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Afficher la version complète : votre avis sur mon lutteur favori : konishiki



konishiki
22/02/2006, 10h29
bonjour à toutes et à tous, j' aimerai avoir votre avis sur konishiki :
sa carriere
son sumo
le personnage
le role qu' il a tenu dans le sumo

j'espere que vous serez nombreux à me donner votre opinion!

un grand merci d'avance !

toonoryu
22/02/2006, 10h35
Mon avis ? Sans sa blessure qui l'a tenu éloigné des dohyo et l'a fait monter d'un poids titanesque à un poids éléphantesque, Konishiki aurait pu avoir une autre carrière... (je n'imagine même pas la taille et le poids de la tsuna qu'on aurait du lui confectionner...). A 240/250 kg, il serait resté très difficilement prenable. Le destin en a voulu autrement, mais c'est un personnage qui est resté éminemment sympathique, et n'a pas pris le virage un peu plus contestable que son compatriote Akebono (je préfère oublier le K1 et me souvenir de son regard de tueur... que je retrouve parfois chez Roho).

skydiver
22/02/2006, 12h04
La jovialité et la simplicité de l'ex ozeki continuent à faire le bonheur des plateaux TV au Japon.
Malgré sa retraite du dohyo on continue à le voir partout, surtout dans la publicité.
Les CD dont il est l'auteur se vendent toujours bien et il reste un des étrangers ayant le mieux réussi son intégration au Japon.

Comment ne pas apprécier le personnage? :)

Kaiomitsuki
22/02/2006, 12h44
La très grande majorité des membres du forum n'a jamais vu Konishiki dans ses oeuvres.
Seules ses fiches sur le net peuvent nous en apprendre plus sur lui... et donc pour nous il reste surtout le plus lourd rikishi de l'histoire, le premier Ozeki étranger (sauf erreur de ma part).
Ses confrontations face à Kirishima sont légendaires.... et ses affrontements face à Mainoumi (le plus léger) ont fait le bonheur des photographes du monde entier

Personnellement je l'ai découvert dans des DVD et K7 (merci Hoshi :wink: ) et effectivement c'était quelque chose que de le voir sur un Dohyo. Un seul mot IMPRESSIONNANT


http://www.sumoforum.net/forums/uploads/post-268-1138380951_thumb.jpg
http://www.sumoforum.net/forums/index.php?act=Attach&type=post&id=963/Konishiki_at_tachi_ai.jpg
http://gfx.dagbladet.no/dinside/2002/07/23/fettsumo.jpg

Chicconofuji
22/02/2006, 12h49
-Sa carriere? La plus rapide ascension de l'histoire du sumo il me semble.
Un tres bon ozeki qui a posé pas mal de problemes à la legende Chiyonofuji, par la suite a frisé le grade supreme...

-Son sumo? Un sumo de pur attaquant, il se servait admirablement de son avantage de masse musculaire et surtout graisseuse. Avait beacoup de difficulté contre les poids "plumes" comme Kirishima et surtout Mainoumi.

-Son personnage? Un joyeux luron qui a fait (et fait toujours) le plaisir de ces nombreux fan, sa bonne bonne humeur est tres bien exploité par l'industrie du disque et de la pub!!

-Son role? A été le premier gaijin ozeki, ce qui a ouvert la voie à Akebono, dont il fut le mentor (ce que l'on peut voir dans une des videos presente sur ce site).

kitano
22/02/2006, 13h38
Je ne le connais personnellement quasiment que par le livre de Kirishima. Konishiki et lui avaient des styles, des morphologies et des progessions dans le banzuke très différentes (sauf à la fin), mais ils étaient les meilleurs amis du monde à la fin de leur carrière. Kirishima raconte à quel point être ozeki déchus pour les deux (attitude minoritaire à l'encontre du principe de "finir en beauté" contre lequel Kirishima se révolte lui préférant l'idée de "continuer tant qu'on a la flamme pour le dohyo", concept qui semblait être partagé par Konishiki) les a rapproché intimement dans une sorte de relation amicale basée sur une complicité ineffable.

Pour ce qui des combats, Kirishima et Konishiki se sont rencontrés une quarantaine de fois (nombre à vérifier) ce qui ne doit pas être loin d'être un record. Quant au style, les posts précédents sont assez clairs. Konishiki était connu pour être imbattable de face et qu'il fallait se désaxer pour arriver à le vaincre (dans le docu disponible sur info sumo au sujet de Konishiki et Kirishima, les deux bonhommes sont plus prolixes à ce sujet).

Voilà, si ce n'est pas déjà fait, je te conseille donc fortement de lire la biographie de Kirishima car le sympathique géant hawaien y tient une place de tout premier ordre.
Tiens, puisqu'on y est, un petit cadeau pour toit konishiki :wink::ici (http://www.banzuke.com/~movies/Tengoku_Kara_Kaminari.mp3)

skydiver
22/02/2006, 16h22
Je l'ai vu combattre au Kokugikan (Tokyo) alors qu'il était déjà Ozeki. Lorsqu'il est passé près de moi j'ai pris conscience de la masse titanesque du bonhomme; impressionnant.
Son arrivée était toujours ponctuée d'applaudissements et on sentait la sympathie dont il bénéficiait auprès de tous.
Quand il tombait c'était un tremblement de terre!

