi et porteur d’une pile de vêtements du premier, pliés impeccablement. Ishikawa place doucement les vêtements sur un tapis au sol, tandis que le kashira s’assied et allume une cigarette. Il me demande ce que je suis en train de lire.

« c’est un livre sur la boxe ». Il répond d’une phrase en japonais qui peut se traduire littéralement par ‘ça pue comme un vieux’. Il veut dire que mon bouquin a l’air sérieux, quelque chose que seul un ancien pourrait lire.

« C’est assez intéressant », lui réponds-je.

Le kashira grommelle, mais Ishikawa l’interromps. « le kashira a des armoires pleines de livres sérieux », me dit-il.

Puis le kashira me demande si j’ai déjà vu un film de yakuza. Je lui cite quelques-uns uns des films de Kurosawa que j’ai pu voir, mais ce n’est pas la réponse qu’il attend. « Vous connaissez Akira Kobayashi ? », me demande-t-il.
Devant ma réponse négative, il me cite un titre de film qu’il pense que je devrais voir. Pendant ce temps, il s’est débarrassé de ses vêtements pour aller se baigner, et ne porte plus qu’une serviette autour de la taille. Il disparaît derrière la porte coulissante et je replonge dans mon bouquin. Peu de temps après, Iki est de retour. Il se déshabille rapidement, s’enroule d’une serviette et descend au rez-de-chaussée.

Il faut que je vous dise qu’il y a quelques interdits que je doit respecter au sein de la heya, en tant qu’invité. L’un est que je ne peux être assis avec les pieds faisant face au dohyo. Et un autre est que je ne peux aller me baigner avant que l’oyakata, le kashira et le sekitori n’y soient eux-même allés. Ils préfèrent aller se baigner seuls – ou, dans le cas du sekitori, avec un tsukebito – et nul n’oserait contester ce privilège à aucun d’entre eux. Mais en l’espèce, il semble que c’est exactement ce que Iki vient de faire, en y allant précisément durant le bain du kashira. Comment peut-il s’en tirer comme cela ? Je me pose encore la question. Il est facile de s’imaginer qu’il fait partie du crime organisé ; peut-être est-il un membre de l’élite des yakuza, dont la position surclasse celle de tout autre membre de la heya.

Il revient dix minutes après, remettant les habits dans lesquels il était arrivé : short écossais et T-shirt rouge sur lequel est brodé, en caractères blancs, le mot ‘AI’, ce qui veut dire ‘amour’. Il y avait écrit ‘DAVID’, mais il a enlevé le D,V,D, me dit-il.

Une fois qu’il s’est assis, je montre du doigt son attaché-case avec cette étrange publicité et lui demande « Est-ce vous ? »
« Oui », me dit-il, en pointant les deux premiers caractères chinois en haut de la page.
« Je ne sais pas lire cela », lui dis-je.
« Baishu », me lit-il. Je lui réponds que j’ignore ce dont il s’agit.
« La lessive, tu vois ? ». Je crois, en effet. « Lessive » est aussi le diminutif pour « Pays de la Lessive », aussi connu comme « Les Bains Turcs ». C’est une forme de prostitution existant au Japon, qui consiste à se faire récurer le corps par une femme nue et recouverte de mousse. J’ignore précisément ce que cela peut impliquer d’autre, je ne peux qu’imaginer les choses les moins ragoûtantes.

Mais avant qu’il n’ait pu m’expliquer ce que lui et sa bouteille de Moet font là dedans, le kashira fait son entrée. Iki arrête ses explications et devient silencieux. Une certaine tension règne dans la pièce, et j’ai vraiment envie de sortir. Maintenant que le kashira est hors de la salle de bains, je sais que je peux aller me baigner et me mets donc à la recherche de ma serviette, que je n’arrive pas à trouver.

Je finis enfin par la trouver, enroulée autour de la taille d’Iki ; il a du la piquer sur la pile de mes vêtements avant d’aller se baigner. Je partagerais sans problèmes ma serviette avec n’importe quel autre lutteur de la heya, mais je ne peux que penser aux maladies honteuses dont peux souffrir Iki. Fort heureusement, le kashira finit par me demander ce que je cherche et, devant ma réponse, ordonne à Ishikawa d’aller m’en chercher une propre.

Après mon bain, je descends en bas pour aller goûter le mochi préparé par les lutteurs. Sans conteste, c’est le meilleur que j’aie jamais mangé : frais, tout chaud, moelleux sans être caoutchouteux. L’épouse du kashira, sa fille et un de ses petits-fils ont œuvré avec un ami de la famille, moulant le mochi en des boules oblongues et le découpant en morceaux. Ils le servent sous des piles de daikan moulu, de haricots noirs sucrés, de poudre de soja doux et de natto. Tout, sauf le natto que j’évite, est délicieux. Bien calé, je remonte pour passer le temps en attendant le bon-en-kai, pendant que les lutteurs font la sieste.

Le bon-en-kai est comme une soirée de Nouvel An, sauf que cela ne tombe pas au Nouvel An. Le nom signifie littéralement « Oublies la soirée du Nouvel An », et si l’on considère ce que l’on ingurgite lors d’un bon-en-kai typique, on risque en effet d’oublier une bonne partie de l’année.

L’une des raisons pour lesquelles je reste au sein de la heya plus longtemps que je ne l’avais envisagé est d’être présent pour le bon-en-kai. Au départ, l’oyakata m’a dit que pour avoir les impressions que je recherchais, une dizaine de jours seraient suffisants. Il a ajouté que je pourrais rester plus longtemps si je le désirais, mais j’ai compris cela comme une forme de politesse. Donc je pensais quitter la heya deux jours après Noël, ce qui m’aurait fait dix nuits.

Puis, vers la fin de mon séjour, les lutteurs ont commencé à me demander si je serais là pour le bon-en-kai, me disant que ce serait sympa. J’étais flatté qu’ils souhaitent que je sois présent, et me dit qu’il serait pas mal de les voir en dehors du contexte de la heya, avec un petit peu d’alcool dans le sang. En outre, j’y voyais un bon moyen de conclure cette expérience. Quand je demandai à l’oyakata si je pouvais rester quelques nuits de plus, il m répondit « Pas de problèmes ».

Une fois les lutteurs éveillés de leur sieste, ils commencent à s’habiller en vêtements de sumotori – sous-vêtements, kimonos, ceintures – en prélude à la soirée ; Iki se change aussi, dans une costume gris brillant, une chaîne en or autour du cou, en dessous de sa cravate. Cela fait une heure qu’il s’acharne sur ses téléphones portables, sans que je comprenne bien ce qu’il fait, mais je l’entends prononcer pas mal de diminutifs féminins : Tomoko-san, Hiromi-san, Etsuko-san. Peut-être est-il en train de rechercher des hôtesses –ou des strip-teaseuses – pour le bon-en-kai, me dis-je. Peut-être vais-je enfin comprendre ce que ce gars fait ici.

Je suis le troupeau hors de la heya, au point de rendez-vous convenu, près de la gare. Il s’avère qu’il s’agit d’un snack-bar au sous-sol d’un centre commercial. Les snacks-bars du Japon ne sont pas des revendeurs de hot dog et de soda, mais plus de petits bars, avec une clientèle principalement masculine. Ils sont en général pourvus de karaokés avec une large sélection de ‘enka’, des chansons mélos d’amour perdus et de rêves brisés. Un enka très populaire a par exemple comme refrain ‘laisses moi gagner de l’argent avant de me quitter’.

Les snacks bar sont en général tenus par de belles, bien qu’âgées, propriétaires et parfois par un personnel plus jeune et soigneux. Le snack où nous nous trouvons est, lui, vide, loué pour la soirée de la heya : l’endroit rêvé pour une orgie sumoïstique que je soupçonne Iki d’avoir préparé.

Nous pénétrons dans le petit bar. Je jette un oeil au long canapé en vinyle qui court sur toute la longueur du bar, en-dessous d’un grand miroir. Hiroki et Batto s’asseyent à mes côtés à une table. Un karaoké se trouve en face du bar, décoré à l’hawaïenne.

Personne ne parle. Un gars en chemise blanche et cravate noire sort de la cuisine et place quelques assiettes de sushi sur les tables. Je m’assieds confortablement, attendant que la folie commence.

Puis, soudain, tout le monde se lève. ‘Otsukarisandegozaimasu !’, gueulent-ils tous ensemble à l’entrée de l’oyakata. Tenant son petit-fils par la main, il arrive encadré par son épouse et sa fille. La soirée devrait être bien plus calme que ce à quoi je pouvais m’attendre.

Et en effet, elle l’est. Non seulement ils n’y a pas de putes, mais les lutteurs boivent à peine, la plupart sirotant un thé oolong après s’être enfilé leur bière réglementaire, pendant laquelle le sekitori exprime à chacun son souhait de le voir avancer dans le banzuke.

Mais cette fête me donne effectivement le sentiment d’achèvement que je recherchais. C’est en quelque sorte la réunion de tous les personnages que j’ai rencontrés ces deux dernières semaines. Tout le monde est présent : les lutteurs, le coiffeur, le gyoji chauve, le yobidashi venu aider à la confection du dohyo.

Le kashira converse avec le sekitori, qui tapote machinalement avec un éventail sur la nuque de Kazuya. Murayoshi sermonne Hiroki parce qu’il chante trop bas, de la même façon qu’il le faisait pour lui reprocher la veille de s’être fait projeter au sol à l’entraînement. « Je suis désolé » réponds Hiroki avec déférence. Je regarde Iki passer de tables en tables, bavassant avec tout le monde, servant des boissons, jouant avec le petit-fils de l’oyakata.

Finalement, mon tour vient de chanter au karaoké. Je demande ‘back in the USSR’ et occupe la scène, massacrant le ‘Georgia’s really on ma-ma-ma-ma-ma-ma-mind’. Après ma chanson, Moriyasu m’appèle à la table du kashira, qui essaye de me donner une liasse de billets de 1000 yens pliés ensemble. J’avais remarqué qu’il donnait quelque chose aux lutteurs après leurs chanson, mais ne pouvait dire quoi.

« C’est pour quoi faire ? » demandé-je à Moriyasu.
« Pour les chansons. Tous ceux qui chantent reçoivent de l’argent. Cela fait partie du bon-en-kai »
« Je ne peux pas accepter »
« Mais si, tu peux. Tu dois, tu as chanté »
« Désolé, c’est impossible ». Moriyasu a l’air blessé. Il laisse tomber, mais le kashira me tend à nouveau les billets. « C’est pour les chansons »
« Merci, mais je suis désolé, je ne peux accepter »
« Pourquoi ? », me demande-t-il, intrigué.
« Je suis journaliste », lui dis-je, plus grandiloquent que je ne veux en avoir l’air. Le jeune gyoji, Kichijiro, parvient à lui expliquer ce que cela implique, et on me laisse en paix.

« Mais je vais prendre un peu de ça », dis-je, en montrant la bouteille de sho-chu qu’ils sont en train de partager. Le kashira m’en verse une rasade, qui s’avère être une liqueur semblable à une vodka allongée au café. C’est excellent.
Je passe le reste de la soirée à boire du sho-chu avec le kashira, Kichijiro et Ishikawa, écoutant les lutteurs chanter des chansons populaires, tandis que les plus vieux entonnent des enka de solitude et de désespoir. Puis nous revenons tous à la heya.

toonoryu
07/03/2005, 21h01
Chose promise, chose due, un nouveau portrait ce soir, celui du jeune yobidashi. Demain, le sujet est, entre autres, le pride (et donc Akebono :cry: ). Stay tuned and enjoy !



Mercredi, 12 janvier 2005



Portraits de sumotori 3

Haruki, le yobidashi



Quand Haruki eut quatre ans, sa famille émigra de Pékin, où il était né, vers Tokyo. Son grand-père paternel était japonais, et ses parents pensaient qu’ils auraient de meilleures opportunités de s’offrir une belle vie au Japon. En quelques années, ils ouvrirent un restaurant chinois dans la banlieue nord de la ville, où un ami du kashira venait manger souvent. Par l’entremise de celui-ci, ils firent la rencontre de l’oyakata, qui offrit à Haruki une place au sein de la heya dès qu’il aurait atteint l’âge minimum.

Haruki n’a jamais voulu rejoindre la heya. « Ce sont mes parents qui ont décidé », dit-il. « Je n’ai pas eu un mot à dire ». Ses parents adoraient le sumo, me dit-il, et ils voulaient qu’il devienne lutteur. Et bien qu’il ne le suggère qu’à mots couverts, ils devaient également se demander quoi faire de Haruki, dont le dégoût pour toute forme de travail scolaire devait leur causer bien du souci. « Je détestais l’école », me dit-il, « je n’ai jamais étudié ».

Mais à mesure que Haruki grandissait, ses chances de pouvoir devenir lutteur s’amenuisèrent. Sa croissance s’arrêta et son métabolisme ressemblait à celui d’une chaudière, brûlant les calories plus vite qu’il ne pouvait les consommer, le laissant sec comme un coup de trique. Il semblait encore moins fait pour le sumo que pour la vie scolaire.

L’oyakata, toutefois, était résolu à tenir sa promesse. Il avait accepté d’accueillir Haruki au sein de la heya et demeurait apparemment déterminé à le faire. « Il m’a dit, ‘si tu ne peux pas devenir lutteur, sois un yobidashi’ », se souvient Haruki. Et donc l’an dernier, au mois d’avril, après qu’il eût fini son collège, le jeune garçon rejoignit la heya pour entamer sa carrière d’annonceur du sumo.

Haruki me dit qu’il détestait le sumo quand il est entré dans la heya, mais il a appris à en aimer les membres et est simplement indifférent au sport désormais. « Je n’aime pas ça, mais c’est toujours mieux que les études ».

A l’instar des lutteurs, les yobidashi ont une hiérarchie, déterminée pour l’essentiel par leur ancienneté. Comme yobidashi novice, Haruki annonce les matches de tournoi entre les lutteurs les plus mal classés qui combattent tôt le matin. Les yobidashi jouent aussi du tambour chaque matin de tournoi quand les combats débutent, balayent le dohyo entre les combats, et déploient les bannières portant les logos de compagnies qui offrent des primes aux gagnants de certains matches.

« Ce n’est pas un travail difficile, mais c’est intimidant », me dit Haruki, « je déteste être debout devant tant de gens ».

Entre les tournois, les responsabilités d’un yobidashi se réduisent quasiment au néant. Il peut avoir à participer à la confection d’un dohyo d’entraînement ici et là, et c’est à peu près tout. Donc il se lève, assiste un peu à l’entraînement matinal, balaye l’entrée, attend le déjeuner, fait un somme, fait un peu de ménage, prend son dîner, puis lit des bédés et joue aux jeux vidéos avant d’aller se coucher. Ce qui somme toute est à peu de chose près le régime de vie des lutteurs, la lutte en moins.

toonoryu
09/03/2005, 19h19
Bon, j'ai eu un peu de temps aujourd'hui pour traduire quelques feuilles, donc une belle fournée pour ce soir, avec des texte anecdotiques, d'autres beaucoup moins. J'espère que vousb continuez à apprécier ces écrits, et n'hésitez pas à faire toutes remarques utiles s'il y a lieu. Merci d'avance et enjoy !



