Sakana
04/03/2006, 12h07
Voici un article publié en octobre dans Courrier International. Je pense qu'il fera réagir.
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Courrier international - n° 782 - 27 oct. 2005
La mondialisation met les lutteurs au tapis
De plus en plus nombreux, les sumotoris étrangers bouleversent les règles d’un sport traditionnel. Un argument de poids pour les partisans de son ouverture tous azimuts.
Le 25 septembre, jour de clôture du Grand Tournoi d’automne de sumo, l’ambiance était survoltée lors de la finale opposant le yokozuna [grand champion] mongol Asashoryu au lutteur bulgare Kotooshu. Le premier a finalement remporté son sixième tournoi d’affilée, mais ce combat décisif était de bon augure pour un sport que l’on dit depuis quelque temps être à un tournant.
Le premier lutteur de sumo étranger du Japon d’après guerre fut Takamiyama. Né à Hawaii sous le nom de Jesse James Walani Kuhaulua, il est arrivé en 1964 dans l’archipel, où il a très vite connu une immense gloire. Le nombre de lutteurs étrangers qui lui ont emboîté le pas a été relativement modeste durant plus de deux décennies, avant de connaître une forte progression dans les années 1990. Aujourd’hui, le sumo professionnel en compte 59, dont 12 en makuuchi, la 1re division, où ils représentent près du tiers des effectifs.
Pendant des années, la voie tracée par Takamiyama a été principalement suivie par des Hawaiiens. Mais, ces derniers temps, l’origine des lutteurs étrangers s’est nettement diversifiée. Aujourd’hui, douze nations sont représentées. Il y en a qui viennent de pays voisins comme la Mongolie, la Corée du Sud et la Chine, mais il y en a aussi d’autres originaires de micro-Etats du Pacifique Sud, d’Europe et d’Amérique du Sud. Et cette mondialisation est en train de changer la face du sumo. Autrefois, les performances de géants hawaiiens comme Konishiki, Akebono et Musashimaru manquaient quelque peu de finesse. L’actuelle génération des lutteurs mongols et européens formés à la lutte dans leurs pays respectifs est différente. Ils utilisent un plus large éventail de techniques et sont plus rapides en attaque comme en défense. Leur présence a en outre un effet stimulant sur les lutteurs japonais. Une nouvelle génération de lutteurs est en train d’émerger, avec des jeunes ayant un style bien à eux comme Kisenosato, 19 ans, qui est resté en lice jusqu’au dernier jour pour remporter le tournoi, et Toyonoshima, un petit lutteur de 1,70 mètre, qui a gagné treize combats d’affilée en deuxième division.
Le sumo s’est internationalisé grâce à la diffusion de ses tournois à l’étranger et aux efforts constants qui ont été déployés pour faire connaître cette tradition dans le monde entier. Aujourd’hui, plus de quatre-vingts pays sont représentés au sein de la Fédération internationale de sumo, une organisation d’amateurs. Mais cette tendance semble marquer le pas depuis qu’il a été décidé, en 2002, de limiter au Japon le nombre de lutteurs étrangers à un par écurie (hormis ceux qui ont été admis avant cette date). Les cinquante-quatre écuries qui existent aujourd’hui ont pratiquement toutes atteint leur quota et rejettent les nouvelles demandes d’admission. Si le Japon veut conserver des lutteurs étrangers de talent, il devra réviser ce quota à la hausse. Non seulement le sumo y gagnera en qualité, mais sa situation financière s’en trouvera renforcée.