Selon moi, il faut surtout saluer sa volonté, son fighting spirit et sa courtoisie.

Kotononami
22/02/2006, 17h03
Konishiki est le lutteur qui m'a véritablement donné envie de m'interesser au sumo lorsque je le voyais sur Eurosport en 95-96 , alors qu'il était déja en fin de carrière , qu'il végétait en milieu de tableau des maegashira et qu'il accumulait les défaites... Il n'était presque plus mobile , lâchait assez rapidement ses combats etc... J'avais une tendresse toute particulière pour ce mastodonte en déclin et j'attendais avec impatience tous ses combats à l'époque. Je regrette , tout comme notre ami Hoshi , la quasi disparition de ce type de gabarit dans le sumo professionnel. J'espère qu'on peut encore espérer avoir à l'avenir un retour de quelques poids-lourds au plus haut niveau.
http://yaplog.jp/nabisuko/img/27/konishiki2.jpg

Satori
22/02/2006, 20h09
Tiens, puisqu'on y est, un petit cadeau pour toit konishiki :wink::ici (http://www.banzuke.com/~movies/Tengoku_Kara_Kaminari.mp3)
Bon sang Kitano, c'est une sacré surprise!

Israel Kamakawiwo`ole était déjà l'un de mes chanteurs favoris à travers son fabuleux medley "Somewhere over the rainbow", mais là il crève carrement le plafond! :D Un hymne aux rikishi hawaiiens, rien que ça!

Ben je sais bien que la surprise était dédiée à Konishiki, mais je te remercie quand même d'avoir pointé du doigt cette excellente surprise! ;) :D

Satori

Terarno
22/02/2006, 23h18
Konishiki en train de chanter l'hymne américain avant un match de NBA, je crois que c'était en 2003 :
http://img60.imageshack.us/img60/6851/konishikinba5mj.jpg

Hoshifransu
22/02/2006, 23h29
Le coup de foudre.
Dès que je l'ai vu sur France Télévision, lors d'une retransmission exceptionnelle de jungyo à Paris, en 1995, ce fut le coup de foudre.

Coup de foudre et fascination : comment un type qui pesait à ce moment-là pas loin des 285 kilos, pouvait-il compter, exister dans un sport ?

Cela allait d'ailleurs bien au-delà du sport. Konishiki, l'hawaiien au physique surnaturel, démesuré, surhumain, donnait au sumo un côté légendaire en cours, art hors norme, inclassable.

Même si les puristes considèrent que le véritable sumo, c'est le yotsuzumo, donc pratiqué par des lutteurs agiles, techniques (ou tout du moins, on les imagine d'une corpulence permettant un yotsuzumo fluide) je continue cependant de penser que le sumo ayant toujours permis aux poids très lourds partisans de l'oshizumo d'exister, alors avec Konishiki, on avait poussé les limites du concept au maximum !
De même qu'avec les énormes Akebono et Musashimaru, l'oshizumo s'affirma comme jamais auparavant.

http://www.haginet.ne.jp/users/tawaraya/sakuhin/gazou/konisiki.jpg

J'ai également toujours considéré Konishiki comme un étendard possible pour les personnes obèses, souvent discriminées, mal considérées un peu partout, notamment dans le monde du travail où les gros passent souvent pour des feinéants potentiels aux yeux des recruteurs.
Or, quel beau contre-exemple que l'irrésistible puissance dégagée par Konishiki et terrassant les plus doués techniciens.

Hélas, on ne verra sans doûte plus jamais d'hawaiiens dans le sumo professionnel. Peut-être les japonais ne voulaient-ils pas voir le sumo devenir une sorte de foire aux monstres ? :lol:
Malheureusement, pour ceux qui ont aimé, admiré Konishiki puis Akebono et Musashimaru, il est bien difficile pour ne pas dire impossible de se contenter du sumo actuel qui revient à des dimensions (corpulences) bien trop conventionnelles ...
Vive les rediffusions ! :roll:

kitano
23/02/2006, 18h06
Tiens, puisqu'on y est, un petit cadeau pour toit konishiki :wink::ici (http://www.banzuke.com/~movies/Tengoku_Kara_Kaminari.mp3)
Bon sang Kitano, c'est une sacré surprise!

Israel Kamakawiwo`ole était déjà l'un de mes chanteurs favoris à travers son fabuleux medley "Somewhere over the rainbow", mais là il crève carrement le plafond! :D Un hymne aux rikishi hawaiiens, rien que ça!