Vendredi, 14 janvier 2005



Le Pride


Le lendemain du bon-en-kai, je suis assis à ma place habituelle derrière le kashira, quand l’oyakata fait son entrée et s’assied sur son coussin. Après avoir approuvé de la tête aux déférences des lutteurs, il se tourne vers moi.

« Vous partez aujourd’hui ? », me demande-t-il.
« C’est exact ».
« Vous savez, vous êtes encore le bienvenu. Vous l’avez bien compris, n’est-ce pas ? »

L’oyakata a eu beau m’offrir de rester aussi longtemps que je le désire, je n’ai jamais vraiment pensé qu’il veut que je reste encore. J’imagine qu’il essaye juste d’être poli, et que je suis supposé décliner l’offre. Cela fait bientôt treize nuits que je suis ici et j’ai un peu peur d’abuser de l’hospitalité. Ce n’est pas seulement vis à vis de l’oyakata que j’ai peur de m’imposer ; la plupart des lutteurs, à l’exception des plus gradés, me font la cuisine et le ménage et je m’imagine qu’ils doivent être fatigué d’avoir une bouche inutile à nourrir dans le coin.

Mais même si ça ne le gêne pas que je reste, il est désormais trop tard pour moi pour faire marche arrière. J’ai déjà trouvé un endroit pour me loger pendant la quinzaine suivante, ayant prévu de rester sur Tokyo pour une partie du tournoi de Janvier. Et j’ai quand même hâte de prendre des petits déjeuners et d’avoir ma dose de café.

Mes bagages sont longs à faire ce matin, et je ne descends donc pour le déjeuner qu’après que la majeure partie des lutteurs aient déjà mangé. J’emplis mon assiette avec les reliefs du repas et m’empiffre tandis que les lutteurs quittent peu à peu la table, me laissant seul au bout du compte. Je finis, puis vais donner mon assiette dans la cuisine – ils ne me laissent toujours pas laver mes propres plats – puis attrape mes bagages, fait mes adieux et m’en vais.

Je repasse à la heya quelques jours plus tard, le soir du Nouvel An. Murayoshi m’a dit que les lutteurs mangent des nouilles ensemble en cette occasion – une belle manière de commencer l’année – et m’a invité à venir.
« Vous les mangez à minuit ? » lui demandé-je au téléphone.
« Oui, minuit », me répond-t-il. Ou du moins c’est ce que je pense avoir compris. Vers 9h30 ce soir-là, alors que je m’apprête à aller à la heya, mon téléphone sonne. C’est Murayoshi.
« Ou est-tu ? »
« A la gare de Shinjuku. J’arrive ».
« C’est l’heure de manger », me dit-il.

J’air peur que les gars ne m’attendent avant de manger leurs nouilles. Mais quand j’arrive, tout le monde a fini depuis longtemps. Allongés sur le sol de la salle commune, ils regardent des combats télévisés ou jouent à des jeux vidéos. Iki est aussi présent, en train de sommeiller sous une bande dessinée.

Hiroki disparaît dans la cuisine et revient environ dix minutes plus tard avec un bol de mouilles de sarrasin plongées dans un bouillon salé de carottes et de daikon bouilli, avec une crevette sauce tempura sur le dessus. Haruki m'amène une table et je mange mes nouilles, mal à l'aise de les avoir contraint à me préparer une autre plâtrée de nouilles juste pour moi. En outre, je regrette d'avoir manqué la dégustation collective.

Pendant mon repas, je regarde les matches de Pride à la télévision, diffusés en direct de Saitama, la préfecture voisine au nord de Tokyo. Le Pride, à l'instar des matches de K1 retransmis d'Osaka le même soir, oppose dans des combats libres des combattants venus de divers disciplines de combat. On peut avoir un combattant de boxe thaï opposé à un coréen pratiquant le taekwondo, ou un boxeur américain contre un moine shaolin.

Ces combats ont leur fans dans le monde entier, mais ils sont extrêmement populaires au Japon, comme l'est la lutte pro américaine. Le Japon a sa propre fédération de combat libre, que certains des lutteurs de la heya suivent avec assiduité. Un jour, quand j'étais encore là, Murayoshi disparut après l'entraînement pour passer l'après midi au milieu des combattants pro dans une fête de nouvel an au profit des plus grands fans. Il en revint des étoiles dans les yeux.

Je suis surpris qu'ils regardent le Pride plutôt que le K1, étant donné que le K1 offre ce soir un match spécial Nouvel An entre un ancien grand sumotori et un brésilien spécialiste de jiu-jitsu. Le sumotori est l'ancien yokozuna Akebono, premier non-japonais à avoir atteint le grade suprême du sumo. Il a rejoint le K1 quelques années après s'être retiré du sumo; la rumeur veut qu'il ait eu des dettes à rembourser. Mais il lui reste encore à gagner un match (et de fait ce n'est encore pas le cas ce soir), ce qui explique probablement pourquoi les lutteurs ne le regardent pas combattre.

j'ai presque fini mes nouilles quand Murayoshi, en short, apparaît dans la salle commune et me dit « tu es en retard, Jacob »

je lui fais mes excuses et, après avoir fini mes nouilles, passe lui rendre visite dans sa chambre à l'étage. Seul, il regarde également le Pride, qui s'achève environ 15 minutes avant minuit. Ensuite, il zappe furieusement entre les différents programmes de fin d'année.
« Lequel vais-je regarder pour minuit ? », se murmure-t-il.

Il choisit finalement un programme où figurent « 99 », le même duo comique qui avait fait une série de tours à la pop-star Nakai, à Noël. Pour Nouvel An, le plus débile des deux, un petit bonhomme dont beaucoup disent qu'il ressemble à un singe, s'est habillé d'un manteau traditionnel japonais, un bandana sur le front. Je ne vois pas très bien quelle sorte de personnage il veut interpréter ; en ce qui me concerne, il ressemble au serveur d'un restaurant « traditionnel ».

l'acteur secoue ses épaules, en une sorte de danse de macho tandis qu'une rangée de percussionnistes tape sur des tambours et que le compteur de l'écran fait défiler les secondes avant minuit. A zéro, le comédien frappe sur un énorme gong, tandis que des feux d'artifices s'embrasent à l'horizon.

j'échange les vœux avec Murayoshi, puis pars pour mon nouvel appartement, en espérant ne pas rater le dernier train.

Le dimanche suivant, je reçois un appel de Miki. Je lui ai envoyé un e-mail avant la nouvelle année pour le remercier d'avoir arrangé mon séjour au sein de la heya et lui dire que j'en suis parti.
« L'oyakata m'a dit que tu aurais pu rester plus longtemps ».

Je suis sur le point de lui dire que cela ne devait être que de la politesse, mais me ravise en me disant qu'une telle réponse serait particulièrement déplacée. « Je suis resté tout le temps nécessaire pour mon étude », lui dis-je à la place.

Miki m'invite à dîner au Ryogoku, où la NSK tient son quartier général, le mardi suivant. Après m'avoir dit qu'il me rappellerait, il raccroche.

Désormais certain que l'oyakata était sincèrement d'accord que je puisse rester plus longtemps, je regrette amèrement d'avoir quitté la heya. Je suis particulièrement désolé de ne pas être présent durant le tournoi à venir. La performance des lutteurs en tournoi détermine leur rang, avec des conséquences palpables sur leur qualité de vie. J'aurais aimé sentir comment l'atmosphère de la heya se trouverait modifiée avec tant de choses en jeu, et il me semble désormais que ce ne sera jamais le cas.

Peut-être devrais-je essayer de revenir.

toonoryu
09/03/2005, 19h22
Allez, un autre...



Lundi, 17 janvier 2005



Une matinée à Ryogoku



A sa naissance il y a un demi-siècle de cela, à la pointe sud de l'île principale du Japon, les parents de l'oyakata le nommèrent Teruyuki Nishimori. Comme lutteur, il adopta Kaiketsu comme shikona, le nom de combattant. Peu après sa retraite de lutteur en 1979 avec le grade d'ozeki, il fonda la Hanaregoma heya et fut donc connu comme Hanaregoma-oyakata, littéralement « maître Hanaregoma ».

Un seul homme. Trois noms. A l'instar des geisha, des acteurs de kabuki et autres pratiquants des arts traditionnels du Japon, les sumotori peuvent porter plusieurs noms le long de leurs vies et carrières. Un lutteur peut changer son nom pour marquer son ascension à un grade plus élevé, ou marquer une rupture claire avec une mauvaise passe dans sa carrière. Il peut adopter le nom de son mentor en signe de déférence. Ou encore, en ce qui concerne l'oyakata, il peut abandonner son shikona et prendre le nom de sa heya au moment de devenir oyakata.

Donc, il y a une quinzaine de jours, quand j'appelai le bureau de l'oyakata pour prendre un rendez vous pour passer le voir, je ne demandai pas si je pouvais parler à monsieur Nishimori. Je demandai si je pouvais parler à « maître Hanaregoma ». Ces changements de noms me fascinent. Je me demande comment les membres de sa famille l'appèlent. Ses enfants l'appèlent-ils aussi « oyakata » ?

Je n'ai pas eu beaucoup d'occasions de converser avec l'oyakata durant mon séjour dans la heya. Les lutteurs ne passent que très rarement dans son appartement en dehors de brèves visites « protocolaires ». et, bien que je ne fus pas vraiment lié aux règles et coutumes régissant la vie des résidents de la heya, je ne me sentais pas à l'aise au point de m'incruster chez lui pour une conversation.

Mais je voulais lui parler de sa vision des changements ayant affecté le sumo depuis qu'il fait partie de ce monde, et de la façon de diriger une heya. Donc, juste avant de partir, j'ai demandé le numéro du bureau de relations publiques qu'il dirige à Ryogoku, au Kokugikan, le complexe sportif qui sert de QG à la NSK.

Quand je l'appelai, il m'invita à venir le lendemain, jour où Miki m'avait également invité à assister au conseil de promotion des yokozuna. A cette occasion, les « patriarches » de la NSK et d'éminents sponsors regardent les plus haut gradés s'entraîner ensemble pour se faire une idée de leurs performances à venir au prochain tournoi. Ce rassemblement doit également se tenir au Kokugikan, et je projète donc de me balader entre sa fin et ma rencontre avec l'oyakata.

Le matin suivant, alors que je prends le train vers Ryogoku, je reçois un appel du collègue de Miki, Usuda (que j'avais appelé précédemment Usaoa). Impossible de prendre l'appel, car au Japon, les gens ne tiennent pas de conversations téléphoniques dans les bus et les trains, c'est parfaitement impoli. Mais lorsque j'écoute le message qu'il m'a laissé, j'apprends que Miki ne pourra me rencontrer, et que c'est donc Usuda qui doit me prendre à la gare et m'emmener au Kokugikan à sa place.

Je rencontre Usuda à l'endroit exact où il m'avait pris pour m'emmener rencontrer l'oyakata quelques semaines plus tôt. « Comment ça va dans la heya ? », me demande-t-il alors que nous pénétrons dans le complexe.
« J'ai passé de bons moments. C'était très intéressant ».
« Oh, tu es déjà parti », me dit-il, l'air surpris.

Nous montons une rangée de marches à l'extérieur du bâtiment et pénétrons dans une vaste pièce au sol de terre battue, comportant un dohyo à chaque extrémité. Le dohyo à l'arrière de la salle n'est pas utilisé, mais d'innombrables rangées de sièges, posées sur une toile cirée, sont noires de monde, et font face au dohyo principal autour duquel se trouvent deux douzaines de lutteurs. Leurs mawashi sont blancs comme celui du sekitori, indiquant leurs grades élevés.

Devant les premiers rangs de chaises, juste en face du dohyo, des personnages à l'air important sont attablés. Une autre rangée de sièges fait face au dohyo, contre le mur; l'oyakata y a pris place, mais je ne le remarque pas tout de suite car il est en costume. Des photographes sont agglutinés sur une plate-forme surplombant les rangées de sièges, prenant des clichés sous un sanctuaire semblable à celui se trouvant dans la heya.

Usuda et moi-même prenons ce qui nous semble être les derniers sièges disponibles, juste derrière les hommes attablés. Les lutteurs sur le dohyo se font face, jettent leurs adversaire hors du dohyo, le balancent par terre. Je suis conscient qu'il y a là les tout meilleurs lutteurs. J'en étais venu à considérer le sekitori comme un personnage d'une importance presque irréelle au vu de la manière dont il est traité dans la heya. Mais dans la heya, je le comprends maintenant, c'est le gros poisson d'un petit marigot; ces gars-là sont les plus gros poissons qui soient.

Toutefois, à ma grande honte, je n'en connais absolument aucun. La dernière fois que j'ai vraiment suivi le sumo, c'était quand je vivais au Japon il y a cinq ans, et les lutteurs haut gradés étaient une génération tout à fait différente. Et même à cette époque je ne suivais pas le sumo de très près, me contentant des résumés de matches sur la NHK pendant les tournois.

Je sais qui étaient les yokozuna à l'époque : Akebono, l'Hawaïen, et les frères Takanohana et Wakanohana, dont la heya, Futagoyama était à deux pas de l'endroit où j'habitais. Je voyais souvent les lutteurs de cette heya venir faire leurs courses au supermarché local, et nous lavions souvent notre linge en même temps au Lavomatic. Pour tout dire, quand j'ai mis les pieds pour la première fois dans la Hanaregoma heya il y a quelques semaines, la senteur de l'huile parfumée m'a donné quelques bouffées de nostalgie.

Mais je n'ai pas franchement réussi à rester au courant de qui sont les stars actuelles du sumo, et n'ose pas trop le demander à Usuda, qui griffonne avec énergie sur son calepin pour noter les vainqueurs des combats et la technique, ou kimarite, employé. Lequel est le Mongol Asashoryu ? Je me pose la question. Et lequel est Kaio, celui qu'on présente comme un sérieux prétendant au grade de yokozuna ?

Mais la question la plus difficile se révèle être : d'où viennent tous ces gars ? J'ai l'impression que pratiquement un quart des lutteurs présents sur le dohyo sont de grands blancs costauds. J'ai entendu dire qu'il y a une palanquée de lutteurs issus de l'ancien bloc de l'est, mais c'est quand même un choc de les voir en vrai. Avec leurs doubles mentons et leurs gros bides, quelques uns ressemblent à des camionneurs américains en couche culotte et chignons. L'un est un géant blond au visage grêlé. Un autre, le teint clair et les cheveux sombres, semble presque aussi large que haut et arbore une barbe de trois jours. Au premier abord, il est très surprenant de voir ces gars sur le dohyo, face aux lutteurs japonais et leurs cadets Mongols, effectuer les mêmes gestuelles que j'ai vues pratiquer chaque matin à la heya.

Mais à force, je cesse de faire des différences. Ils combattent tout aussi bien que les lutteurs asiatiques et la variété des kimarite qu'ils emploient est tout aussi étendue. Chaque match – qu'un lutteur blanc y soit ou non représenté – semble se terminer de manière différente. Parfois le gagnant pousse son adversaire hors du cercle sacré en employant la force brute. Parfois il l'amène au bord et soulève par le mawashi. Parfois il crochète la jambe de son adversaire et le jette au sol.