Dans le monde du sumo, des voix s’élèvent pour expliquer que la domination des lutteurs étrangers éloigne les fans japonais et fait baisser les recettes. Il est vrai que, depuis que la fièvre du sumo est passée et que l’engouement suscité par Wakanohana et Takanohana [deux frères yokozuna, devenus de véritables stars dans la seconde moitié des années 1990] est retombé, il est rare que le Kokugikan [principal stade de sumo à Tokyo] fasse salle comble en semaine, même lors d’un grand tournoi. Cet été, la tournée à Hokkaido a été annulée, et on n’en prévoit pas non plus pour l’hiver qui vient. Il est donc plus que jamais nécessaire de lancer de nouvelles initiatives pour tenter d’enrayer ce déclin. Cet été, la Fédération japonaise de sumo a recruté pour la première fois des consultants en marketing en vue de doper les ventes de billets pour les tournois et de faire émerger d’autres sources de revenus. Mais, plutôt que de miser uniquement sur la demande intérieure, elle devrait élargir son horizon en développant les contrats de parrainage et de télédiffusion à l’étranger.
Un précieux atout diplomatique pour le Japon
Les lutteurs étrangers ne bénéficient pas d’un traitement de faveur. Ils doivent apprendre une nouvelle langue et s’adapter aux coutumes et aux liens hiérarchiques très particuliers du monde du sumo. Si, après avoir surmonté ces difficultés, ils remportent la victoire dans un tournoi, ne méritent-ils pas qu’on leur rende hommage en jouant l’hymne japonais mais aussi celui de leur pays d’origine ? En tout cas, c’est une idée qui mérite réflexion. L’an dernier, un tournoi spécial a été organisé, en février, en Corée du Sud, puis, au mois de juin, en Chine. L’exhibition de Pékin, la première depuis trente et un ans, a attiré quelque 10 000 spectateurs par jour et reçu un accueil très enthousiaste, à cent lieues de l’hostilité manifestée depuis l’an dernier par les Chinois envers le Japon. En Bulgarie, les brillantes performances de Kotooshu lors du tournoi d’automne ont été diffusées sur tous les petits écrans et traitées comme une affaire d’intérêt national. Autant dire que le sumo est devenu un précieux atout diplomatique pour le Japon.
ASAHI SHIMBUN
Rikidozan
Le monde du sumo avait déjà connu des lutteurs étrangers avant la Seconde Guerre mondiale. Si la plupart d’entre eux étaient des descendants d’immigrés japonais venus du Brésil ou des Etats-Unis, il y avait aussi des lutteurs d’origine chinoise ou coréenne, dont le plus célèbre était Rikidozan. Catcheur légendaire, assassiné en 1963 par un yakuza, Rikidozan était né en 1924 dans l’actuelle Corée du Nord, alors sous le joug du Japon. Adopté par une famille de paysans de Nagasaki, il est devenu sumotori en 1940 et l’est resté dix ans avant de se lancer dans le catch.
Une domination étrangère
Si l’Américain Takamiyama a marqué son époque en devenant, en 1972, le premier lutteur étranger à remporter un tournoi, il n’a toutefois pas réussi à obtenir le titre de champion (ozeki) ni celui de grand champion (yokozuna). En 1974, quatre lutteurs originaires du royaume des Tonga ont tenté, sur l’ordre de leur roi, de s’imposer dans le petit monde du sumo, mais la mort soudaine de leur directeur d’écurie a malheureusement brisé ce rêve.
En 1984, Takamiyama a fondé sa propre écurie et a contribué à l’ouverture du monde du sumo. C’est lui qui a découvert Konishiki, originaire lui aussi de Hawaii, qui fut le premier étranger à obtenir, en 1987, le titre d’ozeki. Pleins d’admiration pour la force de ce colosse pesant plus de 285 kilos, les Japonais l’avaient alors surnommé le “Bateau noir de l’ère Showa”, une allusion aux navires de guerre américains qui, au milieu du XIXe siècle, avaient forcé l’archipel à mettre fin à plusieurs siècles de repli sur soi. Formé également par Takamiyama, Akebono est devenu, en 1993, le premier yokozuna d’origine étrangère, tandis que Musashimaru, hawaiien lui aussi, a obtenu ce même titre six ans plus tard. Depuis le départ à la retraite du yokozuna Takanohana, en janvier 2003, l’archipel n’a plus de grands champions japonais. Avec le retrait de Musashimaru, en novembre de la même année, Asashoryu est le seul lutteur à conserver ce titre prestigieux.
