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Afficher la version complète : Article de Dora Simmons : dampatsu et myoseki



toonoryu
09/01/2005, 18h23
Ayant exploré les liens obligeamment donnés par l'indiana Jones du forum (j'ai nommé maître Hoshi :wink: ), je vous livre à l'attention des non anglophones la traduction du premier article récupéré. A suivre, des articles sur la superstition dans le sumo, la confection des dohyos, et une interview d'Akebono. Enjoy !
PS : certains points de traduction ont été parfois confus pour moi, nécessitant des bases de civili japonaise et sumoïstique que je ne maîtrise pas toujours. Pour les encyclopédistes du sumo, je suis ouvert à toutes les précisions...


Renaissance

Par Doreen Simmons

C’est un peu comme assister à votre propre enterrement. Votre nom est écrit à l’entrée, il y a des tas d’énormes couronnes posées ici et là, dehors comme à l’intérieur. Vous êtes sur votre 31, et des tas de gens, dont vous ne vous souvenez pas pour beaucoup d’entre eux les avoir jamais vus, viennent dire plein de belles choses sur vous. Vos enfants vous apportent d’énormes bouquets de fleurs. Votre femme, habillée d’un kimono tout neuf dont vous ne voulez surtout pas savoir le prix, reste au fond de la salle, le sourire figé, cramponnant un mouchoir au cas ou. Vous restez assis, immobile, pendant plus d’une heure, tandis que des gens vous prennent de petites mèches de votre chevelure, qui finit enfin par être taillée complètement. Vous disparaissez alors pour la faire retailler convenablement, en laissant le sumo se poursuivre sans vous. Mais vous vous sentez bizarrement soulagé, et impatient d’aller vous saouler avec quelques amis quand tout le monde sera parti.

J’ai déjà écrit sur les cérémonies de retraite précédemment, et sur les difficultés à devenir un oyakata, mais je n’avais jamais eu un aperçu du déroulement global, et vu les choses de l’intérieur. Au moment où j’écris (juillet 1996), trois dampatsu-shiki viennent juste de se tenir, et trois autres sont en train d’être organisés, dont celui du très populaire ozeki Kirishima.

Il en est du sumo comme de la vie ordinaire : on y prépare sa retraite quand on va bien, bien avant que les choses ne prennent un tournant négatif. Pour la plupart d’entre nous, préparer ses vieux jours signifie se dégotter un bon investissement ou un fonds de pension. Pour un sumotori qui a réussi, il s’agit de se trouver un myoseki – l’une de 105 franchises de l’Association de Sumo, chacune d’entre elles portant le nom d’un ancien, i.e. le toshyiori-mei. Plus précisément, il s’agit de trouver quelqu’un qui a un myoseki à vendre quand vous en recherchez un et de se mettre d’accord sur le prix. Ou plutôt de se quereller sur le prix, voire les mensualités. A l’heure actuelle, les sommes tournent autour de 100 à 150 millions de yens.

Pour un étranger, cela passe également par l’acquisition de la nationalité japonaise, car on ne peut devenir oyakata que si l’on est japonais au moment d’annoncer sa retraite. Ce qui explique pourquoi Konishiki se faisait du mauvais sang, il y a maintenant un certain temps, quand sa carrière était à son crépuscule et que sa demande était toujours à l’étude. C’est aussi pour cela qu’Akebono, Musashimaru et le brésilien Ryudo se sont fait naturaliser à temps, cette année.

La condition officielle pour l’obtention d’un myoseki est là pour mémoire : avoir effectué un basho au sein de la makuuchi, la division supérieure, ou 20 bashos consécutifs, ou encore un total de 26, dans la deuxième division, les juryo. Mais de nos jours, ce qui compte c’est l’argent. Il s’agissait dans le temps de donner au doyen de son écurie – ou d’une écurie proche – une somme d’argent raisonnable, et l’on reprenait son nom à l’heure de sa retraite. Mais, avec de plus en plus de candidats pour un nombre fixe de myoseki, les prix ont explosé, et il n’est pas rare qu’elles soient vendues au plus offrant, en dehors de toute considération de relations inter-écuries ou même d’amitiés anciennes.