A ma grande honte, une part non négligeable de combats se terminent sans que je puisse dire comment. Ils ne durent bien souvent que quelques secondes, me laissant perplexe sur ce qui s'est réellement passé. Le sumo, m'a-t-on dit, est un sport de connaisseurs. Un véritable fan de sumo connaît tous les kimarite par leur nom, et connaît les points forts techniques de chaque lutteur. Usuda note chaque kimarite utilisé car c'est là quelque chose que ses lecteurs veulent savoir.

Tout comme dans la heya, la session d'entraînement entre les lutteurs s'achève par quelques tours de butsukarigeiko. Puis les sièges se vident et Usuda bondit hors de la salle, sans doute pour aller interviewer un lutteur.

Je me balade dehors, passant devant des rangées de journalistes qui attendent devant l'entrée d'un vestiaire. En bas des escaliers, une foule de reporters, photographes et cameramen font le pied de grue. Un lutteur descend et est rapidement assailli par des journalistes. Je me joins à la foule, essayant d'attraper au vol ce qui peut bien se dire, mais je suis trop éloigné. Puis un second lutteur descend, et la plupart des journalistes se ruent sur lui. Dans l'intervalle, des voitures de maître passent devant nous; derrière les vitres teintées, je peux distinguer les hommes qui se tenaient devant nous à la table des délibérations.

Je reste à l'écart d'Usuda pendant qu'il cherche à obtenir des interviews. Il suit un lutteur hors du complexe, jusqu'au trottoir où il reste à chercher un taxi. Il fait froid – je suis emmitouflé dans un pull en laine et une grosse écharpe, mais le lutteur ne porte qu'un fin kimono et une paire de sandales, ses genoux et mollets étant laissés à la morsure du froid. Abandonnant finalement l'idée du taxi, le lutteur se dirige vers la gare en compagnie d'Usuda. Je rebrousse alors chemin et les regarde disparaître au bout de la rue.

Il faut que je sache qui étaient ces gars.

toonoryu
09/03/2005, 19h25
Un dernier pour l'instant, peut-être encore un d'ici ce soir... j'espère que je ne vais pas finir par saturer le forum... :oops:



Mercredi, 19 janvier 2005



Une après-midi à Ryogoku



Une fois Usuda et le lutteur qu'il pourchasse disparus, je retourne vers le Kokugikan et m'engouffre dans le musée du sumo qui se trouve au sous-sol. Le musée est plus petit que ce à quoi je m'attendais : une unique pièce, avec des objets exposés le long du mur et une vitrine coupant la salle en deux.

Les objets exposés sont rangés dans un ordre chronologique, pour démontrer la persistance du sumo à travers les époques. Les premiers objets sont des copies de manuscrits des Kojiki, les chroniques du 18° siècle qui retracent les mythes fondateurs du Japon, et le Nihon Shoki, apparu quelques années après ce dernier, et donne la liste des premières dynasties du pays. Ces deux écrits furent rassemblés alors que le clan Yamato consolidait sa domination sur la plus grande partie du Japon central et occidental; les chroniques contiennent un récit qui légitime le contrôle naissant des Yamato sur la cour impériale, basé sur le modèle chinois.

Je ne puis lire les manuscrits exposés, mais remarque que certains passages en sont soulignés. J'imagine qu'ils doivent être ceux qui traitent des combats légendaires entre les dieux antiques du Japon, souvent cités comme source du sumo. Presque chaque ouvrage que j'ai pu lire sur le sumo tient ces combats antiques comme source originelle du sumo moderne.

Ces pages côtoient dans la vitrine des haniwa, statues mortuaires du Japon de la période Kofun (3° au 6° siècle). Cette ère tient son nom du « kofun », tumulus mortuaire, qui servait à l'inhumation de la proto-aristocratie nippone, avant que la crémation ne se répande avec l'arrivée du bouddhisme. Ces tumulus étaient surmontés de haniwa, statues d'argile pratiquement à l'échelle.

Les haniwa du musée sont apparemment censées représenter des lutteurs. Bon, je ne suis pas archéologue, mais la seule chose en elles qui puisse faire penser à des lutteurs sont leurs cuisses et hanches disproportionnées. Et d'autres haniwa que j'ai pu voir – représentant des soldats ou des femmes – avaient les mêmes hanches et cuisses disproportionnées.

Sur le mur d'en face, des peintures de gars joufflus en couche culotte attendant le signal du départ, un gyoji à leurs côtés, dans ce qui a vraiment l'air d'être un combat de sumo. J'arrive à déchiffrer suffisamment de la légende pour comprendre qu'il s'agit d'un exemple de combat de l'ère Heia (8° au 12° siècle). La légende ne semble pas donner de date à laquelle la peinture a été exécutée, mais mon opinion non érudite me fait penser qu'elle est antérieure à l'ère Edo. Je croyais que le sumo avait adopté la plupart des vêtements de cérémonie du sumo contemporain représentés sur la peinture durant l'ère Edo.

La vitrine suivante renferme des photographies de lutteurs célèbres du passé, des gravures sur bois de combats de l'ère Edo, de vieux banzuke, et pas mal de kesho mawashi richement brodés. La collection du musée se termine avec une file de portraits de chacun des 68 lutteurs qui ont atteint le rang de yokozuna ces quatre derniers siècles. Les seize premiers sont sur support bois; les autres sont pour la plupart des photographies, avec quelques peintures « photographiques » mélangées. Je ne reconnais que les quelques derniers : Akebono, les frères Takanohana et Wakanohana, le deuxième Hawaïen, né Samoan, Musashimaru et Asashoryu.

En fait, le rang de yokozuna n'existait pas avant la fin du 19° siècle quand la distinction fut accordée à des ozeki particulièrement talentueux. Les 1( lutteurs représentés sur le mur qui étaient en activité avant cette période se sont vu accorder cette distinction à titre posthume; les deux premiers sont des lutteurs légendaires dont la plupart des érudits du sumo considèrent qu'ils n'ont jamais réellement existé.

Après avoir jeté un oeil à ces portraits, je quitte le musée pour trouver un endroit où manger. Etant le centre de l'univers du sumo, Ryogoku fourmille de restaurants de chanko-nabe; un immeuble après la gare en a à chacun de ses huit étages, sauf le cinquième où l(on trouve un « Philadelphia Motor City Soul Bar ».

mais j'ai déjà eu mon content de chanko-nabe à la heya, et j'évite donc ceux-ci pour faire le tour de la gare. Je passe devant une pâtisserie décorée d'images de sumo et prétendant vendre une sorte de gâteau sumo, et m'arrête dans une librairie pour acheter un magazine donnant les noms et stats des grands lutteurs pour le prochain tournoi. Puis je file dans un fast-food nouillistique – il y a un calendrier sumo sur le mur – et commande un bol de soupe de nouilles avec un bouillon de miso, des travers de porc et un oeuf poché.

Pendant que j'attends, je jette un oeil au magazine. J'y apprend que le grand gars au visage grêlé est un Russe qui combat sous le shikona de Roho. Le gars trapu avec la barbe de trois jours est de Géorgie est son shikona est Kokkai, ce qui signifie « Mer Noire ».

je peux également identifier les lutteurs que les journalistes interviewaient en dehors du complexe sportif. Le premier était Chiyotaikai, l'un des deux ozeki actuellement présents sur le banzuke, dont j'apprends qu'il est menacé d'être déchu de son grade en cas de contre-performance sur ce tournoi. Celui qui a disparu avec Usuda est Hakuho, un Mongol de 20 ans qui a reçu une promotion à un rang inférieur au précédent tournoi et est décrit comme l'étoile montante du monde du sumo.

Une fois mes nouilles avalées, je m'arrête au McDonald du 8° étage du complexe chanko-nabe – sans doute le seul McDonald au monde à avoir un banzuke affiché au mur. Il y a l'Internet sans fil et je veux vérifier mes e-mails. Puis je m'assieds dans un café pour attendre l'heure de mon rendez-vous avec l'oyakata.

toonoryu
10/03/2005, 09h37
Allez, un de plus... il doit en rester une petite dizaine avant d'être à jour avec Jacob qui continue ses récits et en est au Tournoi de Janvier proprement dit. J'espère que vous continuez à apprécier. Stay tuned and enjoy !



Samedi, 22 janvier 2005



Entretien avec un Oyakata



A trois heures de l'après-midi, j'arrive dans le bureau de l'oyakata, l'endroit même où Usuda m'avait amené il y a quelques semaines quand j'ai emménagé au sein de la heya. J'aperçois l'oyakata en train de tamponner des papiers à son bureau à l'arrière de la pièce.

« Mon nom est Jacob », dis-je à la réceptionniste. « J'ai un rendez-vous avec Hanaregomo oyakata ».

elle me demande d'attendre et s'éloigne vers le fond de la pièce, où je la vois dire quelque chose à l'oyakata. Il lève les yeux et me fait signe de m'approcher.

« Bonne année » lui dis-je quand j'arrive à son bureau.
« Euh, bonne année », me répond-t-il, avec l'air d'avoir oublié que l'année précédente s'est achevée si récemment. Il me fait signe de m'asseoir sur la chaise en face de son bureau. « Vous vous êtes laissé pousser la barbe », dit-il avec un petit rictus.
« En fait, je me l'étais rasée avant de venir dans la heya. Je pensais revêtir le mawashi plus souvent et je n'ai jamais vu un sumotori avec une barbe... jusqu'à ce que je vois ce gros Européen à l'entraînement ce matin »
« Oh, vous y étiez. Vous devez parler de Kokkai. Il vient de Géorgie »

Pendant ce temps, la réceptionniste nous a apporté à chacun une tasse de café dans des gobelets en plastique. L'oyakata sirote le sien et s'allume une cigarette. Je ne touche pas au mien, en ayant bu au McDonald pendant que je vérifiais mes e-mails et au café tandis que j'attendais l'heure du rendez-vous. Je commence à lui poser mes questions sur la façon dont il est entré en sumo.

Il s'avère qu'il a eu pas mal de réticences au départ. A l'âge de 19 ans, il avait de belle manière intégré l'université dans sa ville natale de la préfecture de Yamaguchi, où il étudiait le droit et combattait dans l'équipe de judo, mais ses parents avaient d'autres plans le concernant.

« Ils m'ont dit 'essayes donc le sumo'. Je ne voulais pas, mais je n'ai pas eu le choix : ils m'auraient coupé les vivres et j'aurais du arrêter mes études ».

Je lui demande pourquoi ses parents voulaient tant qu'il devienne sumotori, tandis que la réceptionniste, ayant noté ma tasse de café toujours intacte, la remplace par une tasse de thé vert.

« Mon père adorait le sumo », dit-il, sans plus de précisions.

Il intégra la Hanakago heya, toute proche du lieu où il établirait plus tard sa propre heya, Hanaregoma. La vie en heya, me dit-il, était en fait plus facile que celle d'un athlète universitaire. A l'université, ses séances de judo étaient tout aussi intensives que l'entraînement du sumo, et il lui fallait passer autant de temps à s'occuper de son senpai et à faire la cuisine dans la villa collective de l'équipe de judo. Mais comme étudiant, s'y ajoutait le travail scolaire; comme sumotori, il passait ses après-midi à roupiller et ses soirées à se détendre avec les autres lutteurs.

Il passa douze ans au sein de la heya, finissant par atteindre le grade d'ozeki, un ozeki très populaire apparemment. A chaque fois que je dis à des gens ici que j'ai séjourné dans la heya dirigée par l'ancien ozeki Kaiketsu, il savent parfaitement de qui je parle et sont très impressionnés, pour autant qu'ils soient suffisamment âgés pour avoir suivi le sumo quand celui-ci était en activité dans les années 70.

lorsqu'il était Kaiketsu, l'oyakata était réputé comme un lutteur solide et très travailleur, m'apprit plus tard David Shapiro, un commentateur du sumo anglophone qui officier pour la télévision publique japonaise, et l'auteur d'un ouvrage sur le sumo. Kaiketsu perdit son grade d'ozeki après avoir connu la défaite dans toute une série de matches où il combattit blessé, mais demeure l'un des rares lutteurs à avoir pu reconquérir ce grade après l'avoir perdu. « Il s'est rendu célèbre pour avoir déclaré que d'abandonner sur blessure, c'est pareil que de faire exprès de perdre un match. La nation toute entière a adoré ».

a la fin de chaque tournoi, une série de récompenses sont décernées aux lutteurs de chaque divisions pour le plus de victoires, les meilleures techniques, etc. Kaiketsu emporta le kanto-sho, récompensant la combativité, sept fois au cours de sa carrière. J'ignore s'il s'agit d'un record, mais je n'ai pu trouver de lutteurs en ayant remporté plus.

En 1979, âgé de 31 ans, Kaiketsu prit sa retraite de lutteur et devint Hanaregoma oyakata. Il fonda sa propre heya deux ans après. Tous les oyakata ne possèdent pas leur propre heya – certains aident à l'entraînement des autres heyas ou ont des fonctions au sein de la NSK – mais tous les maîtres des heyas doivent être oyakata.

Je lui demande pourquoi il voulait avoir sa propre heya, et il me regarde avec l'air de penser que c'est la question la plus naïve possible. « Je savais, quand j'ai arrêté le sumo, que je voulais enseigner aux plus jeunes. C'est un sentiment très naturel, tout le monde l'a. Et même si vous ne pouvez fonder votre propre heya, vous voulez rester impliqué dans le sumo ».

l'Oyakata a même sorti un yokozuna des rangs de sa heya. Je l'ignorais à ce moment, mais l'un des oyakata venu à la heya en compagnie de ses lutteurs quelques semaines plus tôt – le plus enrobé, dont je disais qu'il avait une tête de voyou – est l'ancien yokozuna Onokuni, qui combattit dans les années 80.

Shapiro m'a dit plus tard que l'oyakata est maintenant réputé pour sa compétence en tant que chef du bureau des relations publiques de la NSK. Ce qui n'est pas sans inconvénients, car les pontes de l'association n'ont pas très envie de lui confier pour l'instant un poste moins prenant. « Il est si occupé qu'il lui est difficile de recruter et d'entraîner ses lutteurs comme il l'entend », me dit Shapiro.

Je demande également à l'oyakata comment il effectue son recrutement. Il me dit qu'il a des amis sur tout le pays qui lui donnent des noms pour sa heya. Il passe après au coup de fil ou à la visite

« Je recherche des gars de grande taille; je regarde s'ils ont déjà pratiqué des sports. Mais même s'ils n'en ont jamais fait, s'ils veulent vraiment faire du sumo, c'est bon pour moi. La chose la plus importante est qu'ils aient beaucoup de cœur à l'ouvrage ». malgré sa propre expérience – et en l'occurrence, également celle d'Haruki – l'oyakata me dit qu'il n'est pas intéressé par des lutteurs qui subissent des pressions parentales pour devenir sumotori. « Le choix doit venir d'eux mêmes ».

mais quand l'oyakata trouve quelqu'un qu'il veut vraiment voir rejoindre la heya, il y passe parfois des années, comme ce fut le cas de Kazuya, à essayer de le convaincre, me dit-il. « Je lui parle de l'existence du sumotori, comment elle le rendra plus fort ».

toutefois, dans le Japon d'aujourd'hui où tant d'autres voies bien plus faciles vers le succès existent, recruter de nouveaux lutteurs n'est pas chose facile. « Beaucoup de heyas, peu de gens à recruter. Tout le monde croit que la vie des sumotori est dure et épuisante, et ils savent qu'ils n'ont que peu de chances d'aller suffisamment haut pour devenir riches et célèbres ».

je me demande si la difficulté du recrutement peut varier en fonction de la situation économique. Peut-être, me dis-je, a-t-il été plus facile de trouver de nouveaux lutteurs au début de son règne d'oyakata, avant que la « bulle économique » japonaise ne montre tant d'autres voies plus faciles . Et maintenant, avec la récession économique, peut-être lui est-il à nouveau plus facile de recruter.