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Courrier international - n° 782 - 27 oct. 2005
La mondialisation met les lutteurs au tapis
De plus en plus nombreux, les sumotoris étrangers bouleversent les règles d’un sport traditionnel. Un argument de poids pour les partisans de son ouverture tous azimuts.
Le 25 septembre, jour de clôture du Grand Tournoi d’automne de sumo, l’ambiance était survoltée lors de la finale opposant le yokozuna [grand champion] mongol Asashoryu au lutteur bulgare Kotooshu. Le premier a finalement remporté son sixième tournoi d’affilée, mais ce combat décisif était de bon augure pour un sport que l’on dit depuis quelque temps être à un tournant.
Le premier lutteur de sumo étranger du Japon d’après guerre fut Takamiyama. Né à Hawaii sous le nom de Jesse James Walani Kuhaulua, il est arrivé en 1964 dans l’archipel, où il a très vite connu une immense gloire. Le nombre de lutteurs étrangers qui lui ont emboîté le pas a été relativement modeste durant plus de deux décennies, avant de connaître une forte progression dans les années 1990. Aujourd’hui, le sumo professionnel en compte 59, dont 12 en makuuchi, la 1re division, où ils représentent près du tiers des effectifs.
Pendant des années, la voie tracée par Takamiyama a été principalement suivie par des Hawaiiens. Mais, ces derniers temps, l’origine des lutteurs étrangers s’est nettement diversifiée. Aujourd’hui, douze nations sont représentées. Il y en a qui viennent de pays voisins comme la Mongolie, la Corée du Sud et la Chine, mais il y en a aussi d’autres originaires de micro-Etats du Pacifique Sud, d’Europe et d’Amérique du Sud. Et cette mondialisation est en train de changer la face du sumo. Autrefois, les performances de géants hawaiiens comme Konishiki, Akebono et Musashimaru manquaient quelque peu de finesse. L’actuelle génération des lutteurs mongols et européens formés à la lutte dans leurs pays respectifs est différente. Ils utilisent un plus large éventail de techniques et sont plus rapides en attaque comme en défense. Leur présence a en outre un effet stimulant sur les lutteurs japonais. Une nouvelle génération de lutteurs est en train d’émerger, avec des jeunes ayant un style bien à eux comme Kisenosato, 19 ans, qui est resté en lice jusqu’au dernier jour pour remporter le tournoi, et Toyonoshima, un petit lutteur de 1,70 mètre, qui a gagné treize combats d’affilée en deuxième division.
Le sumo s’est internationalisé grâce à la diffusion de ses tournois à l’étranger et aux efforts constants qui ont été déployés pour faire connaître cette tradition dans le monde entier. Aujourd’hui, plus de quatre-vingts pays sont représentés au sein de la Fédération internationale de sumo, une organisation d’amateurs. Mais cette tendance semble marquer le pas depuis qu’il a été décidé, en 2002, de limiter au Japon le nombre de lutteurs étrangers à un par écurie (hormis ceux qui ont été admis avant cette date). Les cinquante-quatre écuries qui existent aujourd’hui ont pratiquement toutes atteint leur quota et rejettent les nouvelles demandes d’admission. Si le Japon veut conserver des lutteurs étrangers de talent, il devra réviser ce quota à la hausse. Non seulement le sumo y gagnera en qualité, mais sa situation financière s’en trouvera renforcée.
Dans le monde du sumo, des voix s’élèvent pour expliquer que la domination des lutteurs étrangers éloigne les fans japonais et fait baisser les recettes. Il est vrai que, depuis que la fièvre du sumo est passée et que l’engouement suscité par Wakanohana et Takanohana [deux frères yokozuna, devenus de véritables stars dans la seconde moitié des années 1990] est retombé, il est rare que le Kokugikan [principal stade de sumo à Tokyo] fasse salle comble en semaine, même lors d’un grand tournoi. Cet été, la tournée à Hokkaido a été annulée, et on n’en prévoit pas non plus pour l’hiver qui vient. Il est donc plus que jamais nécessaire de lancer de nouvelles initiatives pour tenter d’enrayer ce déclin. Cet été, la Fédération japonaise de sumo a recruté pour la première fois des consultants en marketing en vue de doper les ventes de billets pour les tournois et de faire émerger d’autres sources de revenus. Mais, plutôt que de miser uniquement sur la demande intérieure, elle devrait élargir son horizon en développant les contrats de parrainage et de télédiffusion à l’étranger.
