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Afficher la version complète : Interview d'Asashoryu pour Metropolis



toonoryu
25/02/2006, 14h55
J'avais chopé cette interview il y a quelques temps (avant le dernier basho), mais n'avais jamais eu le temps de m'y pencher. Ayant eu une heure de libre, la voilà... Enjoy !



Entretien avec un Mongol



Alors qu’Asashoryu combat pour accroître sa série record de victoires, Metropolis est allé poser des questions aux yokozuna sur les bébés, les Bulgares et Oulan-Bator.

Dans la catégorie des grands champions, on aura du mal à trouver plus grand que D. Dagvadorj. Parmi plus de 700 lutteurs combattant dans le sumo professionnel, Asashoryu est seul au sommet de la pyramide de ce sport japonais sacro-saint. L’unique yokozuna du sumo est Mongol.

On a connu dans l’histoire du sumo des périodes où coexistaient trois, voire quatre yokozuna. En 1991, Choyonofuji, son camarade de heya Hokutoumi, Onokuni et Asahifuji constituaient un sacré quatuor de costauds. Mais de nos jours, personne ne partage avec le yokozuna les obligations inhérentes à cette position, aussi avons nous été très heureux qu’il accorde un peu de temps à Metropolis pour s’entretenir avec lui dans un hôtel de Tokyo.

Alors même qu’il combat dans le tournoi du Nouvel An, Asashoryu sait que sa place dans le panthéon du sumo lui est assurée, après la « triple couronne » qu’il décrocha en novembre à Fukuoka, établissant trois records : les six basho de l’année, sept d’affilée, et un nouveau record de 84 victoires (sur 90 possibles) en une seule année, deux de plus que quiconque (le « quiconque » en question étant en la circonstance Kitanoumi, l’actuel président de la Kyokai, qui remporta 82 victoires en 1978).

Asashoryu est issu d’une famille de lutteurs de talent. Son père, Dolgorsuren (le D. initial de son nom) était un champion de lutte mongole, et ses deux frères aînés, Sumyabazar et Serjbudee, ont également remporté des titres. Sumyabazar représenta la Mongolie en lutte libre lors des Jeux Olympiques de Sydney, et quatre ans plus tôt à Atlanta, où il était porte-drapeau de sa nation. Plus tard, les deux frères sont passés sur le circuit du K1, où Serbudjee combat toujours sous le pseudonyme du Loup Bleu (Sumyabazar a mis fin à sa carrière).

« Quand j’étais petit, j’étais sûr que je les battrais un jour », nous dit Asashoryu, visiblement très heureux de parler de son pays et de sa famille « mais en grandissant j’ai pensé que je n’arriverais pas à les rattraper, et j’ai donc choisi de plutôt pratiquer le judo. Un an après je gagnais une compétition ».

Cette victoire décide de son sort. Parmi les spectateurs de la compétition ce jour-là, se trouve le proviseur du Meitoku Gijuku, un internat situé près de Kochi, sur l’île de Shikoku. Meitoku est devenu au fil des ans le tremplin pour les carrières d’un certain nombre de sportifs étrangers, dont le footballeur brésilien Alex Santos et le compatriote et camarade de heya d’Asashoryu, Asasekiryu.

« On m’a emmené rencontrer le proviseur ce soir-là. Il m’a demandé si je serais intéressé de faire du sumo. Et donc, à 16 ans, je suis arrivé au Japon et ai commencé le lycée » se souvient Asashoryu, qui ignore alors presque tout de ce pays, mis à part quelques vieux films japonais vus à la télévision. Dont certains l’ont laissé avec quelques craintes erronées alors qu’il traverse la mer.

« J’avais dans l’idée que comme c’était une île elle pouvait couler dans l’océan », nous dit-il dans un éclat de rire, se référant au film de Nihon Chinbotsu de 1973, dans lequel un Japon secoué par les tremblements de terre échappe de peu à ce sort. « Je devais être un peu naïf ».

Rassuré sur le fait que le Japon n’est pas en danger de s’évanouir au beau milieu des flots, Asashoryu doit faire face à un autre défi, l’apprentissage de la langue, une tâche pour laquelle les Mongols ont prouvé leurs aptitudes.