Mais ce n'est pas le cas « Ca n'a jamais été facile. C'était difficile à l'époque. Ca l'est encore aujourd'hui ».

Cela fait un peu moins de trente minutes que je parle à l'oyakata à ce moment, et j'ai déjà quasiment fait le tour de mes questions. L'oyakata, je le constate, est un homme peu bavard. Il réponds à mes questions de manière succincte, mais pas toujours de manière satisfaisante. Je ne suis toujours pas bien sûr de la façon dont il convainct les lutteurs à rejoindre sa heya, par exemple. Je lui ai égtalement demandé ce que ses lutterus font après leur retraite sportive. « Certains bossent en etreprises. D'autres créeent leur enttreprise » est sa réponse.

L'oyakata n'est pas cachottier, mais à coup sûr il est fumeux.

Je me creuse les méninges pour trouver des questions qui l'amèeraient à parler un peu plus. « Qu'est-ce que vous ressentez quand un de vos lutteurs gagne un match ? »
« « Quand quelqu'un a du succès, c'est merveilleux. Quand la défaite est au rendez-vous, c'est triste ».
« Et quand un de vos hommes progresse dans le banzuke ? », risqué-je, pour essayer de le pousser un peu.
« Je suis toujours heureux quand ils reçoivent une promotion. Mais je suis inquiet quand ils sont sur le déclin ».

Je décide de faire une dernière tentative pour l'amener à parler. « Comment sentez-vous vos lutteurs à l'approche du tournoi à venir ? »
« Tout le monde a eu de longues vacances », me répond-t-il. Les lutteurs viennent d'achever leur permission de 4 jours du Nouvel An. « J'ai vraiment le sentiment que personne ne travaille assez dur ».

je me rends compte que je n'en tirerai pas grand chose de plus, et décide d'arrêter là l'interview. Il ne me reste que deux questions que j'ai gardées pour la fin.
« Une dernière chose. Je me demandais quel pouvait être le changement d'ambiance dans la heya durant le tournoi. Croyez vous que je pourrai revenir quelques nuits de plus après le début de celui-ci ? ».
« Bien sûr » me répond-il avec aussi peu de réticence que si je lui avait demandé dix balles. « Il faut bien que vous compreniez une chose : il n'y a pas deux heya qui se ressemblent. La nôtre fait partie des petites – je veux dire, même l'immeuble est petit – et vous ne devez pas partir avec le sentiment que toutes les heya sont comme celà ».
« Bien pris. J'apprécie votre sollicitude ». Ca fait deux jours que je me mords les doigts d'avoir quitté la heya avant le début du tournoi et suis très content d'avoir l'occasion d'y retourner. Mais il me reste encore une dernière question à lui poser ».
« Voyez vous, il me reste une toute dernière question, si ça ne pose pas de problème ».
Hochement de tête.
« Comment vos enfants vous appèlent-ils ? »
« Pardon ? » répond-il, perplexe.
« C'est assez intéressant pour moi de constater que vous êtes né sous un nom, avez lutté sous un autre et êtes désormais connu comme l'oyakata Hanaregoma. Donc je me demandais par quel nom vos enfants vous appèlent ».

« Ils m'appèlent Papa »

Kaiowaka
10/03/2005, 10h41
C'est vraiment très prenant cette histoire et pour changer, je me réjouis de lire la suite !!!!! :wink:

Je trouve que tout le texte devrait être mis dans un prochain "Monde du Sumo" ou "Petit Banzuke Illustré" afin de pouvoir l'avoir sur un support papier avec quelques photos, celà serait génial !!!!!

En tous les cas, ne t'arrête pas Toonoryu !!!!!

ArnaudB
10/03/2005, 11h56
c'est diablement prenant comme lecture :)
encore merci pour ce travail de traduction

deniishu
10/03/2005, 12h15
je compile le tout sous word j'y ajoute les photos du blog de jacob et je peux le transmettre à qui veut!

sumofr
10/03/2005, 17h16
je compile le tout sous word j'y ajoute les photos du blog de jacob et je peux le transmettre à qui veut!

J'allais faire la même chose et mise à disposition en téléchargement sur www.sumofr.net, dès que la traduction sera achevée ! Au fait, il reste combien de chapitres ?

furanohana
10/03/2005, 18h48
je compile le tout sous word j'y ajoute les photos du blog de jacob et je peux le transmettre à qui veut!

J'allais faire la même chose et mise à disposition en téléchargement sur www.sumofr.net, dès que la traduction sera achevée ! Au fait, il reste combien de chapitres ?
Cela me parait une super idée !!! :D

toonoryu
10/03/2005, 19h17
Bonsoir tout le monde. Pour disposer de la version illustrée, il existe aussi le lien vers le blog traduit, à cette adresse : http://roidelamontagne.blogspot.com/
Jacob vient faire un tour assez fréquent sur le forum et le remet à jour régulièrement. M'étant aperçu de la présence de quelques "coquilles" (au nombre desquelles le titre, malencontreusement mal traduit :oops: ), je devrais envoyer une version revue et corrigée ce week end.
Pour ce qui est du nombre de chapitres restant, je ne peux pas trop dire, car Jacob continue à les poster régulièrement, même si son séjour est désormais terminé. Tout ce que je peux dire, c'est qu'après les posts de ce soir, il doit m'en rester trois ou quatre avant d'être à jour par rapport au blog initial.
Sur ce, voici les traductions de ce soir. Enjoy !



Mercredi, 26 janvier 2005


Retour à la heya


Je rentre directement du bureau de l'oyakata vers la heya. J'ai encore pas mal de questions que je veux poser aux lutteurs.

La motivation qui pousse les lutteurs à progresser dans le banzuke est évidente : comme je l'ai déjà écrit, une promotion s'accompagne de sensibles améliorations dans la qualité de leur vie. Mais ce qui à pu les pousser à rejoindre la heya à leurs tout débuts reste assez mystérieux pour moi. Je leur ai demandé, bien entendu, mais je n'ai jamais pu recevoir de réponse qui me convienne. Ils disent en général quelque chose dans le genre de « J'ai été recruté », et s'arrêtent là.

En dépit de la chaleur et de l'ouverture d'esprit dont les lutteurs ont fait preuve à mon égard, je n'ai pas pu aller réellement gratter sous la surface pour comprendre leurs motivations profondes. L'une des raisons en est, bien sûr, la barrière de la langue qui ruine notre communication. Ces gars parlent un sabir d'argot « jeune », de dialectes régionaux et de langage sumo qui me laisse perplexe quant à ce qu'ils peuvent se dire entre eux, et même parfois sur ce qu'ils me disent directement à mon attention.

Il y a aussi les énormes différences qui existent entre eux et moi. Bien sûr, il y a l'aspect physique, qui me fait parfois me sentir comme un alevin au milieu de poissons-chats, en particulier quand je revêt un mawashi et monte sur le dohyo. S'y ajoute le choc de cultures général, entre l'Américain que je suis et eux, tous Japonais – à l'exception d'un Mongol.

Il y a aussi les différences sociales. L'oyakata, quand je suis passé le voir, a insisté sur le fait que les lutteurs proviennent de toutes les couches sociales et éducatives. Et de fait, Kitamura a rejoint la heya après avoir fait du sumo universitaire dans une faculté très cotée et chère. Mais la plupart des gars dont je parle viennent de milieux ouvriers très différents de mes origines de classe (très) moyenne et studieuse.

Ces gars sont également des athlètes sérieux voire, pour certains, accomplis. Pour ma part, je n'ai pas eu une activité sportive depuis les matches de base-ball et les parties de foot en salle chez les scouts que je jouais avant qu'on ne fasse plus appel à moi – sans doute étaient-ils lassés de perdre par ma faute.

Et les lutteurs s'engagent sur plus de dix ans au profit de la heya, quand moi j'ai peur de m'engager pour un abonnement à Télé-Z.

Bien sûr, étant au sein de la heya pour écrire sur les lutteurs, leur sport et leur vie, il est de ma responsabilité d'aller au-delà de ces différences et de trouver la façon de les comprendre au mieux. J'ai d'abord pensé que de passer un maximum de temps avec eux me permettrait d'accéder à un certain niveau de confiance et d'y arriver, et dans une certaine mesure cela a porté ses fruits. Mais d'un sens, cela a été également contre-productif.

La technique habituelle d'un reporter est d'arriver comme une fleur dans ma vie des gens avec un carnet de notes et un temps limité, et de leur poser des questions. Si vous n'obtenez pas les réponses qui vous conviennent, vous les reposez en étant plus insistant, plus précis. En fait, vous continuez à poser des questions jusqu'à ce que vous obteniez une réponse satisfaisante, et si ça doit vous conduire à être en froid avec votre interlocuteur, ben tant pis. Après tout, vous recherchez des citations et des impressions, pas des nouveaux amis.

Mais dans la heya, bien que mon carnet de notes ait toujours été à portée et que j'y ais écrit constamment, je n'ai pas agi comme si j'étais là pour l'après midi. La collecte d'informations est surtout faite au cours de conversations pendant le dîner ou les pubs. Ce sont des conversations amicales plus que des interviews proprement dites. Et si je demande pendant le repas à un gars comment il est devenu sumotori et qu'il me répond « J'ai été recruté », je ne me sens pas en position de lui répondre « Allez, vraiment, pourquoi ? Pourquoi t'es tu laissé recruter ? ». Ce ne serait pas très amical.

Le meilleur moyen de parvenir à cette fin, me suis-je dit, serait d'attendre d'avoir quitté la heya puis de revenir pour une brève visite dans le seul but d'interroger les lutteurs sur leurs conditions d'entrée dans le sumo et ce qu'ils pensent de leur style de vie. Et donc, après ma visite à l'oyakata, je retourne à la heya pour m'asseoir avec quelques gars. C'est là que je recueille ce qui constitue mon vivier d'informations pour les « portraits de sumotori ».

toonoryu
10/03/2005, 19h19
Un autre, un autre...



Mercredi, 02 février 2005



Les brutalités dans le sumo


Un jour, alors que je suis en train de taper quelques notes dans la chambre de la heya, je demande à Murayoshi quel est le véritable nom de ce que j'ai appelé les « séances de polisseuse », durant lesquelles un lutteur pousse l'autre le long du dohyo entre les séances de combat.
« Butsukarigeiko. C'est la partie la plus brutale de l'entraînement ».
Après un moment de réflexion, il me demande « Tu pense qu'on est brutaux les uns envers les autres ? »
« Oui », lui dis-je, spontanément. A l'entraînement ce jour-là, j'ai vu Moriyasu agripper Batto par le cou et le balancer au sol à chaque fois que le Mongol n'arrivait pas à le repousser durant le butsukarigeiko. Moriyasu l'a torturé ainsi indéfiniment, jusqu'à ce que Batto se retrouve couvert de terre, soufflant et sifflant bruyamment. Au bout d'un moment, je ne pouvais même plus regarder, mais personne n'avait l'air de trouver ça choquant le moins du monde.

« Je crois que Moriyasu a été vraiment violent avec Batto aujourd'hui », lui dis-je.
« Oh, ça ? C'était rien. Ca a été beaucoup plus violent, dans le temps ».

Quand Murayoshi a rejoint la heya il y a onze années, de telles brutalités lors d'un butsukarigeiko étaient monnaie courante, me dit-il. Il ajoute que les lutteurs étaient encore plus durs envers leurs subordonnés avant qu'il n'arrive.

« Mais les Japonais d'aujourd'hui n'ont pas le cuir dur. Ils pleurnichent et ont le mal du pays. Ils ne peuvent pas supporter les coups. Ils plient bagage et s'en vont ».

En plus de se battre les uns les autres, me dit Murayoshi, ils se faisaient également bastonner assez souvent par l'oyakata et le kashira. « Quand j'ai commencé, le kashira me frappait avec un bâton si je faisais deux fois la même erreur. Parfois il me battait parce qu'il estimait que je me comportais mal ».

Quelques jours plus tard, Hiroki me corrobore la description faite par Murayoshi des vertes années du kashira. Aujourd’hui inoffensif bien que violent, le kashira était apparemment dans la heya une véritable enflure. Il avait pour habitude de s'asseoir, regardant l'entraînement à la même place près du radiateur qu'il occupe aujourd'hui, un long et menaçant bâton derrière lui. « Si quelqu'un se plantait pendant l'exercice, il le frappait sur les fesses ou les cuisses – parfois même sur la tête ».

Mais il y a environ quatre ans, me dit Hiroki, le kashira a changé. Son humeur s'est assagie et il a arrêté d'agresser les lutteurs durant l'entraînement. Et la bâton a disparu.

David Shapiro, l'expert américain du sumo que j'ai rencontré après mon départ de la heya, m'a donné une raison similaire à celle de Murayoshi pour expliquer l'assouplissement des règles de vie du sumo : les jeunes japonais d'aujourd'hui ne pourraient supporter trop de bastonnades.

« C'est l'éducation parentale. Avant la guerre, si un gamin partait faire du sumo, son père lui disait 'ne revient pas à la maison avant d'être juryo' », rang qu'occupe le sekitori. « Maintenant, sa maman lui dit 'si tu n'aimes pas ça, revient à la maison'. Il est dur pour un enfant élevé de cette manière de recevoir des coups et d'en redemander ».

Cette vague de jeunes japonais moins déférents envers leurs supérieurs est positive pour un pays moderne qui cherche à faire éclore des citoyens responsables et indépendants, dit Shapiro. Mais ce n'est pas la panacée pour produire des sumotori durs à cuire.

Lors de ma rencontre avec l'oyakata, je lui ai demandé s'il pense que le sumo s'assouplissait. C'est son avis, mais il ne le voit pas comme une conséquence du déclin des châtiments corporels dans le sport. Il pense plutôt que la raison en est que les nouvelles générations sont moins enclines à faire des efforts que leurs aînés.

« Peut-être que c'est en train de s'assouplir. Mais le problème, c'est les lutteurs eux-mêmes. S'ils travaillaient plus dur, le niveau serait plus élevé ».

L'oyakata ne semble pas regretter les temps où l'entraînement impliquait une dose salvatrice de maltraitances. « Les sumotori ne progressent pas grâce aux coups de bâton. Ils deviennent meilleurs par de bons conseils techniques. Chacun possède une morphologie différente, et doit donc être entraîné différemment. Ne faire que donner des coups de bâton, c'est juste une solution de facilité ».

toonoryu
10/03/2005, 19h21
... et un dernier pour ce soir. Amusez vous bien et bonne nuit !