Un précieux atout diplomatique pour le Japon
Les lutteurs étrangers ne bénéficient pas d’un traitement de faveur. Ils doivent apprendre une nouvelle langue et s’adapter aux coutumes et aux liens hiérarchiques très particuliers du monde du sumo. Si, après avoir surmonté ces difficultés, ils remportent la victoire dans un tournoi, ne méritent-ils pas qu’on leur rende hommage en jouant l’hymne japonais mais aussi celui de leur pays d’origine ? En tout cas, c’est une idée qui mérite réflexion. L’an dernier, un tournoi spécial a été organisé, en février, en Corée du Sud, puis, au mois de juin, en Chine. L’exhibition de Pékin, la première depuis trente et un ans, a attiré quelque 10 000 spectateurs par jour et reçu un accueil très enthousiaste, à cent lieues de l’hostilité manifestée depuis l’an dernier par les Chinois envers le Japon. En Bulgarie, les brillantes performances de Kotooshu lors du tournoi d’automne ont été diffusées sur tous les petits écrans et traitées comme une affaire d’intérêt national. Autant dire que le sumo est devenu un précieux atout diplomatique pour le Japon.
ASAHI SHIMBUN
Rikidozan
Le monde du sumo avait déjà connu des lutteurs étrangers avant la Seconde Guerre mondiale. Si la plupart d’entre eux étaient des descendants d’immigrés japonais venus du Brésil ou des Etats-Unis, il y avait aussi des lutteurs d’origine chinoise ou coréenne, dont le plus célèbre était Rikidozan. Catcheur légendaire, assassiné en 1963 par un yakuza, Rikidozan était né en 1924 dans l’actuelle Corée du Nord, alors sous le joug du Japon. Adopté par une famille de paysans de Nagasaki, il est devenu sumotori en 1940 et l’est resté dix ans avant de se lancer dans le catch.
Une domination étrangère
Si l’Américain Takamiyama a marqué son époque en devenant, en 1972, le premier lutteur étranger à remporter un tournoi, il n’a toutefois pas réussi à obtenir le titre de champion (ozeki) ni celui de grand champion (yokozuna). En 1974, quatre lutteurs originaires du royaume des Tonga ont tenté, sur l’ordre de leur roi, de s’imposer dans le petit monde du sumo, mais la mort soudaine de leur directeur d’écurie a malheureusement brisé ce rêve.
En 1984, Takamiyama a fondé sa propre écurie et a contribué à l’ouverture du monde du sumo. C’est lui qui a découvert Konishiki, originaire lui aussi de Hawaii, qui fut le premier étranger à obtenir, en 1987, le titre d’ozeki. Pleins d’admiration pour la force de ce colosse pesant plus de 285 kilos, les Japonais l’avaient alors surnommé le “Bateau noir de l’ère Showa”, une allusion aux navires de guerre américains qui, au milieu du XIXe siècle, avaient forcé l’archipel à mettre fin à plusieurs siècles de repli sur soi. Formé également par Takamiyama, Akebono est devenu, en 1993, le premier yokozuna d’origine étrangère, tandis que Musashimaru, hawaiien lui aussi, a obtenu ce même titre six ans plus tard. Depuis le départ à la retraite du yokozuna Takanohana, en janvier 2003, l’archipel n’a plus de grands champions japonais. Avec le retrait de Musashimaru, en novembre de la même année, Asashoryu est le seul lutteur à conserver ce titre prestigieux.