Pourquoi une telle frénésie se produit-elle désormais autour des myoseki ? Tout simplement parce que les oyakata atteignent presque tous l’âge de la retraite, voilà la raison. Jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, l’espérance de vie moyenne des hommes au Japon était inférieure à 50 ans. Les oyakata mourraient à un rythme raisonnable, et leurs veuves transmettaient le myoseki en sachant que le nouvel oyakata s’occuperait d’elles comme de sa propre famille. Cette année, à l’opposé de cette époque, un seul homme (oyakata Kumagatani) a atteint les 65 ans. Dès lors, personne n’atteindra les 65 ans avant 1999, date à laquelle Tatsunami atteindra la barre fatidique. Et celui-ci a déjà désigné son gendre, Asahiyukata, comme son successeur. En l’an 2000, il y aura un nombre exceptionnel de… quatre retraités.

Des lutteurs en activité louent les myoseki que, prévoyants, ils ont acquis à l’avance ; ils peuvent même ainsi payer leurs mensualités grâce à ce biais. Louer un nom peut par ailleurs donner un peu de temps pour trouver un vendeur. C’est ce que fait actuellement Kirishima : il a emprunté à son camarade d’écurie Terao sa part, portant le nom de Shikoroyama, tandis que des négociations acharnées se déroulent en coulisses pour d’autres parts qui apparaîtraient sur le marché. Un vendeur potentiel se trouve être oyakata Michinoku, ex-Hoshiiwato, qui ne dépassa jamais le rang de maegashira 14, dans les bas-fonds de la makuuchi. Lui a eu la chance d’être là au bon endroit et au bon moment, pour récupérer une toute petite écurie sans personne pour prendre la suite du précédent maître. Aujourd’hui, toutefois, il fait état de problèmes pour la maintenir à flots, financièrement. Il n’a que trois rikishis, ses deux argentins compris. Et, ne possédant pas de salle d’entraînement, il envoie souvent ses hommes s’entraîner à l’Isutzu-beya de Kirishima. Toutefois, son myoseki, même acquis si difficilement, est d’une valeur non négligeable, et les amis de Kirishima étudient d’autres possibilités.

Bon, admettons que le lutteur actif et en pleine réussite ait acheté son myoseki. Il le loue probablement à quelqu’un d’autre en attendant. Combien de temps reste-t-il alors en activité ? Aussi longtemps qu’il le peut sans se déshonorer en étant relégué au delà d’un certain rang. Ce dernier varie en fonction de la brillance de la carrière du lutteur.

Quand ce jour est atteint, le lutteur et son maître en informent l’Association du Sumo et convoquent une conférence de presse. C’est le coup d’envoi pour d’importants changements. Ses revenus plongent, d’un salaire qui incluait non seulement prix spéciaux, distinctions mais aussi tous les scores positifs de sa carrière, au salaire de base des membres de rang inférieur de la Sumo Kyokai. Le changement le plus visible, toutefois, est le passage immédiat des habits japonais aux habits occidentaux. Un costume d’homme d’affaire paraît bizarre sur un corps de sumotori. Encore plus incongru, le chon-mage, le chignon du sumo, qu’il continue de porter jusqu’au jour de la coupe finale, le dampatsu-shiki, où il perd le mage pour toujours.

L’organisation de l’événement prend en moyenne six mois. Kirishima a annoncé sa retraite au dernier jour du basho d’Osaka, le 24 mars. Sa cérémonie de retraite est prévue pour le 1er février 1997, un temps de latence particulièrement long. La raison est à chercher en partie dans le calendrier d’exploitation du Kokugikan. Les cérémonies de retraite prennent place dans la salle permanente de sumo, le week-end suivant chacun des trois bashos organisés à Tokyo (pour ceux qui quittent simplement le sumo, sans devenir oyakata, la cérémonie est tenue dans un hôtel, ou dans le hall souterrain du Kokugikan). Les journées sont accordées en vertu du principe « premier arrivé, premier servi ». le dimanche est le meilleur jour, suivi du samedi. S’il y a un troisième retraité, il doit se contenter du vendredi précédent ou du lundi suivant.

La charge de trouver les sponsors qui assureront le financement des évènements qui marqueront ce « spectacle » appartient au futur retraité lui-même. Tout comme la vente des tickets. Ce n’est pas du sumo, donc pas la peine d’appeler le Kokugikan. Pas plus que son écurie. Dans la pratique, l’épouse du lutteur s’occupe d’une grande partie de l’organisation. Un homme très connu avec pas mal de soutiens vendra l’intégralité des billets des mois avant l’événement. Le tout-venant des lutteurs cherche surtout à vendre au moins le rez-de-chaussée (de riches supporters achètent généralement des rangées entières pour offrir les places à leurs amis ou clients, ce qui fait que nombre des spectateurs n’ont jamais vu de sumo en direct avant cet événement). A l’un des dampatsu les plus récents, les trois quarts des sièges de l’étage étaient vides, alors que des billets étaient disponibles en magasin.