Samedi, 12 février 2005



Le grand Dohyo-Matsuri



les lendemain de la session d'entraînement des lutteurs devant le conseil de promotion des yokozuna, Miki, le journaliste du Yomiuri qui a arrangé mon séjour au sein de la heya – et que je n'ai toujours pas rencontré en personne – m'envoie un e-mail. Il m'écrit que la NSK doit tenir un dohyo-matsuri ce samedi matin pour sanctifier le cercle sacré du Kokugikan avant le début du tournoi de Janvier. Il m'invite à passer et me dit que nous nous rencontrerons sur place.

J'arrive en retard, pour trouver une petite foule déjà tassée contre les cordes délimitant l'entrée du complexe. Certains sont munis d'appareils photos et se tordent le cou pour tenter d'avoir une vue dégagée sur quiconque pourrait franchir les portes. Posées contre ces dernières, deux énormes portraits de lutteurs, que je reconnais pour les avoir vus dans le magazine de sumo que j'ai acheté quelques jours plus tôt.

L'un est Kaio, représenté debout, ses bras très musclés pendant sur le côté; L’autre est le Mongol Asashoryu, représenté penché, en train d'effectuer un shiko très travaillé. Tous deux portent le tablier richement décoré, le kesho-mawashi, signe distinctif de leur rang. Asashoryu porte en outre une large corde autour de la taille, sur laquelle pendent des motifs de papier en forme d'éclairs, qui retombent sur ses cuisses repliées. La corde et les éclairs sont le signe de sa condition de yokozuna.

Ces portraits, apprendrai-je plus tard, symbolisent les victoires des lutteurs dans les tournois de l'année précédente. Asashoryu en a gagné cinq, Kaio un seulement.

Tout d'abord je pensais que la foule attendait pour entrer voir le dohyo-matsuri, mais de temps à autres un garde fait entrer quelqu'un à l'intérieur, en lui faisant traverser la foule. Je commence à craindre de rater la cérémonie à l'intérieur, et je me dirige donc vers une entrée de service à travers la salle de musée, et pénètre à l'intérieur sans être arrêté. J'aperçois un garde et lui demande où se tient le dohyo-matsuri; il me montre trois portes attenantes. J'imagine que c'est à mon costume-cravatte que je dois cette entrée particulièrement libre.

Je pénètre dans l'énorme salle de lutte. Le dohyo s'y trouve au centre, monté sur un amas de terre trapézoïdal à peine plus large que le cercle sacré lui-même. Un toit en bois de style shinto est suspendu au-dessus du dohyo, des fourragères de couleur rouge, blanche, noire et vertes accrochées à chaque coins. Elles représentent les quatre saisons, les quatre points cardinaux ou les quatre divinités mythologiques, selon diverses sources. Mais personne ne conteste qu'elles symbolisent au moins les quatre piliers qui supportaient autrefois le baldaquin.

Jusqu'au vingtième siècle, les matches de sumo se tenaient en extérieur, souvent sur des dohyo surmontés de baldaquins qui protégeaient les lutteurs de la pluie et de la neige. Quand le sumo commença à se tenir au Kokugikan (littéralement 'centre sportif national') construit exprès à cet usage en 1909, le toit fit son entrée à l'intérieur. Désormais, les matches se jouant en salle, ce toit n'avait plus d'utilité pratique, et les piliers qui le supportaient gênaient la vision des spectateurs. Donc, dans les années 30 (ou 50, selon les sources), les fourragères ont remplacé les piliers.

Le baldaquin en lui-même, en attendant, fut construit sur le modèle des toits des temples shintos. J'ai lu qu'il aurait en particulier une grande ressemblance avec le toit du temple d'Ise, dans la préfecture de Mie. Ce temple est dédié à la déesse du Soleil qui, selon les mythes ancestraux japonais, a crée la lignée impériale. Cela en fait l'un des sites religieux les plus importants du pays. Mais bien que le temple d'Ise ait été construit il y a des milliers d'années, il n'a inspiré les toitures du sumo que depuis les années trente, quand il fut introduit au Kokugikan pour lui donné un aspect plus traditionnellement nippon. Avant cela, le baldaquin avait pour modèle des toitures de fermes célèbres de la campagne japonaise.

Autour du dohyo se trouvent deux rangées de sièges. La plus basse consiste en des coussins posés au sol, avec quinze gradins de boxes s'élevant progressivement. Chaque box est tout juste assez large pour contenir quatre personnes, et quatre coussins divisent en quartiers le sol recouvert de moquette orange. Devant les rangées de boxes, quelques rangées de coussins posés directement au sol autour du dohyo. Le balcon extérieur surplombe les boxes éloignés et consiste en une quinzaine de rangées de sièges pliables rouges.

Quelques spectateurs, la plupart des solitaires s'étant réservé un box pour eux seuls, contemplent le dohyo-matsuri, qui semble reproduire le même schéma que celui que j'ai vu dans la heya. Mais cette cérémonie est plus élaborée, trois gyoji exécutant les rituels, chacun d'entre eux semblant bien plus religieux que Hage-san. Au contraire du splendide costume de Hage-san, leurs chapeaux et kimonos sont strictement identiques à ceux portés par les véritables prêtres shintos. Le gyoji en chef, qui déclame les prières, porte un kimono doré; les deux autres, des kimonos blancs.

Autour du dohyo se trouvent de nombreux oyakata et autres institutionnels du sumo, en costumes sombres. Ils partagent le sake et autres offrandes, tout comme les lutteurs le faisaient à la heya.

A la fin de la cérémonie, je suis toute cette petite assemblée dehors, où la foule amassée autour de l'entrée principale est maintenant nombreuse. Peu après, Kaio et Asashoryu émergent du bâtiment en kimono traditionnel. Je reconnais le visage poupin de Kaio que j'ai vu devant le conseil de promotion des yokozuna. Mais je n'ai encore jamais vu Asashoryu de près, et suis très surpris de constater combien il paraît jeune avec son visage rondouillard.

Un vieux Japonais leur remet cérémonieusement une reproduction plus petite des portraits géants devant lesquels ils se trouvent. Je ne reconnais pas le vieux, mais imagine qu'il doit être membre de la NSK ou représentant du journal Mainichi, qui a commandé les portraits. Au moment où il remet son portrait à Asashoryu, une petite grand-mère japonaise devant moi fait remarquer, avec un rien d'aigreur dans la voix, à une autre petite vieille : « Il est rentré de Mongolie juste la semaine dernière ».

Puis les deux lutteurs se rapprochent l'un de l'autre et se serrent la main devant les appareils photo que tout un chacun dans la foule semble avoir. « Vas-y Kaio » crie la vieille devant moi.

De fait, à un jour du début du tournoi, la question qui semble être sur toutes les lèvres des fans de sumo est de savoir si Kaio fera une performance suffisante pour être promu yokozuna ce tournoi. Les fans japonais, ais-je pu lire, sont lassé d'avoir un étranger qui domine au sommet de leur sport national. Ils veulent un yokozuna japonais.

Mais, pour l'instant, Kaio n'a pas la cote. Il a perdu plusieurs matches contre des lutteurs moins bien classé durant le conseil de promotion des yokozuna – j'ai même vu à ce moment l'un des oyakata présents le réprimander publiquement pour concéder tant de défaites, même si j'ignore qui il était.

Quelques fans et commentateurs rejettent la responsabilité de la piètre performance de Kaio sur Asashoryu. Le yokozuna a manqué la session, selon son oyakata parce qu'il est rentré de Mongolie avec un rhume. Kaio a perdu beaucoup de matches parce qu'il a du compenser la fainéantise d'Asashoryu et combattre beaucoup plus qu'il n'aurait eu autrement à le faire, ont dit certains.

Le sentiment sous-jacent dans beaucoup de commentaires de fans est un ressentiment sur le fait que Asashoryu ait quitté le Japon pendant les vacances de Nouvel An.

« C'est une tradition séculaire dans le monde du sumo que les sumotori patientent et ne prennent leurs vacances de Nouvel An qu'après la fin du tournoi de Janvier » écrit un commentateur de l'Asahi. « Si Asashoryu perd de nombreux combats [à cause de sa maladie], il devrait recevoir les critiques qu'il mérite ».

Je ne pense pas que cette amertume vienne du ressentiment provoqué par l'absence de yokozuna japonais. Je crois plutôt que les Japonais voient en Asashoryu quelqu'un qui ne remplit pas les exigences attachées à son rang.

Les sumotori s'habillent comme les japonais des siècles passés, s'entourent des emblèmes de la religion nationale et suivent les us et coutumes du Japon traditionnel avec bien plus d'entrain que le reste de la population. Dans tout cela, ils sont comme une quintessence d'une forme exacerbée de « nipponisme ». Par conséquent, l'unique champion se doit d'être exemplaire sur le plan de l'attitude japonaise, qu'il soit lui-même japonais ou pas. Passer outre l'entraînement pré-tournoi après s'être barré en Mongolie n'est pas quelque chose que peut faire un yokozuna, peut-on imaginer lire en filigrane.

Quoi qu'il en soit, la cérémonie achevée, la foule se disperse et les cordes sont enlevées. Je retourne à l'intérieur du Kokugikan pour tuer le temps en attendant des nouvelles de Miki, dont j'attends le coup de fil.

Kaiowaka
10/03/2005, 21h45
Un autre, un autre, un autre..............! :wink:

Non, je plaisante ! Tu nous as vraiment gâté aujourd'hui Toonoryu !!!!

Merci beaucoup !

toonoryu
10/03/2005, 22h14
Merci wak. Repos ce soir, mais je pense achever les traducions des textes en ligne demain si tout va bien, en tout état de cause ce weekend. Patience donc... 8)

PS : pour Nemosima, après avoir fureté sur le net, il semble que la traduction française du titre anglais issu de Gynnt, et qui a donné lieu à une adaptation musicale par Grieg, soit bien Dans l'antre du roi de la montagne . Tu peux consulter sur le lien suivant (l'air est d'ailleurs assez connu, même d'un béotien comme moi en musique classique)
http://fr.encarta.msn.com/media_102633202/Grieg_Peer_Gynt.html
Ouf, je n'aurai pas à le faire changer... :roll:

Bonne soirée à tous

Konosato
10/03/2005, 23h04
lorsqu'il était Kaiketsu, l'oyakata était réputé comme un lutteur solide et très travailleur, m'apprit plus tard David Shapiro, un commentateur du sumo anglophone qui officier pour la télévision publique japonaise, et l'auteur d'un ouvrage sur le sumo. Kaiketsu perdit son grade d'ozeki après avoir connu la défaite dans toute une série de matches où il combattit blessé, mais demeure l'un des rares lutteurs à avoir pu reconquérir ce grade après l'avoir perdu. « Il s'est rendu célèbre pour avoir déclaré que d'abandonner sur blessure, c'est pareil que de faire exprès de perdre un match. La nation toute entière a adoré ».

a la fin de chaque tournoi, une série de récompenses sont décernées aux lutteurs de chaque divisions pour le plus de victoires, les meilleures techniques, etc. Kaiketsu emporta le kanto-sho, récompensant la combativité, sept fois au cours de sa carrière. J'ignore s'il s'agit d'un record.....

Après une rapide recherche, j'ai constaté que notre Oyakata "ex Ozeki Kaiketsu" a quand même fait deux Yusho, le premier au Kyushu 74 comme Komusubi et le deuxième à l'Aki 76 comme Maegashira 4W. En ce qui concerne les sept Kanto-sho il ne s'agit pas d'un record, par exemple Akinoshima avec huit et Takatoriki avec 10 Kanto-sho ont fait mieux.

toonoryu
11/03/2005, 14h10
Merci pour ces précisions Konosato. C'est vrai que je n'ai pas cherché à vérifier. Beau palmarès, quand même...

Pour vous mettre en bouche juste avant le basho qui se profile, quelques une des dernières traductions du blog de Jacob (du moins les textes parus), la dernière d'ici ce soir (après, maj au rythme US...). Pour l'instant, le temple des origines du sumo moderne. Enjoy !




Jeudi, 24 février 2005



L'Eko-in



Juste dans le hall d'entrée du Kokugikan se trouve une vitrine remplie de trophées de sumo. Parmi ceux-ci, une bouteille de Coca-Cola chromée géante – le « trophée Coca-Cola », indique la plaque en dessous. Un autre trophée est un énorme cylindre de verre rempli de champignons séchés. La « Coupe Tchèque » est une chope en cristal géante, posée devant un poster vantant les mérites de la Pilsen Urquell.

Je suis en train de regarder les trophées quand j'entends quelqu'un m'appeler. Levant les yeux, j'aperçois un jeune gars bien coiffé, en costume gris et pantalons noirs. J'imagine, et je ne me trompe pas, qu'il s'agit de Miki.

Miki m'entraîne hors du hall d'entrée vers le bureau des relations publiques, l'endroit même où j'ai rencontré l'oyakata. Là, il fait faire par un photographe du Yomiuri les clichés nécessaires au badge de presse qu'il m'a promis pour le tournoi. De retour dans le bureau, j'aperçois tous les journalistes et photographes assemblés ici autour d'une table jonchée de « butin » de presse : articles, DVD, photos.

S'y trouve également une petite collection de poupées Barbie en costume de sumo : Barbie-gyoji, Barbie-Kesho-Mawashi. L'une a même la tête de Ken insidieusement transposée sur le corps rond et coloré d'un lutteur en mawashi.

Miki me demande de l'attendre tandis qu'il tape des notes sur son ordinateur portable, qu'il a connecté à son cellulaire. Puis il m'emmène manger dans un restaurant tempura, où il commande des fruits de mer pilés sur du riz, que nous arrosons de bière.

Miki mange rapidement. Lorsque nous quittons le restaurant, il m'informe que je peux arriver au Kokugikan quand je le désire le jour suivant – premier jour du tournoi – et percevoir mon badge de presse, qui me permettra d'aller et venir à ma guise. Avant que nous ne nous quittions, je lui demande de m'indiquer le chemin du temple d'Eko-in, que je souhaite voir en raison de son rapport avec le sumo.

Eko-in, en fait, est ce qui a amené le sumo dans le quartier Ryogoku de ce qui allait devenir Tokyo. Construit au milieu du 18° siècle pour inhumer et rendre hommage aux plus de cent mille victimes du gigantesque incendie qui avait détruit la ville environ un siècle plus tôt. Mais Eko-in n'avait pas accès aux même mannes financières dont disposaient la plupart des temples : les tombes qu'il renfermait étant anonymes, il ne pouvait recevoir les dons de familles de victimes enterrées là. Le temple trouva alors la solution pour asseoir sa viabilité financière en organisant deux fois par an des tournois de sumo, devant des milliers de spectateurs.

Le sumo pratiqué dans l'enceinte de temples n'était pas une nouveauté. Cela faisait bien longtemps que temples et sanctuaires gagnaient de l'argent en hébergeant le ramassis de samurai en rupture de ban et d'immigrants venus de la campagne, qui luttaient dans les combats primés qui allaient devenir le sumo moderne. Avant qu'Eko-in ne commence à tenir des combats en son sein, la plupart se déroulaient sur le sol du sanctuaire de Fukugawa Hachiman, en aval du fleuve Sumida. Mais une fois qu'ils furent transférés à l'Eko-in, celui-ci devint la destination majeure du sumo et Ryogoku son quartier général.