Ben je sais bien que la surprise était dédiée à Konishiki, mais je te remercie quand même d'avoir pointé du doigt cette excellente surprise! ;) :D

Satori

C'est vrai que c'est une chanson bien sympathique... Difficile de ne pas avoir le refrain dans la tête après l'avoir écouté! Content que ça te plaise Satori! :)

Dans le même état d'esprit, j'ai vu que Konishiki était l'un des seuls rikishi ou ex-rikishi à avoir son site perso en anglais. Voici l'adresse: http://www.konishiki.net/eng/index.html
On y parle très peu de sumo mais on peut laisser des messages à Konishiki sur le board et il répond assez souvent.

Pour ce qui est du sumo, voici un article intéressant de 1992 intitulé "Meat Bomb" où l'auteur retrace la vie et la carrière de Konishiki. Il y raconte ses débuts difficiles dans l'heya (classique, je sais, mais toujours poignant) et les mouvements de haine à son égard qui ont accompagné sa montée dans le banzuke. C'est ici (http://home.att.ne.jp/red/sumo/homed.html#sale).

konishiki
23/02/2006, 18h40
juste un petit merci à tous pour vos commentaire et petits cadeaux ,je me régale !

Konosato
23/02/2006, 20h52
Je n'ai jamais été un grand admirateur des "mastodondes" hawaïens, mais pour Konishiki j'ai toujours eu un petit faible. Ce n'était pas particulièrement à cause de son style de combat et pas non plus à cause de son poids, mais surtout pour l'immense volonté qu'il a eu pour surmonter toutes les oppositions, blessures et revers (et il y en a eu) qui ce sont dressés sur son chemin, et aussi malgré tous ces déboires, sa force de caractère pour continuer et ne pas baisser les bras. Il a dû affronter au début de sa carrière en Makuuchi, beaucoup d'opposition de la part des japonais qui ne voulaient pas qu'un étranger brûle les étapes et la politesse aux nippons. A l’Aki 84, on lui a volé le Yusho en « guidant » la victoire d’un M12 (Tagaryu). Konishiki (M6W) avait battu les deux Yokozuna (Chiyonofuji et Takanosato), ainsi qu’un Ozeki. Il a attendu deux années aux portes du rang d’Ozeki, toujours stoppé par des blessures. On lui a refusé le titre suprême en 1992 avec des arguments tordus (tordus comme un sac plein de cornes de chèvres :D ). Après 39 Basho comme Ozeki, pas de résignation, il accroche encore 24 tournois comme Maegashira. Et toujours ces blessures, qui l’empêchent de s’entrainer et qui le font souffrir lors des Basho. Et, c’est dans cette période qu’il deviendra quasiment le chouchou du public, le héros tragique de la scène sumoïstique.

C'est Konishiki qui à fait la percée décisive pour l'acceptation des étrangers dans le monde du Sumo, il a porté à lui tout seul tout le poids de ce processus. C'est un vrai Samourai, un battant, qui ne se laisse pas abattre par les revers.

Kaiomitsuki
23/02/2006, 21h19
Pour ce qui est du sumo, voici un article intéressant de 1992 intitulé "Meat Bomb" où l'auteur retrace la vie et la carrière de Konishiki.
C'est SportsIllustrated qui a publié cet article... Pour retrouver exactement l'article d'origine et donc avec les photos :wink: cliquez sur le lien en bas... Vous tomberez sur mon site perso de Kaio et en bas de la première page vous aurez le lien vers l'article d'origine.

Au sujet de cet article "Meat Bomb" que j'ai mis en ligne voilà un an environ, je sais que Toonoryu avait fait une traduction partielle (ou complète). Si quelqu'un a le lien !!? Ou si Toonoryu tu lis ce message, et si les articles de SumofanMag ne te prennent pas trop de temps, je serais intéressé de mettre en ligne une version française de cet article sur Konishiki. Merci d'avance :wink:

toonoryu
23/02/2006, 21h32
Voilà... (notez que c'était une de mes premières traductions, il y a donc quelques imperfections...)



"La Bombe de Chair"

Une nouvelle fois, le Japon est menacé par un maraudeur grand comme une montagne et qui écrase tout sur son passage. Une nouvelle fois, les éclairs suivant le tumulte de ses pas ont embrasé le pays des ruelles d’Osaka au château Atami de Nagoya. Et une nouvelle fois les maîtres de ce pays insulaire font tout pour l’arrêter. Seulement cette fois-ci, l’ ennemi n’est pas un saurien cracheur de feu de 50 000 tonnes, nommé Godzilla. Non, aujourd'hui il s’agit d’un être humain, un lutteur de sumo surnommé la Bombe de Chair.

Godzilla, si vous vous souvenez bien, était ce monstre engendré par les radiations nucléaires qui vint sur l’archipel après avoir été libéré par des scientifiques américains. La Bombe de Chair, dont le véritable nom est Salevaa Atisanoe, et qui combat au Japon sous le pseudonyme de Konishiki, est un monstre d’origine hawaïenne qui, à la manière d’un surfeur, a attrapé la vague du sumo alors qu’il était peinard à Waikiki. « Quand je suis parti de chez moi pour Tokyo en 1982, je ne connaissais pas le sumo » explique le premier non-Japonais à avoir réussi à atteindre les plus hauts grades de cet obscur sport multiséculaire. « En fait, je ne savais même pas que Godzilla avait atteint les côtes japonaises. A cette époque je m’intéressais plus aux séries policières comme Hawaï Police d’Etat ».

Il y a aussi de légères différences entre les deux. Konishiki (prononcez Ko-nish-ki) est particulièrement poli. Il s’incline respectueusement, particulièrement devant ses supérieurs, son comportement est empreint de solennité. « Godzilla était formidablement mal élevé » remarque Michael Browning, un correspondant du Miami Herald pour l’Extrême Orient. De plus, alors que Godzilla craignait les lignes à haute tension, Konishiki lui se révèle lors de face à face électriques. Cependant, comme l’indique Browning : « les deux ont de l’estomac à revendre ».

Pour ce qui concerne le système digestif, aucun athlète n’arrive à égaler Konishiki. Il mesure en effet 1 m 85 et pèse 263 kg : Il a pour ainsi dire la forme d’un cube. Enorme masse molle et flasque, il pèse pratiquement 80 kg de plus que le lutteur de sumo ordinaire, 45 de plus que son plus pesant rival et 20 de plus que la famille japonaise moyenne. « Ces 263 kg sont trompeurs » dit Konishiki. « 20 kg sont toujours en train de se secouer ». Une quantité de grands morceaux de chairs protubérants sont accrochés autour de son corps. Ils partent de sa poitrine, se déversent sur tout son corps, ondulant autour de ses bras ou de ses jambes. Le ventre de Konishiki est si imposant que vous pourriez cacher une dinde entière dans son nombril. Sa carcasse semble se déplacer en grandes sections : lorsqu’il se retourne trop rapidement, le reste de son corps a besoin de quelques secondes pour le suivre. A une époque où les élites japonaises sont critiquées pour leur protectionnisme anti-américain, une importation de l’Oncle Sam a réussi à se hisser pratiquement au sommet de leur sport national. En effet, Konishiki est le premier étranger à avoir atteint le rang d’ozeki (champion). Il a gagné deux des trois derniers basho et a fini à une très respectable troisième place dans l’autre – un parcours qui devrait normalement être suffisant pour faire pencher la balance en faveur de son élévation au grade de yokozuna (champion suprême). Cependant l’énorme succès de Konishiki pose un énorme dilemme à l’association des dirigeants de ce sport : la très ésotérique Sumo Kyokai. Aucun gaijin (« étranger » en japonais) n’a jamais eu l’honneur d’être promu yokozuna, et la Kyokai est frileuse à l’idée de créer un précédent avec Konishiki. En mars dernier, le conseil s’est réuni suite à la victoire de Konishiki au basho d’Osaka et décidé que la question de son accession au plus haut grade ne se ferait qu’à l’issue des deux semaines du tournoi de Tokyo qui a débuté dimanche. Bien sur Konishiki a réussi un score de 13-2 lors du dernier basho. Mais les membres du conseil considèrent que ses deux défaites étaient exécrables. « Nous voulons être vraiment certains que Konishiki a l’étoffe d’un champion suprême » explique Hideo Ueda, un des dirigeants du sumo. « C’est pour cette raison que nous avons décidé d’attendre l’espace d’un autre tournoi ».

Le yokozuna est au sommet d’une pyramide hiérarchique d’environ 800 lutteurs. « Les yokozuna sont immortels » nous dit Konishiki avec beaucoup de respect. « C’est comme entrer au panthéon. Tu y restes toute ta vie, mon gars ». L’intronisation d’un yokozuna - un événement qui ne s’est produit que 62 fois depuis la naissance du sumo moderne au milieu du 18ème siècle – se fait à l’issue d’une cérémonie complexe de 3 heures qui se déroule sur les très vénérables terres sacrées de Meiji à Tokyo. Alors que les autres lutteurs changent de grade en fonction de leurs résultats, un yokozuna ne peut pas être rétrogradé. Mais dans les faits, il est contraint de se retirer lorsqu’il se met à perdre plus de combats qu’à en gagner. Ce genre de chose arrive généralement après la trentaine. A ce moment là le, lutteur se fait couper les cheveux et prend une retraite bien méritée.

Comme actuellement il n’y a plus de yokozuna en activité – le dernier en date s’est retiré vendredi dernier à cause de ses blessures – la Kyokai cherche désespérément à pérenniser le plus haut grade en intronisant de nouveaux candidats potentiels. « Qu’on le veuille ou non, le sumo est du show-biz » explique Lynn Matsuoka, une tokyoïte illustratrice de livres sur le sumo. « Les yokozuna ne sont pas seulement là pour le folklore, ils attirent le public en masse » Si on s’en tient aux seuls résultats, Konishiki est le meilleur candidat. Mais la Kyokai est écartelée entre son désir d’améliorer la popularité du sumo et sa volonté de ne pas diluer ce qu’elle considère comme un héritage vivant.

Ce qu’on attend d’un yokozuna, c’est soit de gagner les tournois soit d’être au moins dans les meilleurs. Cependant, il existe une autre exigence, plus subtile, plus difficile à appréhender : l’hinkaku. L’hinkaku est une sorte d’aura quasi-mystique et inné de dignité qui, selon les Japonais, manque cruellement aux Occidentaux. Les plus nationalistes des Japonais sont résolument contre l’idée d’accorder l’honneur d'être yokozuna à un non-Japonais. Le romancier Noboru Kojima a ainsi écrit dans un récent numéro du mensuel Bungei Shunju que la promotion de Konishiki « pourrait ouvrir la voie à la renonciation de l’ identité de la culture spirituelle japonaise » Le titre de son article « Nous n’avons pas besoin d’un yokozuna étranger ». Mais les connaisseurs du sumo soulèvent une autre objection. Konishiki, disent-ils, a transformé un combat stylé et antique en une course au poids. Les règles du sumo sont simples. Vous gagnez en amenant votre adversaire au sol ou en dehors du cercle de paille de riz de 4,5 m qui constitue l'aire de combat. Vous perdez si une quelconque partie de votre corps autre que la plante de vos pieds - même vos cheveux - touche le sol. Les combats ne durent généralement que quelques secondes, très peu vont au-delà de vingt. Un lutteur de la taille et de la force de Konishiki, donc, a un avantage énorme. Mais "si la force était le seul prérequis pour un yokozuna" s'offusque un officiel, "pourquoi ne ferait-on pas se combattre des lions, des ours et des éléphants ?".

Konishiki, arrivé au Japon sans presque aucune notion de japonais mais qui le parle aujourd'hui couramment, prend les coups avec philosophie. "C'est leur sport, je ne tiens pas à m'ériger contre le système. La meilleure chose à faire pour moi est d'accumuler les victoires. Si je continue à gagner, il leur faudra bien faire quelque chose".

A ce propos, la seule chose que la Kyokai ait fait a été de blâmer Konishiki pour quelque que chose qu'il - ou un imposteur - aurait (ou non) déclaré. Dans un article en date du 20 avril, le Nihon Keizai Shimbun, le plus grand journal économique japonais, cite Konishiki au sujet du refus opposé à sa promotion comme grand champion "A proprement parler, c'est du racisme". Le lendemain, le New York Times rapporte une déclaration téléphonique dans laquelle Konishiki dirait "Si j'étais japonais, je serais déjà yokozuna".

Ces remarques ont failli dégénérer en incident international. Le Premier ministre japonais, Kiichi Miyazawa, a défendu les critères de sélection de la Kyokai. Le ministre des affaires étrangères Watanabe craint que les accusations portées par Konishiki puissent tendre les relations américano-nipponnes. Conscient du caractère sensible du sujet des discriminations raciales pour les Américains, Watanabe déclare "Je demande à ce que le sujet soit clos".

Tel est alors le cas. Le 21 avril, après avoir été convoqué devant la Kyokai et avoir reçu l'ordre d'adopter "une attitude plus humble", Konishiki dément avoir tenu l'une ou l'autre des deux déclarations. La Bombe de Chair, en larmes, clame haut et fort que ses paroles ont été mal interprétées par le journaliste du Nihon Keizai ("Si j'ai dit ça, ce n'était pas dans le sens où il l'a écrit") et affirme qu'un apprenti blagueur s'est fait passer pour lui auprès du Times ("Je ne pouvais savoir ce qui se passait, j'étais sous la douche").

La sœur cadette de Konishiki, Kahau Sunia, est moins diplomate. "Il devrait répondre aux japonais qu'il n'est pas un étranger. Après tout, il possède déjà tout à Hawaï".

La petite flûte laquée est faite avec l'os d'une aile de héron. Elle sort d'un fourreau couleur miel. Konishiki joue un air japonais. Le son est pur, limpide et plaintif, à l'image du vol du héron.

Un sourire béat sur le visage de Konishiki, un visage rond, force tranquille, avec une petite touche d'ironie dans le sourire. Ce sourire, il le porte que ce soit lorsqu'il fait rouler ses adversaires hors du dohyo, ou lorsqu'il roucoule des chansonnettes à sa fiancée toute menue, Sumika, un top-model qui pèse à peu près autant que son coude. (Il a fait sa demande l'été dernier en lui disant "Si on bossait ensemble pour devenir Yokozuna").

Leur mariage à Tokyo, en février, a rassemblé plus de mille invités, dont beaucoup des politiques et hommes d'affaires japonais de premier plan. Une chaîne de télé japonaise a mis sur la table un demi-million de dollars pour les droits de diffusion. Cette version real-tv de la Belle et la Bête a interrompu les JO d'hiver pendant deux heures. "Aucun autre sport sur terre ne procure ce genre d'attention" nous indique Konishiki. Sa voix est étonnamment douce, venant d'un homme taillé comme trois armoires normandes.

Tous les faits et gestes de Konishiki - aussi lourds soient-ils - sont autant de sujets pour la presse à scandale. "Le journalisme au Japon est une ratière, les journalistes un paquet de rats", déclare Konishiki avec mépris "je suis en permanence cité par des journalistes qui ne m'ont jamais vu. Les autres me posent le même type de questions stupides : De quoi parlez-vous avec votre épouse ? Qu'est ce que ça fait d'être marié à un homme comme vous ? Vous voulez un garçon ou une fille ? La question qu'ils ne posent jamais est, Ils font l'amour ou pas ? ". "On le fait", dit Konishiki avec un brin de timidité. Nous laissons le reste à votre imagination.

Selon la presse populaire, Konishiki a fêté son 28ème anniversaire en décembre dernier en descendant 120 canettes de bière, 10 verres de tequila et 10 whiskies. "C'est ridicule" proteste Konishiki "Je ne bois jamais de whisky".

Alors, la bière et la tequila ? "Ca n'est vrai qu'en partie. Les 10 tequilas sont vraies, mais j'ai bu plus de 120 canettes de bière".

Explosé ?

"Non, mais le lendemain matin j'avais l'impression d'avoir 23 cœurs, qui battaient tous, et dans ma tête".

Le public japonais raffole de ce genre d'informations. Et la plupart du temps Konishiki n'en est pas avare. "Je suis traité comme un roi, un dieu vivant".

Les grands-mères et les jeunes enfants le touchent pour attirer la chance comme une sorte de Bouddha géant. Les jeunes filles défaillent à la vue de ses hanches énormes. Les masques de Konishiki s'amoncellent sur les rayonnages des magasins de jouets de Tokyo. Un fan club lui a offert un mawashi avec un énorme diamant pour le porter durant les longues cérémonies d'ouverture des tournois de sumo.

Il semble clair que Konishiki est la plus grosse raison de la sumo mania qui déferle actuellement sur le Japon. Les six basho de cette année sont sold-out, y compris les trois qui se déroulent au Kokugikan, le stade de Tokyo avec ses 12000 places. Les premiers rangs s'arrachent à plus de 4000 $ chacune. Les salaires des sumos sont aussi élevés, et les aspirants sumotori déferlent du monde entier. La Kyokai reverse à Konishiki un pourcentage des revenus générés par les entrées, ce qui monte jusqu'à 100000 $ l'an, mais il gagne au moins deux fois plus grâce aux exhibitions et primes de match - ce qui se révèle pratique dans une cité aussi chère que Tokyo. "J'aimerais gagner des millions de dollars comme les baseballers américains au Japon", nous dit Konishiki, "mais j'imagine que cela fait partie de la discipline du sumo. On prend ce qu'on a".

C'est le sumotori hawaïen Jesse Kuhaulua, premier non-Japonais à emporter un basho dans la division reine (en 1972), qui a fait venir Konishiki au Japon. Aujourd'hui 19 Hawaïens luttent ici (l'un des frères aînés de Konishiki, Junior, figure dans une compétition de boxe parallèle). Aucun des sumotori hawaïens n'approche les mensurations de Konishiki. Le plus proche est Akebono, un géant de 2,03m, entraîné par Kuhaulua. Mais Akebono, bien que pesant le poids respectable de 225 kg, n'a pas le centre de gravité extrêmement bas qui avantage Konishiki.

Le tour de taille gigantesque de Konishiki le rend pratiquement indéboulonnable. Mais il amène aussi son lot d'inquiétudes à propos de sa santé. Konishiki aborde ce lourd problème d'un ton léger. "Mon seul regret est que je ne peux entrer dans les manèges de Disneyland Tokyo. Et quand je vais au cinéma, je dois m'asseoir dans m'allée".

Est-ce que maigrir - si le terme signifie quelque chose dans son cas - altérerait son sumo ? "Je ne me prends pas la tête ave cela, mais cela ne me ferait certainement pas de mal de perdre 79 ou 80 kg".

Kuhaulua n'est pas d'accord. "Les sumotori sont dépendants de leur poids. S'ils en perdent, ils perdent leurs sensations. Certains ont ruiné leur carrière après une perte de poids. Je suis plus inquiet pour ce qui concerne Konishiki des risques de blessures. Des gabarits comme nous guérissent lentement".

Kuhaulua dit ceci, assis sur un futon d'une écurie d'entraînement d'Osaka. La tête enfouie dans des serviettes, cet homme de 200 kg semble immobile, tel Jabba le Hut, et presque aussi caricatural. Depuis dix jours il est dans cette position quasi en permanence. "Je me suis tordu la cheville" dit-il d'une voix rauque. Un coup au larynx au début de sa carrière de sumotori lui a laissé cette voix de crécelle.

Sur le mur, une affiche réalisée par l'un des protégés japonais de Kuhaulua.

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"Je ne connais rien à la nutrition" dit Konishiki à un visiteur, dans la modeste maison de ses parents à Oahu. "Quand vous êtes élevé dans une famille qui survit à peine, vous mangez tous ce qui se trouve devant vous". Le visiteur s'éloigne.

Konishiki est le huitième d'une fratrie de neuf engendrée par Lautoa Atisanoe et son épouse, Talafaaiva. Lautoa, personnage trapu à l'air perpétuellement fatigué, a émigré avec sa famille des Samoa, où il était instituteur, vers Oahu en 1959, et trouva alors un travail de mâteur en navires. Il était déterminé à offrir à ses enfants, dont Salevaa (surnommé Sale), plus que l'école primaire.

Les Atisanoe vivaient au sein d'une communauté samoane, du côté sous le vent de l'île. Ils étaient pauvres selon les standards polynésiens. Chacun dormait sur des nattes dans une chambre commune et se douchait à l'extérieur, sous les bananiers. Lautoa avait été un prêcheur, dans son village des Samoa, et une fois installé à Hawaï, il construisit une église avec du bois de récupération. "La famille avait un profond respect pour le protocole, les rituels, l'étiquette", selon Earlene Albano, l'institutrice de primaire de Sale à Nanakuli. "Je crois que c'est grâce à cela que Sale s'est aussi bien adapté au Japon".

Sale était un petit garçon gros mais fort. A 11 ans, il pesait 180 kg. "Il avait l'air intimidant, mais il ne s'en est jamais servi".

Personne ne l'intimidait, non plus. "On portait des casques et des protections d'épaule quand on jouait au football dans la rue, mais rien n'allait sur Sale, donc il était sa seule protection" nous dit Darrin Zablan, un ancien camarade de classe.

A l'université d'Honolulu, Sale acquit un surnom, Sale l'Enorme, comme champion invaincu à la presse (275 kg) et aux squats (300 kg). Il jouait aussi au poste de bloqueur dans l'équipe de football. Le fils d'Albano jouait dans une équipe adverse.

"Qu'est ce qui se passe quand Sale te rentre dedans ?" , lui demanda-t-elle un jour.
"Tu rebondis, m'an" lui répondit-il.

Trop lent pour le haut niveau, Sale pensa un moment devenir policier infiltré, comme si un ancien bloqueur de son gabarit pouvait passer inaperçu. "Tu sais, comme au GIGN, traverser les portes, casser des têtes". Un silence "C'est pas encore trop tard, non ?".

Une semaine avant son bac, un émissaire de Kuhaulua repéra Sale sur une plage, qui séchait l'école.
"Non merci", lui répondit Sale, lorsque l'émissaire lui parla de sumo "Je n'ai pas les tripes pour combattre"
"Si, tu les as"
"Laisse tomber"

L'émissaire insista, revenant à la charge à deux reprises. Il dit à Sale que Kuhaulua devait venir incessamment à Honolulu, et qu'il pourrait le lui présenter. "C'est une vedette à Hawaï, alors je me suis dit, pourquoi pas ?", dit Konishiki.

"Je te demande juste d'aller là-bas" dit Kuhaulua à Sale "après, ça viendra tout seul". Contre l'avis de ses parents, Sale partit en balade "le voyage était gratuit. Qu'est-ce que j'avais à perdre ?". C'était alors un poids plume de 190 kg.

Kuhaulua lui apprit les épreuves liées à son statut de sumotori. "Ca faisait 20 ans que j'étais dedans. Le jour où je suis arrivé des Etats Unis, en 1964, j'ai eu l'impression d'être sourd, aveugle et particulièrement stupide. Je ne pouvais parler qu'à deux ou trois personnes. Et il y avait toujours énormément de ressentiment datant de la deuxième Guerre Mondiale". Kuhaulua fit des efforts gigantesques pour s'intégrer. "Essayer de vivre à la japonaise était vraiment difficile, mec. Il m'a fallu apprendre leur culture, leur style de vie et leur langue, et accepter leur attitude vis-à-vis des étrangers".

Kuhaulua combattit sous le nom de Takamiyama, la Haute Montagne. Il atteignit le rang de sekiwake, le troisième dans la hiérarchie du sumo. Mais il ne concourut jamais pour l'accession au rang de yokozuna. "Je n'avais pas la concentration nécessaire pour m'élever plus haut. Ceux qui deviennent yokozuna ont quelque chose en plus. Ils sont vraiment différents".

Konishiki intégra la Takasago beya en 1982. Il s'était rasé le crâne juste avant le bac. Ce fut son dernier acte de défi pour longtemps.

Konishiki traîne son énorme masse au sein de son école d'entraînement avec la morgue d'un jeune chef toisant sa tribu. Et si une heya n'est pas une tribu, on y trouve suffisamment de totems et tabous pour générer des sujets de doctorats pour les anthropologues des futures générations.

"Retour à l'âge de pierre, mec", nous indique Konishiki.

La Tradition est présente jusque dans l'argile que les lutteurs, appelés sumotori, foulent du pied. "Il faut avoir le sens de l'humour quand on parle du sumo", dit Konishiki, dans un rire semblable au démarrage d'un petit moteur. "Les étrangers qui ont du mal ici sont incapables d'en rire. Mais" ajoute-t-il, après un moment "il y a un moment ou il faut prendre les choses avec sérieux".