« J’ai eu quelques difficultés jusqu’à ce que je sache suffisamment parler pour me faire des amis. Meitoku avait une section internationale comprenant des étudiants d’Australie, du Canada, des Etats-Unis et d’autres endroits. Ils s’entendaient tous bien entre eux, mais mon anglais n’était pas assez bon ; nous ne pouvions nous comprendre qu’en japonais. Mais en dépit de ces problèmes de communication, ils ont tous été sympas avec moi. J’ai pu discuter en japonais au bout d’un an ou deux, mais il m’a véritablement fallu quatre an pour maîtriser totalement la langue ».

Le sumo est unique dans les sports de combat en ce qu’il se base bien plus sur une puissante poussée frontale plutôt que sur le tirage de son adversaire, et la transition d’avec la lutte mongole n’a donc pas été si facile. Une certaine masse est également essentielle, tant qu’on n’est pas bien trop lourd. Un centre de gravité abaissé a également son importance.

« Au début, mon sumo n’était pas bon du tout. Déjà, j’étais (relativement) petit. Quand je suis arrivé au Japon, je ne pesais que 82 kg. Aujourd’hui, je tourne autour de 140-145. il m’a fallu environ six mois pour commencer à produire du bon sumo, mais quand j’ai commencé à comprendre le truc, je suis devenu de plus en plus puissant ».

La chance est toujours avec Asashoryu. Le proviseur du lycée et l’entraîneur de sumo, tous deux diplômés de la prestigieuse université Kinki, ont des liens avec l’oyakata de la Wakamatsu-beya, un ancien champion universitaire passé chez les pro qui, sous le shikona d’Asahio, atteignit le grade d’ozeki en 1983. L’oyakata, dont le nom et celui de sa heya ont changé pour Takasago depuis, se trouve alors à Kochi pour superviser le tournoi inter-écoles.

« Je n’avais jamais entendu parler de lui » avoue Asashoryu. « Les seules célébrités dont j’avais entendu parler étaient Akebono, Chiyonofuji et Konishiki. Bref, on m’a emmené pour le rencontrer et discuter de la possibilité de rejoindre la heya en mars suivant, mais j’ai pris ma décision dans la nuit et le jour suivant je suis parti pour Tokyo avec l’oyakata ».

L’oyakata lui donne le nom d’Asashoryu, Asa d’après son propre nom, et Shoryu, qui veut dire « dragon bleu ». En dépit de son expérience de sumo en milieu scolaire, l’entraînement à plein temps se révèle un choc pour le jeune homme. « Une heya de sumo est quelque chose de totalement original, rien ne peut véritablement y préparer. C’est vraiment très dur. C’est un type de vie en communauté qui n’a pas beaucoup changé [au cours des siècles], je crois. Dans une heya, il faut obéir aux anciens – ils vous punissent si vous faites la fête ou que vous tirez au flanc, et vous n’avez le droit que d’encaisser. Mais si vous donnez tout ce que vous avez, vous pouvez réussir ».

La réussite d’Asashoryu intervient en un temps record : après ses débuts en 1999, il ne lui faut que douze tournois pour atteindre la division reine, la makuuchi (record bientôt battu par Kotooshu avec onze tournois) ; 22 tournois pour devenir ozeki (battu désormais par les 19 de Kotooshu) et 24 pour remporter son premier tournoi. Il est promu yokozuna le 30 janvier 2003, rejoignant le samoan d’origine Musashimaru au sommet alors même que le dernier yokozuna japonais, Takanohana, tire sa révérence.

La domination des yokozuna étrangers a quelque peu froissé l’establishment conservateur du sumo. Pour ne pas arranger les choses, le lutteur qui a le plus de potentiel pour défier les deux ans de domination d’Asashoryu, Kotooshu, est Bulgare. « Japonais ou non-Japonais, cela n’a pas d’importance. Le sumo se développe. Nous (les non-Japonais) devons faire de notre mieux pour franchir les obstacles. Kotooshu réussit très bien et a produit beaucoup d’efforts ».

Kotooshu, 22 ans, désormais promu ozeki, a battu deux fois Asashoryu en 2005, et en septembre est passé à un combat de la victoire dans le tournoi d’automne avant de perdre face au Mongol en kettei-sen. « A travers les sports, les pays se rencontrent – les sports sont des ponts entre eux. Aujourd’hui, les Japonais se sentent plus proches de la Bulgarie. Dans le monde entier, il n’y a plus de races dans les sports, de blancs ou de noirs. Le sport n’a pas de frontières », nous dit Asashoryu.