Le programme est peu ou prou toujours identique, même si tous les évènements n’apparaissent pas à chaque cérémonie. On peut compter sur les habituels combats de juryo et de makuuchi, précédés par la cérémonie d’entrée sur le dohyo, car la présence des sekitori est attendue en ces occasions. Mais, s’intercalant entre ces combats, se trouvent une succession de spectacles que l’on voit généralement en tournée mais pas à Tokyo. Pour commencer la journée, un tournoi de makushita pour une petite récompense. Un spectacle qui ravit la foule est le shokkiri, du sumo comique (ndla : Takamisakari ?… :wink: ). Un jeune gyoji et deux lutteurs de rang inférieur, généralement un gros et un maigre, s’amusent à faire tout ce qui est interdit : coups de pieds, coups de poings, cracher de l’eau sur l’autre, discuter les décisions de l’arbitre…, et gagnent une petite somme rondelette pour leur spectacle. Il peut y avoir une démonstration de tokoyama (coiffeur des sumotori) avec un sekitori populaire comme modèle. A la fin, le tokoyama rassemble tranquillement ses affaires et s’en va, tandis que la star s’incline bien bas. Un yobidashi en chef fait une démonstration des différents rythmes de tambours sumos, et cinq ou six makushitas montent sur le dohyo avec des tabliers de cérémonie empruntés, pour en faire le tour en chantant des jinku, les chants traditionnels du sumo. Celui qui se trouve au centre chante à l’aide d’un micro, tandis que les autres font le tour du dohyo, se contentant de faire les chœurs en s’avançant vers le chanteur, puis en reculant. Un pas en avant, un autre, pieds joints, claquements de mains, un pas en arrière, un autre, un pas à gauche, pieds joints ; et on recommence. A des moments précis, on lance un « ah, doskoi, doskoi ! », jusqu’à ce que finalement un chanteur spécialement invité ne monte sur le dohyo pour entonner un jinku spécialement composé qui retrace les hauts faits de la carrière du retraité.

C’est une journée plus courte qu’un tournoi traditionnel. De 11h30 à 16h00, en général les portes s’ouvrent à 11h, avec des possibilités de faire des photos ou la chasse aux autographes dans le hall d’entrée. C’est une journée de gala, mais l’atmosphère festive cache mal le fait que, pour l’Homme du Jour, c’est un peu comme assister à son propre enterrement.

Hoshifransu
09/01/2005, 19h29
Eh ben, merci. Tu as encore fait très fort. Quel travail et quelle qualité de traduction. Bravo. J'avoue qu'en le lisant en anglais, j'étais passé trop rapidement à côté de pas mal d'éléments particulièrement pertinents, en fin de compte.


Jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, l’espérance de vie moyenne des hommes au Japon était inférieure à 50 ans. Les oyakata mourraient à un rythme raisonnable, et leurs veuves transmettaient le myoseki en sachant que le nouvel oyakata s’occuperait d’elles comme de sa propre famille.

C'est vrai que la hausse de l'espérance de vie dans un pays comme le Japon, réputé pour ses nombreux centenaires et qui permet tout du moins aux anciens sumo reconvertis en oyakata d'atteindre des âges avancés, a de quoi poser des problèmes au système de myoseki.


Un spectacle qui ravit la foule est le shokkiri, du sumo comique (ndla : Takamisakari ?… ). Un jeune gyoji et deux lutteurs de rang inférieur, généralement un gros et un maigre, s’amusent à faire tout ce qui est interdit : coups de pieds, coups de poings, cracher de l’eau sur l’autre, discuter les décisions de l’arbitre…

Oui, tu as raison, Takamisakari aurait été très bon dans cet encart spécial alloué au sumo comique pendant les danpatsu, notamment.
L'ennui, c'est que Takamisakari est comique malgré lui, dans des encarts (préparation d'avant-match ou remise de kensho et après match) qui ne sont pas censés être comiques !

Asafan
09/01/2005, 19h33
Wow! C'est comme si on y était! Littéralement haletant!

Merci Toonoryu :D