Au début du 20° siècle, le sumo gagna un prestige tout neuf, surfant sur la vague de fierté nationale qui submergea le Japon après ses récentes victoires sur la Chine et la Russie et entraîna chez les Japonais un retour aux sources de leur culture, par volonté d'opposition envers la civilisation occidentale. Expression de la culture japonaise tout à fait singulière, le sumo fut élevé au rang de sport national, et le Kokugikan, construit près du temple, devint sa maison.

De nos jours, toutefois, la seule chose qui semble encore relier l'Eko-in à son passé de sumo est la pierre gravée de l'inscription « Montagne de force », placée à l'entrée du temple, et érigée dans les années 30 pour commémorer un lutteur célèbre. Le temple lui-même se trouve au fond d'un axe routier chargé, derrière un building d'acier et de verre. Les vastes terrains du temple, qui lui permettaient d'abriter les énormes structures démontables dans lesquelles le sumo prenait place, ont désormais disparus. C'est aujourd'hui un quartier résidentiel encombré de petites villas. Mais son passé de cimetière rejaillit clairement des denses amas de tombes sur le côté.

toonoryu
11/03/2005, 14h12
Encore un, sur l'ambiance des débuts du dernier basho. Enjoy !



Lundi, 7 mars 2005



Une matinée au Tournoi.



J'arrive à Ryogoku le dimanche, premier jour du tournoi, à dix heures du matin, environ deux heures après le début des premiers combats. Un lutteur sort du train en même temps que moi, sans doute arrivant pour combattre. En bas des quais, je vois Tatsuya passer les portiques. Il ne me reconnaît pas tout de suite, peut-être parce que je porte un costume-cravate et que j'ai laissé repousser barbe et moustache.

« Tatsuya », l'appelé-je. Il semble surpris de me voir. « Comment ça s'est passé ? ».
« J'ai perdu », me répond-il, l'air absent.

Je lui annonce que je passerai le revoir mardi, quand je reviendrai passer quelques nuits supplémentaires à la heya. Puis je quitte la gare et me dirige vers le bureau des relations publiques pour y récupérer mon badge de presse.

Dans la grande salle, les lutteurs de rang inférieur sont en train de combattre. Les combats se succèdent à un rythme soutenu, sans beaucoup de cérémonial. Quand j'entre dans le salle, le gyoji qui officie porte une veste bleue qui descend sur un pantalon bouffant.

Pendant ce temps, les noms des lutteurs sont annoncés par un yobidashi portant un kimono floqué de l'inscription « Natori » dans le dos. Je pense tout d'abord qu'il doit s'agir de son nom, mais comprends mon erreur quand il est remplacé par un autre portant « Ozeki sake » dans son dos. Je comprends alors que son kimono était une pub pour la compagnie alimentaire Natori.

Autour du dohyo se trouvent les juges, ou « shinpan », vêtus de kimonos noirs. Ils sont assis par terre au pied du dohyo sur les côtés nord, est et ouest, deux d'entre eux occupant le côté sud. Les shinpan sont tous d'anciens lutteurs ayant combattu dans des rangs très élevés.

C'est eux qui ont l'ultime pouvoir de décision concernant les vainqueurs de combats. Si un shinpan n'est pas d'accord avec la décision du gyoji, il peut convoquer une rapide réunion avec ses collègues sur le dohyo et, s'ils sont tous d'accord, inverser la décision du gyoji. Le shinpan en chef – assis au côté nord du dohyo – porte une oreillette qui le relie à un sixième juge qui officie en régie et a accès aux ralentis télévisés du match.

Les shinpan des côtés est et ouest du dohyo sont tous deux flanqués de deux lutteurs, qui sont les prochains combattants. Les lutteurs attendent du côté du dohyo correspondant à celui qu'ils occupent dans le banzuke.

Le lutteur suivant attend que le yobidashi chante son nom dans une complainte longue et haut perchée, tandis qu'il ouvre un éventail blanc. Le chant et sa musique me rappellent celle des vendeurs de yams qui officient à l'extérieur de Tokyo en hiver.

Après que le yobidashi a chanté leur nom (et désigné la direction), les lutteurs montent sur le dohyo. La place aux côté des shinpan est alors occupé par le lutteur suivant, qui émerge d'un corridor placé sous les tribunes (ce corridor s'appelle un 'hanamichi', ou 'chemin des fleurs'). C'est le même nom que l'allée qu'empruntent les acteurs de kabuki pour monter sur scène).

Ensuite, le gyoji désigne chaque côté du dohyo de son éventail tandis qu'il proclame une seconde fois les noms des lutteurs. Sa voix, théâtrale et forcée, est celle d'un acteur de No ou d'un prêtre shinto. Les lutteurs, dans l'intervalle, font quelques shiko dans leurs coins respectifs sur le côté sud du dohyo, face au hanamichi par lequel ils sont arrivés. Sur leurs cuisses pendent leurs sagari, les morceaux de corde rattachés à une ceinture qu'ils coincent en dessous de leur mawashi. Chaque lutteur a un sagari de couleur différente. Je ne suis pas très sûr de leur but ou de leur signification. L'un des ouvrages que j'ai lu les relie à la religion shinto; un autre qu'ils pendent au-dessus du pubis des lutteurs pour délimiter la partie du mawashi qui ne peut être agrippée durant les combats.

Après l'appel des lutteurs par le gyoji, celui-ci met son éventail en parallèle avec le sol, le relève, puis se retire en arrière. C'est pour les lutteurs le signal d'entrée sur le dohyo, tandis que leurs noms sont annoncés une troisième et dernière fois à la sono. Le gyoji fait alors un signe de son éventail et les lutteurs s'accroupissent, posent leurs poings à terre, rejettent leur sagari au-dessus de leurs cuisses repliées, et se jettent l'un contre l'autre.

Le gyoji suit les lutteurs à travers le dohyo tandis qu'ils s'affrontent en fredonnant ce qui me semble être un « teribu-teribu-teribu-ta ». En fait, j'apprendrai qu'ils déclament « nokotta, nokotta, nokotta », ce qui signifie quelque chose comme « Pas de décision ».

une fois un lutteur repoussé au-delà du cercle sacré ou projeté au sol, ou soulevé, le gyoji pointe son éventail vers le point cardinal du vainqueur. Puis les deux lutteurs se font face au centre du cercle et se saluent. Le perdant quitte le dohyo, tandis que le vainqueur s'accroupit devant le gyoji, qui proclame son nom.

Quand j'arrive, il n'y a encore qu'une poignée de spectateurs – pas mal d'entre eux étant des occidentaux – dans les boxes du rez-de-chaussée, les balcons étant quasi vides. Miki m'a dit la veille que certains fans de sumo achètent des tickets de balcon qui peuvent coûter au minimum 40 $, et regardent les combats d'en bas jusqu'à ce que les spectateurs qui ont payé jusqu'à 370$ pour leurs boxes n'arrivent. Les étrangers sont très réputés pour faire cela, m'a dit Miki; la plupart des Japonais se fichent des premiers combats et n'arrivent que vers 2h30 ou 3h, quand les plus hauts gradés se font face.

Je me suis moi-même assis dans un box pour regarder les premiers matches. Les premiers que j'ai pu voir étaient entre des jonidan, mais à mesure que la matinée s'avance, des lutteurs de mieux en mieux classés s'affrontent. Régulièrement, on change les gyoji et les yobidashi, leur rang s'élevant avec celui des lutteurs. Quelques combats auxquels j'assiste sont arbitrés par le gyoji de « ma » heya, et l'un des yobidashi que j'ai vu aider à la confection du dohyo annonce plusieurs combats à la suite.

Cela fait une heure que je regarde les combats quand Miki arrive. Il m'emmène dans l'un des vestiaires du côté Ouest. C'est une pièce allongée avec un étroit corridor courant entre des tatami, où des dizaines de lutteurs sont à divers stades de déshabillage. Kazuya, qui a dû combattre quelques instants avant que je n'arrive, est sur le point de partir. Je lui demande comment s'est passé son combat.

« J'ai gagné », me dit-il, avec une joie très palpable dans le ton de sa voix.

toonoryu
11/03/2005, 18h08
Voilà, dernier des posts manquant du blog de Jacob, avec entre autres la descritption du combat du shonichi (1° journée, c'est bien ça ?) entre Ishide et Kobo. Et après ça, promis, je vous fiche la paix (et je me repose) pendant tout le tournoi... Enjoy !!



Mercredi, 09 mars 2005



Les combats des sekitori



Après notre départ des vestiaires des lutteurs, Miki m'emmène à la salle de presse, dont les murs sont teintés de jaune. Dans des temps plus reculés, avant que la cigarette ne fut bannie de l'enceinte du Kokugikan, il n'y avait sans doute que les fumeurs les plus invétérés pour oser y pénétrer. Des traces noirâtres garnissent la surface jaunie des murs, et l'endroit exhale une odeur d'huile rancie, comme si trente années de plats chinois étaient palpables dans l'atmosphère.

Les chroniqueurs sportifs des grands quotidiens de tout le Japon, ont un bureau dans la pièce, divisée en boxes. Le Yomiuri semble avoir un box pour lui tout seul. Mais à plusieurs heures du début des combats les plus importants, la pièce est quasiment vide.

Je pose ma veste et mon sac dans le box du Yomiuri, puis retourne dans la grande salle pour regarder d'autres combats. Je m'installe dans le coin réservé à l'année par le journal. Je remarque Haruki, le yobidashi, assis au milieu d'un attroupement d'autres jeunes yobidashi à l'entrée du hanamachi. A une heure de l'après midi, commençant à avoir faim, je retourne à la salle de presse récupère mon ordinateur portable pour pouvoir vérifier mes e-mails dans le McDonald de l'autre côté de la rue, qui est pourvu d'accès internet sans fil.

J'avale un cheeseburger et passe quelques minutes à répondre à mes e-mails, puis retourne au tournoi. A mon retour, un peu avant deux heures, l'atmosphère est totalement différente. On a plus l'impression d'être dans un enclos de spectateurs pintés à l'alcool de prune que dans un stade de fans de sport. Environ deux tiers des boxes sont désormais occupés par des spectateurs, assis sur leurs coussins en train de boire de la bière et de manger des friandises sur des plateaux de plastique. Beaucoup ont des sacs de papier remplis de gnôle, de bouffe et de souvenirs en vente dans la « maison de thé » près de l'entrée.

Ces « maisons de thé » sont un vestige des temps où le sumo se pratiquait en extérieur, quand des établissements indépendants poussaient en dehors des structures temporaires construites sur le sol des temples. Aujourd'hui, elles vendent à manger et à boire, mais c'est également l'endroit où l'écrasante majorité de fans viennent réserver leurs tickets. Selon une estimation, jusqu'à 90% des ventes de tickets sont faites dans ces stands, qui ont subi des critiques pour ne vendre qu'à des mécènes choisis et évincer les vrais fans. Les techniques de la NSK pour répartir les tickets à vendre aux « maisons de thé » ont conduit à l'un des plus grands scandales du sumo, dans les années 50, lorsqu'il fut révélé que la femme et la fille du président de la NSK possédaient deux des plus grands établissements. Au plus fort du scandale, le président, Dewanoumi, fit une tentative de suicide rituel, avant d'être finalement remplacé.

Quand des fans viennent assister à un tournoi, ils s'enregistrent avec la « maison de thé » à laquelle ils ont acheté leurs billets, et un réceptionniste travaillant pour l'établissement se charge de les conduire jusqu'à leurs places. Je vois maintenant ces gars conduire leurs clients à travers le chaos grandissant de la grande salle alors que je retourne à la salle de presse pour y reposer mes affaires.

La salle est maintenant remplie de journalistes en train de regarder les combats de sumo à la télévision. Je retourne au box de presse, jusqu'à ce que les invités officiels du journal n'arrivent et que le réceptionniste ne m'invite à partir. Je descends alors d'un rang jusqu'aux sièges de presse posés derrière un long bureau ancré au sol.

A ce moment, les combats des juryo viennent de débuter. Ceux-ci portent des mawashi de soie colorés, alors que les lutteurs que j'ai vus combattre avant de manger portaient les mêmes étoffes de toile rugueuse et grise dont ils se servent à l'entraînement dans leurs heya. Leurs sagari sont aussi durs et rigides, au contraire des sagari de débutants souples et bon marché. (j'ai lu que les sagari des lutteurs de haut rang sont durcis à l'amidon, bien que Hiroki m'affirmera plus tard qu'en fait ils sont bouillis dans une solution d'algues). Les juryo ont également un chignon plus travaillé : leurs cheveux se déploient pour dans une forme qui rappelle celle de la feuille de ginko, qui donne son nom au style de coiffure, 'oicho'.

Les combats de juryo sont aussi plus intéressants et palpitants. Les lutteurs de la matinée semblaient ne faire que s'envoyer valdinguer de chaque côté du dohyo, poussant et tirant l'adversaire jusqu'à ce que l'un tombe ou sorte des limites. Ces gars-là bougent vite et violemment, leurs bras s'agitant furieusement autour du corps de leur adversaire à la recherche de la meilleure prise possible. Même les yobidashi sont meilleurs, leur voix étant plus forte. Et les gyoji portent de vrais kimonos – pas des pantalons bouffants – et ont des décorations métalliques serties sur leurs éventails.

Les combats de juryo déchaînent également bien plus d'enthousiasme que les combats des lutteurs de rang inférieur. Le seul lutteur encouragé par son nom durant la matinée a été un jeune géant blanc nommé Baruto, dont j'apprendrai plus tard qu'il est estonien. Mais beaucoup des juryo qui montent sur le dohyo entendent leur nom crié par la foule.

Toutefois, je ne crois pas qu'aucun des juryo ne soit encouragé aussi bruyamment que le Sekitori quand il fait son entrée sur le dohyo. Je le vois descendre le hanamichi et s'asseoir en face de moi, et suis alors impatient de le voir combattre.

« Ishide », peut on entendre de toute l'assistance quand son tour arrive de monter sur le dohyo. « Allez Ishide! ».

Tout comme le reste des juryo que j'ai vu depuis mon retour dans l'arène, son temps de préparation pour le combat est infiniment plus long. Au contraire des rangs inférieurs, qui ne font que quelques shiko à la va-vite dans le coin du dohyo avant de se faire face et de se charger, ces gars prennent leur temps.

Je regarde le Sekitori entrer sur le cercle sacré, et prendre une louche d'eau dans la bouche, qu'il recrache dans un crachoir dont je réalise seulement maintenant qu'il est construit et inséré sur le côté du dohyo. Il prend une poignée de sel d'un seau posé dans le coin qu'il répand à ses pieds pendant qu'il se dirige vers le centre du dohyo, puis fait face à son adversaire.

Mais le combat n'est pas encore pour tout de suite.

Au lieu de ça, ils retournent chacun dans leur coin pour répandre encore du sel, puis refaire des shiko pour la foule.

« Ishide », crie quelqu'un derrière moi.