Dans le cadre de la politique d’expansion internationale du sumo, Asashoryu et 37 autres rikishi se sont rendus à Las Vegas pour un tournoi exhibition à l’automne, où celui-ci a été impressionné par l’enthousiasme des fans qui se levaient et applaudissaient à chaque combat. « Ils adorent voir des crochetages et des projections, et on a un petit peu fait en sorte d’amuser la galerie. A un moment, j’ai entendu quelqu’un crier ‘vas-y le yokozuna ! j’ai misé cent dollars sur toi !’ J’ai vraiment passé un bon moment ».

Au tournoi actuel, sur les 42 rikishi de la division supérieure, 12 sont étrangers, dont onze issus de pays anciennement sous domination soviétique (le douzième, Kasugao, est de Corée du Sud).Parmi eux, Kokkai, de Géorgie, Roho et Hakurozan, Russes, et six autres Mongols : Hakuho, Kyokutenho, Tokitenku, Asasekiryu, Ama et Kyokushuzan.

Pour expliquer le succès de ses compatriotes, Asashoryu invoque la dureté des conditions de vie en Mongolie, où même les enfants doivent travailler. Dans la banlieue d’Oulan-Bator, dans les campements de ger (tentes) et de maisonnettes, c’est la tâche des enfants que d’aller chercher l’eau à la pompe, et même le jeu a des côtés sérieux, les enfants imitant ce que font les adultes durant leur travail, à leur échelle. « C’est à cause de ça que les rikishi Mongols sont forts. On peut critiquer le travail des enfants, mais aider les adultes est très banal et normal en Mongolie. C’est quelque chose que les enfants font de leur propre chef. Ils copient ce que font les adultes parce que c’est naturel de le faire. Aider en travaillant est le premier pas pour devenir un adulte responsable ».

« De nos jours, il y a tous ces jeux vidéos, avec les enfants qui jouent seuls et ne font que d’entraîner leur pouce… mais en général les enfants mongols élevés de manière traditionnelle donneront tout ce qu’ils ont dans un travail. Si vous offrez un bonbon à un enfant en l’échange d’un travail à faire, il va y mettre un effort tel qu’il pourrait mériter une centaine de bonbons ».

A 25 ans, Asashoryu a déjà gagné plus que sa dose de bonbons, et semble bien être au faîte de sa puissance. Néanmoins, il se refuse à trop parler d’avenir.

« On va d’un tournoi à l’autre, sans penser plus loin, de la même manière que pendant le tournoi, on agit au jour le jour », nous dit-il, ajoutant, pour ce qui concerne les bonbons, qu’il « ne faut pas oublier que beaucoup de joueurs de base-ball et de footballeurs gagnent bien plus que nous ».

Le plus grand bonheur d’Asashoryu est sa famille. En 2002, il a épousé la Mongole de son cœur, Tamir, dont il a eu une fille et un garçon (« je n’arrête pas de souhaiter pouvoir rentrer plus tôt »). Mais dans le sumo, même s’il insinue parfois dans les media qu’il ne prend pas l’étiquette et la hiérarchie trop au sérieux, Asashoryu reste aussi déterminé que jamais, au point que ses rivaux potentiels sont peu enjoués à l’idée de s’entraîner avec lui.

« Oui, ça a été plutôt tranquille », dit-il après une pause. « Mais j’y vais franco. Quand je serai plus vieux et que je me souviendrai de cette époque, je ne veux avoir aucun regret. Je veux savoir que j’ai donné tout ce que j’avais ».

kitano
26/02/2006, 02h08
Merci encore une fois toonoryu pour cette nouvelle traduction! Je connaissais pas en plus Metropolis. Très sympa comme découverte ce magazine.

konishiki
26/02/2006, 10h27
encore une fois c' est du grand toonoryu !
et merci au yokozuna pour son sumo d' exeption et le bonheur qu'il me procure quand je le vois combattre!

merci beaucoup encore une fois toonoryu !

Satori
26/02/2006, 15h11
Beaucoup de reconnaissance à toi Toonoryu pour cette superbe traduction. C'est vraiment super sympa de ta part de nous faire profiter de ton talent et de ces excellents articles. Merci! :D

Satori

Asafan
28/02/2006, 15h16
Ce post m'avait échappé, je suis ravie de l'avoir découvert. Merci, Toon, encore une fois, de tes superbes traductions.

J'espère que cet interview aidera à rendre Asashoryu plus sympathique à ses nombreux détracteurs. :wink: