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Afficher la version complète : Dora Simmons : combats truqués et argent dans le sumo



toonoryu
12/01/2005, 21h17
Bonsoir, voici l'un des derniers articles de Dora Simmons, tiré des liens d'Hoshi (vite, trouves m'en d'autres... :wink: ). Celui-ci met le doigt sur des affaires plus sombres et entache quelques réputations, y compris parmi les plus établies. Enjoy !



Que la lumière soit…

En direct du Ryogoku, Doreen Simmons nous parle de l'argent dans le sumo.

Désolé de ne pas être pile dans le tourbillon de l'actualité, mais étant donné que le sujet est traité comme s'il sortait de nulle part, nous nous devons de vous faire part de la saga du défunt – mais peu regretté – Mr Suga, ancien Onaro oyakata, et ancien sekiwake Kotestuyama, et de son acolyte Mr Hashimoto.

Depuis au moins vingt ans, on parle d'hebdomadaires qui offrent de grosses sommes d'argent à des personnes ayant abandonné leur carrière dans le sumo, après des années passées comme seconds couteaux, et plus particulièrement ceux qui en sont repartis frustrés ou ont été remerciés par leurs maîtres. En d'autres mots, des hommes ayant la haine et des besoins d'argent. Qu'ont-ils à faire pour gagner cet argent ? Quasi systématiquement, être prêts à balancer des noms que l'on insèrerait dans des articles tout-prêts qui traitent des combats arrangés. On parle alors de la Spéciale de l'Epicier (yao-cho), du surnom d'un négociant légendaire, censé avoir introduit cette coutume dégradante dans le monde si pur du sumo. La drogue, les stéroïdes ? Naaan. Quasi inconnus. Le sexe, l'alcool ? Ca fait partie du métier. C'est en fait attendu de la part des lutteurs. Certains pères de famille paisibles ont même été soupçonnés d'avoir monté de toute pièces des liaisons amoureuses extra-conjugales pour éviter que l'on mette en doute leur virilité. Mais des accusations de combats arrangés ? Là, oui, ça fait vendre du papier.

Sauf si vous avez passé les quatre derniers mois en hibernation, vous ne pouvez pas ne pas avoir entendu parler de la mort de messieurs Suga et Hashimoto, décès naturel du au même motif, dans le même hôpital, à quelques heures d'intervalle. Une autopsie a été pratiquée sur l'un d'entre eux, mais pas sur l'autre. Les deux hommes souffraient tous deux de maladies graves, mais pas du poumon qui s'est révélé être la cause de leur décès. Et comme que la police a fait savoir qu'il n'y avait pas de motif flagrant pour enquêter sur aucun de deux décès, l'affaire ne devrait pas pouvoir avoir de suite – et c'est bien là le problème.

Les deux hommes donnaient leur collaboration à une série d'articles pour le Shukan Post, un hebdomadaire à scandale qui se spécialise dans ce type de journalisme. Et qui mieux qu'eux était qualifié pour écrire au sujet du yao-cho ? Dans sa carrière de lutteur de sumo, la réputation de Kotetsuyama était sujette à caution. Dans ses articles, il admet avoir lui-même servi d'intermédiaire et de négociateur dans des combats truqués, tout comme son collègue Hashimoto. Quand il prit sa retraite en 1975, il prit le nom d'oyakata d'Onaruto, et fonda une écurie qui portait ce nom. Il avait un protégé prometteur, Kotesuyama II, dont la réputation était au moins aussi exécrable qu'avait été celle de son mentor. En fin de compte, miné par des problèmes de santé et criblé de dettes, il vendit son myoseki à un homme, et la raison sociale de la petite Onaruto-beya à un autre. Son écurie fusionna avec la toute neuve Kiriyama-beya en janvier 1995, et là fut la fin de sa vie dans le sumo.

Puis, effectuant un retour sur son passé, il semble avoir eu un brusque accès de remords, pas seulement pour lui-même mais aussi pour tous les autres pêcheurs dont il avait encouragé les forfaits. Assisté d'Hashimoto, qui après une carrière moins brillante dans le sumo était devenu l'un des piliers du club de supporters de son écurie, il délivra une série d'articles dans lesquels il accusait pratiquement tous les lutteurs de renom des vingt dernières années – à l'exception de la sacro-sainte famille Hanada (Takanohana, Wakanohana, leur oyakata de père et leur condisciples d'écurie) – d'à peu près tout ce qui était possible, y compris de faits usuels dans le monde du sumo mais qui apparaissent détestables pour ceux qui n'y sont pas accoutumés (comme payer un pourboire généreux à des "people" pour qu'ils viennent à vos réceptions – même si les hommes politiques et les stars de télé en font de même).

A l'attention de tous ceux qui n'avaient pas suivi la saga journalistique, les articles furent rassemblés et compilés dans un ouvrage décousu mais lisible; et l'ancien oyakata Onaruto fut prévu dans une conférence de presse au Foreign Correspondents' Club. Juste avant la date prévue pour cet événement, il fut transporté à l'hôpital où il mourut brutalement.

Oui, indubitablement, tout ça sent mauvais. Mais attendez une minute. S'il a été descendu, pourquoi, je vous le demande ? Ce n'est pas la peine, comme certains l'ont fait, de suggérer qu'on l'a tué pour le réduire au silence. Quel silence ? Il avait déjà balancé tout ce qu'il pouvait, si tant est qu'il y eut des choses à balancer. La série d'articles touchait à sa fin. Leur contenu était déjà rassemblé dans un ouvrage prêt à apparaître dans les rayons des librairies. Tous les correspondants de presse étrangers qui pouvaient lire le japonais étaient déjà au courant de l'histoire. Qui avait intérêt à ce qu'il meure ? La Kyokai réagit en interne en convoquant l'ensemble des lutteurs accusés de s'"être couchés", et les cuisina longuement; elle les déclara ensuite innocents, et engagea depuis des poursuites contre les éditeurs.

Je n'aime pas les mystères, et cette histoire est bien partie pour en rester un, en particulier parce que la police, dans sa grande sagesse, a décidé qu'il n'y a rien de particulier à signaler. Personne ne sort grandi de cette affaire : calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose…

Par un effet de contraste saisissant, nous avons pu avoir concomitamment un exemple de transparence dans l'annonce faite par les services fiscaux – nos amis à tous – que les trois susnommés membres de la famille Hanada, cités en exemple par feu Onaruto comme les brillants parangons de la vertu incarnée du sumo, s'étaient arrangés pour frauder le fisc de quelques quatre cents millions de yens en trois ans. Pour être complètement honnêtes, il faut mentionner qu'une partie était déductible comme frais de fonctionnements. "j'ignorais que les primes en espèces devaient être considérées comme des revenus", aurait dit l'oyakata. On peut concevoir que le talent dans le sumo puisse excuser une certaine aversion pour les mathématiques, mais quatre cents millions de yens, bon dieu, c'est quand même difficile de passer dessus…

Il est établi que les trois quarts de cette somme représentaient le prix du myoseki paternel, le prestigieux nom de Futagoyama, acheté pour lui par son club de supporters. Il était déjà dans la famille de toute manière, le précédent titulaire étant son frère aîné, qui donc a perçu trois cents millions de yens comme pécule de retraite.

L’une des grandes satisfactions à retirer de cette soudaine « glasnost » dans le sumo est que pour la première fois quelqu’un a enfin avoué la valeur actuelle d’un myoseki, et celle-ci s’avère être ce à quoi l’on s’attendait, soit cent millions de plus que ce que les intéressés voulaient bien admettre.

Ce n’est pas la première fois que des inspecteurs du fisc ont une star du sumo dans le collimateur : l’affaire la plus récente s’est déroulée il y a juste un an, quand Kokonoe oyakata, l’invincible yokozuna Chiyonofuji, fut accusé d’avoir omis de déclarer une somme relativement modeste de cent millions de yens. Mais cette nouvelle affaire dévoilée, en ce moment, et qui touche la famille princière du sumo, est un sérieux coup de semonce pour tout l’establishment du sumo. Et, au contraire du marais fétide remué dans toute l’histoire d’Onaruto, elle a de sérieux accents de vérité.

Sakana
13/01/2005, 01h47
Encore un travail d'orfêvre, merci Toonoryu. :) Cela permet à tout le monde de profiter de ces articles très intéressants. :)