Ils reviennent au centre du cercle, mais encore une fois se contentent de se jeter un regard, les yeux dans les yeux, avant de revenir dans leur coin, où ils s'essuient et replongent leur main dans le seau de sel. L'adversaire du Sekitori prend une grosse poignée de sel et la lance de façon arrogante sur le dohyo. La foule rugit.

Le Sekitori prend une plus petite poignée de sel, qu'il lance tranquillement, puis la piétine gentiment du pied. Nouveaux rugissements. La personnalité du Sekitori, je commence à le comprendre, est à l'inverse de ce qu'il montre au sein de la heya. Sur le dohyo c'est un homme humble et mesuré.

« Allez Ishide », crie-t-on encore à côté de moi.

Retour au centre du dohyo. Les lutteurs se jettent un regard sombre. Et cette fois-ci ils s'immobilisent. Quand le gyoji fait signe de son éventail, ils posent leurs poings à terre et se jettent l'un contre l'autre.

En quelques secondes, le Sekitori enroule ses bras autour de la taille de son adversaire. Quelques secondes plus tard, il le précipite hors du dohyo, sous des vivats plus forts que ce que j'ai pu entendre de toute la matinée.

Je me surprends moi-même à crier des encouragements.

pereboulon
12/03/2005, 13h52
MONUMENTAL.

Magnifique texte magnifiquement traduit, cette contribution au forum (et au blog de Jacob) est tout simplement une des meilleures qu'il m'ait été donné de lire.

Je regrette qu'elle prenne fin, mais il faut bien que tu te reposes, c'est bien mérité.

toonoryu
12/03/2005, 14h43
Merci Pereboulon. Petite précision, le blog de Jacob n'est pas fini, j'ai simplement rattrapé mon retard sur lui, et désormais les traductions se feront au rythme de ses envois. J'avoue que je les attends aussi, car j'ai pris autant de paisir à les lire qu'à les traduire... et apparemment vous aussi, vu le nombre de lectures du post.
S'il y en a qui trouvent sur le net d'autres textes de cet acabit, je suis preneur...

toonoryu
13/03/2005, 13h35
Bon, finalement je reviens sur ce que j'ai dit : Jacob a envoyé une texte ce matin, assez court, et comme il traite d'Ishide et que je ne voulais pas qu'Asafan en reste sur l'image qu'elle peut avoir de ce lutteur :wink: , je l'ai rapidement traduit. Enjoy donc et bon dimanche...


Dimanche, 13 mars 2005



Additif sur le Sekitori



J’ai été heureux d’assister à la victoire du Sekitori. Ayant vécu sous le même toit pendant presque deux semaines, je me sens presque redevable envers lui, en dépit des mauvais traitements qu’il inflige aux autres lutteurs de la heya. Mais j’ai été également assez surpris du soutien populaire dont il bénéficie de la part des autres fans. Pourquoi a-t-il reçu tant d’encouragements ?

J’ai reçu une réponse sous la forme d’un e-mail d’un fan britannique qui me dit s’entraîner au sein de la même heya amateur du nord-est de Tokyo qui a vu le Sekitori faire ses débuts dans le sumo. La plupart des lutteurs sont originaires de milieux ruraux, à l’écart des grandes villes de l’île principale du Japon ou sur ses côtes nord ou sud. Mais le Sekitori est de la préfecture de Saitama, qui referme pour l’essentiel des cités-dortoirs pour les citadins travaillant à Tokyo.

« En gros, c’est le régional de l’étape pour les fans », m’écrit cet Anglais.

David Shapiro, le commentateur de sumo américain, m’a également appris que le Sekitori est en train d’effectuer un come-back. Je savais que le Sekitori effectuait son deuxième tournoi en tant que juryo, mais j’ignorais qu’il avait déjà atteint ce rang – avant d’en être déchu. Shapiro me dit que le Sekitori souffre de diabète, et qu’il a perdu son rang en raison d’une condition physique affaiblie par cette maladie.

Mais, ayant recouvré une meilleure santé, le Sekitori est désormais sur une pente ascendante. « C’est un gars en or, très prometteur et avec un grand sens moral dans son métier », me dit Shapiro.

Le Sekitori a en fait abandonné son précédent shikona et pris l’actuel, Ishide, dans un souci de se démarquer de sa période de maladie et de défaites. Quelques personnes m’affirment même que s’il poursuit son ascension – ce qui pourrait bien lui arriver si ses performances sont suffisantes sur ce tournoi – il se pourrait bien qu’il change à nouveau son nom.

« Un nom comme ‘Ishide’ est banal à mourir » m’a expliqué Miki pendant le repas que j’ai pris avec lui la veille du tournoi. « c’est comme s’appeler ‘Miki’ ».

En fait, le Sekitori aura finalement combattu suffisamment au cours du tournoi pour atteindre le rang de maegashira – gagnant neuf de ses quinze combats – mais il combat toujours au tournoi d’Osaka sous le nom d’Ishide.

Sakana
13/03/2005, 13h52
sérieusement, on est "pourris-gâtés" avec ta traduction... c'est du bonheur en barre :D :D
on t'est reconnaissant, mais d'une force !!! :)

merci. :)

Asafan
13/03/2005, 23h31
Merci, vraiment, Toonoryu. Passionnante immersion dans le monde du sumo. Je n'ai pas vraiment changé d'avis sur le comportement d'Ishide dans sa heya, mais je reconnais que c'est un valeureux lutteur sur le dohyo. Par contre avec ses subalternes, il est vraiment relou!!! :wink:

pereboulon
14/03/2005, 12h26
Euh, je ne voudrais pas créer une polémique inutile Asafan, mais il me semble qu'Asashoryu n'est pas spécialement tendre non plus avec ses collégues de Heya. D'une manière générale, les sekitoris ont en quelque sorte le devoir d'agir ainsi. Du moins c'est ainsi que les japonais voient la chose et considérant que le sumo est un sport de combat, peut-être n'ont ils pas tort.

toonoryu
16/03/2005, 00h10
Actuellement en vacances, j'avais promis de faire une pause sur les traductions. Mais quand j'ai lu le dernier texte de Jacob, je me suis dit que l'occasion est trop belle, en plein tournoi, d'avoir une description aussi haletante du shonichi du dernier tournoi. Enjoy donc !


Mardi, 15 Mars 2005


Une après-midi au Tournoi


Quelques combats après la victoire du Sekitori en ce premier jour du Tournoi de Janvier, les affrontements de juryo s’achèvent. Je peux constater sur mon programme imprimé comme sur les panneaux lumineux suspendus en haut des côtés est et ouest de la salle, que les lutteurs les plus haut gradés, les makuuchi, sont sur le point de combattre. Selon le programme, la cérémonie d’entrée sur le dohyo, au cours de laquelle ils doivent être présentés dans leur ensemble, doit bientôt commencer.

Mais au lieu de cela, un message est diffusé sur les haut-parleurs que je n’arrive pas à bien saisir, et l’hymne japonais lui succède. Tout le monde se lève, et j’en fais donc de même. Se lever pour l’hymne national au cours d’un événement sportif est quelque chose de somme toute banal, mais je remarque alors que tout le monde a les yeux levés vers l’avant de la salle. Levant moi-même les yeux, m’attendant à découvrir le drapeau japonais.

Au lieu de ça, c’est l’Empereur et l’Impératrice du Japon que je vois, assis au balcon au dessus de l’entrée nord, en train de répondre élégamment à la foule. Le grisonnant couple impérial sourit et salue, comme deux gentils aïeuls, tandis que l’hymne se poursuit, et je me trouve particulièrement touché par cette vision. Je n’ai encore jamais vu de roi ou de reine en vrai, sans parler d’un empereur ou d’une impératrice.

L’hymne finie, le couple se rassied et le tournoi suit son cours, avec une file de quelques vingt lutteurs faisant leur apparition sur la hanamichi côté ouest. Ils montent sur le dohyo, se plaçant tout autour du cercle à mesure que leur noms sont égrenés. Personne ne reçoit autant d’applaudissements que Takamisakari, le grand et assez fin lutteur qui est la star de pubs pour un porridge de riz parfumé au thé, et est réputé pour ses attitudes très mécaniques et expressives d’avant combat, qui lui ont valu le surnom du « Robot ».

Puis les lutteurs entrent sur le donyo et effectuent une série de shiko à l’unisson, puis reforment un cercle autour du dohyo, face au public, à mesure que leurs noms sont appelés. Une fois l’opération achevée, ils se retournent, frappent dans leurs mains, lèvent un bras, soulèvent leurs kesho mawashi, semblables à des tabliers, en un geste semblant un peu obscène, comme s’ils soulevaient leur jupe. Puis ils lèvent leurs deux bras vers le ciel et quittent le dohyo (je ne suis pas sûr de la signification exacte de toute cette gestuelle : comme beaucoup de choses que j’observe dans le sumo, chaque essayiste a sa propre interprétation).

C’est ensuite au tour les lutteurs de l’est d’arriver par leur hanamichi sur le dohyo. Parmi ceux-ci, celui qui remporte les faveurs du public est Kaio, l’ozeki dont beaucoup espèrent qu’il va rejoindre le Mongol Asashoryu au rang de Yokozuna, ou Grand Champion.

Tout comme leurs homologues de l’ouest, les lutteurs de l’est ont dans leurs rangs quelques Blancs. Je peux reconnaître le Bulgare Kotooshu à son kesho mawahi, qui porte le mot « Bulgarie » dans le logo japonais de la marque de yaourts qui porte ce nom.

Les kesho mawashi sont en fait une survivance du sumo de l’ère Edo. Quand les guerres entre factions rivales de propriétaires terriens prirent fin à cette période, quelques uns poursuivirent le combat dans le sport en se faisant les mécènes de sumotori et en les envoyant affronter les lutteurs de leurs adversaires. A cette époque, les kesho mawashi que les sumotori arboraient portaient les blasons de leurs mécènes samurai.

De nos jours, toutefois, les lutteurs reçoivent leurs kesho mawashi, dont la fabrication coûte plusieurs milliers de dollars, de firmes sponsors ou de « groupes de soutien » composés de fans. Le kesho mawashi du Sekitori, par exemple, est orné d’un aigle, dont les lutteurs à la heya m’ont dit qu’il est le symbole de son groupe de soutien basé à Saitama. Le kesho mawashi de Takamisakari, lui, porte le logo de la Nagatanien, pour lesquels il tourne des publicité pour le porridge au riz. Et la société des yaourts Bulgarie sponsorise apparemment Kotooshu.

Après le départ du deuxième groupe de lutteurs, Asashoryu fait son entrée, accompagné de deux lutteurs assistants, dont l’un est porteur d’un katana, et d’un gyoji dont l’éventail porte un pompon. Le yokozuna porte aussi un kesho mawashi, mais le motif en est occulté par les éclairs de papier qui pendent de dessous la large corde nouée autour de sa taille. Il effectue ses shiko pour le public, pratiquement au ralenti, avant de quitter le dohyo.

Puis c’est au tour d’une brève cérémonie de remise des prix au profit des lutteurs ayant remporté un tournoi ou tout autre distinction durant les compétitions de l’an passé. Asashoryu se représente sur le dohyo dans un simple mawashi de soie, et se voit remettre un trophée gigantesque par un vieil homme en costume de ville, visiblement soulagé de transmettre le lourd fardeau. Puis les portraits géants de Kaio et Asashoryu – peints en l’honneur de leurs victoires – que j’ai vus la veille à l’extérieur du Kokugikan sont dévoilés. Ils ont été suspendus bien au dessus des tribunes à la suite des portraits des lutteurs vainqueurs des précédentes années.

Après quelques autres remises de prix, les makuuchi entament leurs combats. Ils arrivent par la même hanamichi que les lutteurs de rang inférieur, mais sont précédés de jeunes assistants qui placent des coussins de soie à leur attention. Ceux qui remportent leur combat restent sur place après le départ de leur adversaire et se voient offrir de fines enveloppes d’argent que le gyoji leur tend à l’aide de son éventail.

Avant certains matches, quelques jeunes yobidashi en vestes jaunes font le tour du dohyo, porteurs de bannières publicitaires. Les sociétés mécènes offrent une prime supplémentaire au vainqueur du combat, une somme d’environ 500 $ pour chaque bannière. Les lutteurs reçoivent également cet argent sur l’éventail du gyoji ; plus il y a de bannières avant un match, plus il y aura d’enveloppes sur l’éventail à la fin du combat.

A l’instar des publicités sur les chaînes d’informations aux Etats-Unis, la plupart des bannières concernent des médicaments, des produits de régime ou des hôpitaux. Et un regard circulaire dans la salle me montre que la démographie du sumo est similaire à celle des publics de chaînes d’informations américaines : les vieux sont largement plus nombreux que les jeunes, bien que les spectateurs apparemment d’origine étrangère, qui sont nombreux, sont plutôt jeunes.

Avant le combat de Takamisakari contre Roho, le grand Russe au visage de tueur grêlé par la petite vérole, neuf yobidashi font, le tour du dohyo, portant tous une bannière à l’honneur de la Nagatanien. C’est le plus grand nombre de bannières jusque là apparu sur le dohyo, et la foule gronde son enthousiasme durant le tour des yobidashi, tandis qu’un annonceur vante les mérites de la compagnie de porridge.

Lorsque Takamisakari apparaît sur la hanamichi, le public l’applaudit fortement et crie son nom. Il sourit alors humblement et s’assied sur le coussin que son assistant lui a placé en attendant que le combat précédent ne s’achève.

C’est maintenant à son tour de combattre, et il monte sur le dohyo tandis que les porteurs de bannières s’en vont. D’abord, il prend une attitude tranquille, sautillant gentiment dans son coin pour s’échauffer et balançant un peu de sel. Il retourne au centre du cercle pour faire face à Roho pour la première fois, puis retourne dans son coin et se met alors en action.

Tout d’abord, il balance ses énormes bras, expirant avec tant de violence que je peux entendre l’air quitter ses poumons. La foule est en délire, et il lui en donne encore : il se donne des baffes à lui-même comme un malade, frappe sa poitrine de ses poings, et effectue les shiko robotisés qui sont devenus sa marque de fabrique. Lorsque enfin il balance une énorme poignée de sel sur le centre du cercle sacré, la foule explose.

Je me prends moi-même au jeu. C’est sans conteste la préparation d’avant match la plus passionnante que j’ai vu de toute la journée. Avant, quand je ne connaissais encore le sumo que par l’entremise de la télévision, je trouvais ces gestuelles d’un ennui mortel et je délaissais en général les retransmissions en direct au profit des résumés proposés à la fin, qui ne passaient que les combats eux-mêmes.

Mais ici, au tournoi, c’est quelque chose de fondamentalement différent. Toutes ces choses prises en même temps – les lutteurs qui tentent de s’hypnotiser mutuellement, les cris de la foule, le sel volant dans les airs sous les sunlights – donnent un ensemble absolument exaltant. Il en est de même au base-ball : à la télévision, c’est insupportablement ennuyeux, au stade, toutefois, la tension que l’on y ressent rend les matches passionnants.

En fait, avec le temps, ces préparations d’avant match ont été progressivement abrégées pour des soucis d’audience. Jusqu’au début du siècle, elles pouvaient s’éterniser au bon vouloir des lutteurs. Quand les combats commencèrent à être retransmis à la radio, les gestuelles furent limitées à dix minutes. Aujourd’hui, avec des horaires de retransmissions télévisées à respecter, les lutteurs n’ont que quatre minutes pour s’étirer et lancer le sel (plus de 50 kilos chaque jour).

Dans la plupart des cas toutefois, quatre minutes sont toujours plusieurs centaines de fois le temps de combat effectif des lutteurs dans bien des cas. Le combat de Takamisakari face à Roho, d’environ une minute, est une éternité au regard de bien d’autres combats qui ne durent que quelques secondes. Les deux lutteurs se choquent au centre du cercle, attrapent le mawashi de l’autre et se poussent, millimètre par millimètre, jusqu’à ce que Roho ne tire Takamisakari vers l’avant et ne le sorte du dohyo par une prise acrobatique. Takamisakari quitte l’enceinte l’air vraiment contrarié ; en fait, il soupire bruyamment, ce que les lutteurs ne font en général pas. Roho, pendant ce temps, rentre chez lui avec l’argent que le sponsor de Takamisakari avait misé sur ce dernier.

Quelques combats plus tard, quand vient le tour de Kaio de combattre, encore plus de porteurs de bannières arpentent le dohyo : 10 cette fois-ci. L’adversaire de Kaio, Iwakiyama, a une mâchoire et un front proéminents qui le font ressembler à Jay Leno (ndt : animateur de talk-show célèbre aux Etats-Unis), sauf que son visage paraît aplati de s’être enfoncé trop souvent dans les têtes de ses adversaires. Au début du combat, les chances paraissent équilibrées, mais lorsque son adversaire perd pied au bord du dohyo, Kaio le repousse avec aisance. Iwakiyama s’écrase quasiment du dohyo surélevé.

Les encouragements atteignent un nouveau sommet. Voir Kaio s’avancer vers une possible promotion au grade de yokozuna est sans conteste ce que les fans sont venus voir. Le combat suivant, qui est aussi le dernier, et qui voit Asashoryu se défaire de son compatriote Mongol Hakuho, en paraît presque anecdotique.

Asafan
16/03/2005, 07h19
Euh, je ne voudrais pas créer une polémique inutile Asafan, mais il me semble qu'Asashoryu n'est pas spécialement tendre non plus avec ses collégues de Heya.
J'ai longuement discuté avec Barbara Ann Klein, de la sumo mailing list, qui connait très bien Asashoryu personnellement et qui l'apprécie beaucoup : Asashoryu est sans aucun doute très dur avec ses camarades de heya, comme il se doit dans la tradition du sumo. Mais ce n'est pas cela qui me dérange chez Ishide, bien que cette tradition-là ne me plaise pas outre mesure. Ce que je n'apprécie pas du tout, ce sont ses plaisanteries d'un goût plus que douteux : celui-ci est un Iraquien, celui-là un pédé, etc, ponctuées par les rires polis ou gras de ses subalternes. Tu avoueras que ce n'est pas d'une grande finesse, Pereboulon! :wink: Par contre, Barbara Ann Klein reconnaît à Asa un grand sens de l'humour et je doute, malgré sa brutalité envers ses collègues, qu'il soit aussi "ras-terre" qu'Ishide.

ps : merci encore à Toonoryu. On voudrait que ça ne s'arrête jamais!!!

Jake
16/03/2005, 08h30
Sorry for posting in English here. I don't know French, but have been plugging some of the entries here into the translator on the Google site to see what you've all been saying about my blog, In the Hall of the Mountain Kings. (Thanks for reading, by the way.) I just wanted to step in here and stick up for Ishide. Yes, I did portray him accurately, and, no, I don't know how Asashoryu or other high-ranking wrestlers behave toward their juniors. But I think I approached this project with a more hard-bitten, realistic perspective than other writers about the sport and I wouldn't be surprised if other wrestlers get a better rap because the person reporting about them takes a more romantic view of the sport.
Ishide treated me decently and I've heard from foreign ameteur wrestlers who work out at the stable where he got his start--and to which he occasionally returns to spend time with the kids who train there--that he's nice to them too. I stick to my analysis that his meanness was the prerogative of his rank. I don't approve of it, but I can't condemn it. Plus, it was Batto, and not Ishide, who called Ishikawa an Iraqi, which just goes to show that insults like those are part of the milieu there.
Anyway, I just didn't want Ishide maligned to badly, especially since my descriptions are what your discussion is based on. And thanks again for reading. And thanks especially to Toonoryu for translating the blog. And sorry again for posting in English. Best, Jacob

skydiver
16/03/2005, 10h03
Thank you so much for your views on the subject Jake.
As a Martial Artist training in a japanese traditional structure I do understand your point. Moreover I do agree with you about who'll take the rap and who will not. And why.
Keep the good job. So long.

Tajoha
16/03/2005, 11h12
Try www.reverso.net for translation, I find it much better ;) !

Sinon, merci pour ces belles précisions Jacob. Effectivement, je pense que c'est plus l'ambiance générale de n'importe quelle heya que le caractère spécifique d'Ishide (en fait, n'importe quel endroit où vous regroupez que de jeunes mâles de 18 à 30 ans je pense).

Et puis, quand on sait que la communication avec eux n'est pas facile (pour les raisons expliquées dans le blog), il est plus simple de faire rire tous le monde avec de grosses ficelles.

Ceci dit, ce n'est que mon avis. Peut être qu'effectivement Asashoryu est autrement plus fin :p !

pereboulon
16/03/2005, 12h38
Je ne doute pas qu'Asashoryu tape mais avec classe et distinction :wink: .

Bon, allez, je plaisante là Asafan. Jacob viens de nous poster un petit commentaire qui met tout le monde d'accord je crois.

By the way, thank you Jacob and keep writing about sumo because you are a master at it. Did you plan to publish a book ? I think your work is good enough to be published.

yomugi
17/03/2005, 15h20
Grandissime. J'ai tout lu d'une traite. Grand merci Toonoryû d'avoir pris autant de ton temps sur cette traduction. Et bravo à Jacob pour ce merveilleux travail.

Euuuh Asafan, avec un shikona pareil et une pote connaissant l'Asashôryû personnellement, comment se fait-il que tu ne l'aies pas déjà rencontré, alors tu fais quoi ? ;-)

toonoryu
17/03/2005, 15h49
Merci yomugi d'avoir apprécié. Tu sais, quand on aime on ne compte pas ses heures, surtout que ça ne m'a pas pris tant de temps que ça... (35 heure à tout casser en deux mois). @+ dès que Jake repostera.

ArnaudB
17/03/2005, 16h00
Pour la traduction, cela ne prends peut être pas trop de temps (si on maîtrise assez la langue) et une bonne part des anglophones pourrait y arriver.
Mais réussir à y ajouter un style aussi vivante, ce n'est pas donné à tout le monde et c'est pour cela que l'on attends tous les nouveaux blogs avec tellement d'impatience :wink:

Asafan
17/03/2005, 18h53
Euuuh Asafan, avec un shikona pareil et une pote connaissant l'Asashôryû personnellement, comment se fait-il que tu ne l'aies pas déjà rencontré, alors tu fais quoi ? ;-)

J'ai échangé quelques mails avec lui, assez basiques, car son anglais l'est aussi, mais très sympas. Et j'ai failli le rencontrer en Mongolie, mais je l'ai juste loupé. Il m'avait envoyé un mail pour me donner sa date d'arrivée à Ulaanbaatar, mais moi je courais la steppe à ce moment-là et je n'ai eu son message que trop tard! :evil: :twisted: De plus, il était en plein préparatif de mariage, et comme c'est le mari qui doit tout organiser.... Mais j'ai rencontré sa mère, son frère Sumiyabazar, son oncle et ses beaux-parents. Sa belle-mère est belle (pas autant que sa femme!) mais fort revêche. Selon les ragots, ce qui l'intéresse avant tout, c'est l'argent d'Asashoryu et sa notoriété.

Voilà pour l'anecdote!!!

yomugi
17/03/2005, 20h04
Ouaaaaah trop fort !!!
La prochaine fois tu m'emmènes dans tes bagages, dis, dis ?...

yomugi
18/03/2005, 14h50
Oh bon ça va, tu veux pas j'ai compris :'-(

A ce propos, tu pourrais peut-être m'aider, connais-tu cette photo magnifique où il galope dans les steppes dans un super costume sur un fond de montagnes ?
Je possède un jpeg de qualité médiocre en format timbre-poste, alors si tu as mieux, je suis grave preneur !

Asafan
18/03/2005, 23h45
J'ai la version format carte de crédit de la photo que tu cherches. C'est guère mieux que le timbre-poste! Mais si elle t'intéresse, il me faut ton adresse e-mail. Envoie-la moi en message privé, si les invités y arrivent. Sinon, inscris-toi :)

Sinon, tu peux voir cette photo sur mon kesho-mawashi virtuel pour l'info-sumo Ichimon à cette adresse : http://setzer.club.fr/infosumo_ichimon/asafan.htm

ça va peut-être te donner envie de t'inscrire!

Désolée, pour la Mongolie, je n'ai pas de place dans mes bagages. Mais par contre, en Mongolie, il y a de la place plus qu'il n'en faut !!! :wink:

nabudetoulouse
20/03/2005, 09h13
salut yomugi, tu trouveras la photo sur ce SITE: http://www.kochinews.co.jp/sumo/rikisifr.htm, mais je te laisse chercher car tu découvriras d'autres photos.

un indice

voici le chapitre sur asa

朝青龍

   ■関連記事 (les basho d'asa et actualité)
   ■「横綱昇進」関連記事 (la photo est ici)
   ■プロフィール
   ■連載「青き龍頂点へ」
   ■連載「青き龍昇る」

sur ce site tu trouveras beaucoup de photos d'asa jeune

Nemosima
20/03/2005, 16h54
Sur le vrai faux blog de Jacques Chirac (http://www.jacqueschirac.org/archives/category/ma-vie-de-president/) il y a un lien, dans la rubrique liens, vers L'antre du roi de la montagne, la traduction française ! Comme quoi Toonoryu va devenir célèbre au plus haut niveau... :D ... mais encore faudrait-il que ce vrai-faux soit un vrai-vrai blog. :wink:

Sous quel pseudo Jacques consulte-t-il Info-sumo.net ? Hoshifransu peut-être ? :lol:

En tout cas Ne me demandez pas comment je suis tombé sur ce site, je n'en sais rien... :roll:

toonoryu
20/03/2005, 17h42
J'étais déjà au courant, Jake a trouvé ce "vrai-faux" blog (qu'il était persuadé d'être authentique, mais il ne lit pas le Français...) il y a deux semaines. Il m'a surtout dit que depuis que le lien existe sur ce blog-là, les connexions sur son blog traduit ont augmenté significativement. Comme quoi, tout est bon à prendre... :wink:

yomugi
24/03/2005, 14h16
Merci Asafan et Nabu, mais il s'agit bien de la photo dont je parlais au format timbre-poste. (oui oui Asa-chan c'est vrai que ça ressemble plus à un format carte de crédit, mais j'ai un écran géant et du coup ça fait tout petit chez moi !)
Et je la voudrais en fond d'écran cette photo !

Ton kesho mawashi est superbe, bravo :-)

yomugi
24/03/2005, 16h19
Ayé asachan j'ai suivi tes conseils et je me suis enregistré :-)
Bon je sais pas trop à quoi ça va me servir vu le peu de temps que j'ai à consacrer à des forums mais bon voilà c'est fait...

toonoryu
31/03/2005, 21h01
Bonsoir à tous, ce soir, une nouvelle livraison de Jacob, mais qui pour une fois consiste en un texte de présentation pour une superbe série de clichés des combats de Kazuya, le lutteur de la Hanaregoma. Le texte de présentation en est le suivant :



Les combats de Kazuya


J'ai passé deux semaines avec les lutteurs de la Hanaregoma beya, dans le quartier Ogikubu de Tokyo, et ce le long de la période précédant le Tournoi de Janvier 2005. Une fois le tournoi entamé, je suis revenu dans la heya pour ressentir en quoi la vie peut y être différente durant des périodes de compétition. Kazyua Hayeshida - l'un des benjamins de la heya - m'a laissé le suivre depuis l'entraînement matinal à la heya jusqu'aux vestiaires du Kokugikan après le combat. Jy ai pris ces clichés.


Lien vers les clichés : http://www.jacobadelman.com/kazshots/

Tajoha
31/03/2005, 21h39
Je trouve dommage le choix du noir et blanc. Mais très belles photos, malgré tout :) !

yomugi
04/04/2005, 16h04
Superbe !

pereboulon
05/04/2005, 10h44
Très belle série de photos. Elles s'accordent bien au texte qui s'attache à rendre compte de la vie des sumotoris sans fioriture. Dans cette optique, le noir et blanc, plus sobre, me semble particulièrement bien convenir.

Toutes les photos sont intéressantes et mériteraient un petit commentaire tellement on aimerait en savoir plus. En fait l'idéal serait un film. Je suis sur que si Jacob se met dans l'idée de faire un documentaire, il nous sortira quelque chose de grandiose digne d'être présenté au festival de Cannes.

Good job.

Asafan
05/04/2005, 14h32
Ayé asachan j'ai suivi tes conseils et je me suis enregistré :-)
Bon je sais pas trop à quoi ça va me servir vu le peu de temps que j'ai à consacrer à des forums mais bon voilà c'est fait...

Super, Yomugi, mais moi c'est Asafan. Asa Chan est la soeur de Jackie :wink:

A part ça, pour la photo, j'ai bien peur qu'elle n'existe pas en plus grand, hélas. Sinon je l'aurais moi aussi comme fond d'écran, tu t'en doutes bien!!! J'ai une autre photo d'Asa à cheval, tirée de sa bio en japonais, mais elle n'est pas beaucoup plus grande. Si ça t'intéresse, fais-moi signe.

yomugi
07/04/2005, 11h45
Oui oui je suis grave preneur, merci !

Non non, "Asachan" (ou Asa-chan) c'est simplement un diminutif affectueux d'Asafan, rien à voir avec le Jackie :-)

yomugi
(plus côté Mifune Toshirô / Kitano Takeshi que Jackie Chan / Jet Li)

Asafan
08/04/2005, 13h55
Oui oui je suis grave preneur, merci !

Non non, "Asachan" (ou Asa-chan) c'est simplement un diminutif affectueux d'Asafan, rien à voir avec le Jackie :-)

yomugi
(plus côté Mifune Toshirô / Kitano Takeshi que Jackie Chan / Jet Li)

J'adore Takeshi Kitano, Toshiro Mifune est sublime, mais j'adore aussi Jackie Chan et Jet Li, donc tout me va! :wink:

Pour la photo, je te la scanne et te l'envoie (où?) dès que j'ai une minute.

toonoryu
17/04/2005, 20h02
A titre info, Jake a fini son blog... fin de l'aventure... :(

pgas2
18/04/2005, 10h28
hmmm...Ok il arrete, mais pourquoi met-il son blog offline?
et ce sans en indiquer la raison?

pereboulon
20/04/2005, 13h44
Peut-être l'arrête t'il pour mieux le reprendre plus tard. Je l'espère tant sa lecture m'a procuré de plaisir.