Lorsqu'il arrive à Tokyo, son oyakata lui donne le nom de Konishiki, du nom d'un yokozuna qui lutta à la fin du 19ème siècle. "Tout ce que je sais, c'est qu'il était petit et avait cinq épouses" soupire Konishiki II. "On vit dans un monde différent, mec. On pouvait alors avoir 20 femmes, sans se retrouver au tribunal".

La vie d'un jeune sumotori s'apparente à une servitude sous contrat. La plupart des lutteurs aspirants s'engagent vers 15 ans; ils gagnent de la masse, en résumé, en se gavant eux-même. Ce n'est pas un problème pour Konishiki, mais l'uniforme obligatoire - un string tout ce qu'il y a de minimal - le rebute. "Je ne voulais pas me balader en couches culottes. Mais je suis là, et je les porte".

Son initiation est brutale. Les oyakata lui crachent dessus, lui mettent du sel dans la bouche et le frappent avec des bâtons de bambou. Une nuit, un lutteur plus âgé, ivre, trébuche et donne un coup de genou dans la tête d'un Konishiki en plein sommeil "Pas de raison particulière " dit Konishiki avec calme "il lui fallait simplement donner un coup de genou à quelqu'un. C'était vraiment premier arrivé, premier servi".

Un autre vétéran, raide pompette, frappe Konishiki au visage avec une bouteille de bière. "Je voulais répliquer, mais je n'ai pas pu. Quand vous êtes un apprenti, vous êtes de la merde. Vous ne pouvez que prendre des coups, pas en rendre. Ce n'est pas l'Amérique".

Mais Konishiki a de quoi se consoler. "Ils ne s'attaquent qu'aux plus prometteurs. Et ils s'attaquaient à moi tous les jours. Je me suis donc tant habitué à la douleur que j'ai oublié ce que c'était". Il accomplit consciencieusement les corvées des apprentis. Baigner et nourrir ses tortionnaires, éponger leur sueur, courir faire leurs courses et même essuyer là où un sumotori de 180 kg ne peut s'essuyer. Le seul moyen de se libérer de tous ces affronts est de gravir les échelons jusqu'à ce que lui soit accordé le privilège d'utiliser des apprentis comme ses serviteurs.

Tandis qu'il raconte ceci, Konishiki enfourche deux tonneaux de bière en plastic dans le sombre et venteux sous-sol du temple shinto où il s'entraîne. Une douzaine de laquais à la gueule cassée sont assis autour d'un cercle d'argile, frappant leurs cuisses et se balançant. Certains frappent leurs paumes sur des rondins de bois fichés dans le sol; d'autres s'entrechoquent comme deux couettes amoureuses. Konishiki porte un volumineux kimono, bleu et blanc aux motifs de palmiers. Deux assistants s'affairent à recoiffer et rehuiler son chignon. "Je suis son esclave" dit Cosier (Le Gros) Gaspard, l'un des six apprentis lutteurs qui font partie de la suite de Konishiki. "mais ça va, parce qu'il est un grand maître".

Gaspard, 150 kg et des airs de bon gros cochon, est venu d'Oahu l'an dernier. Il jouait -pouvait-il en être autrement ? - comme bloqueur à l'Arizona Western College jusqu'à ce qu'il se blesse gravement au genou. Il a du faire brûler plusieurs tatouages de ses épaules, y gagnant des cicatrices peu esthétiques, parce que les strictes règles du sumo interdisent tout marquage corporel "impur".

La tâche la plus difficile de Gaspard est peut-être bien de réveiller Konishiki tous les matins "Je dois lui sauter dessus, puis le frapper à la tête et crier "debout, debout".

En général, Konishiki fait de la musculation, des assauts et des poussées jusqu'au déjeuner jusqu'au déjeuner, puis mange. Et mange. Il mange d'énormes bols de riz et de grandes quantités de bœuf, porc, poulet, poisson, tofu et légumes bouillis ensemble dans un ragoût hypercalorique appelé chanko-nabe. Le ragoût, ça va, mais ce qu'il désire le plus est la mayonnaise américaine - il a une réserve secrète de Hellman's. "Assez souvent je sors pour trouver un endroit ou acheter des hots dogs, ou quelque chose d'américain".

Tout le travail et le no poi n'ont pas fait de Konishiki un balourd. Avec ses rapides et troublantes poussées et ses assauts homériques, il est devenu le sumotori à l'ascension la plus fulgurante dans le pays du Soleil Levant. Il a atteint la plus haute des six divisions après seulement huit tournois, un record dans l'ère moderne. En passant il a battu quelques-unes des plus grandes stars du sumo. Mais il est apparemment devenu trop fort trop vite pour ses hôtes.
Une forte poussée xénophobe déferle sur Konishiki lorsqu'il finit second du tournoi de l'Empereur en septembre 1984. "Les Japonais ne se soucient jamais tellement de votre couleur ou de votre nationalité. Enfin, jusqu'à ce que vous parveniez aux plus hauts rangs". Un mouvement anti-Konishiki se forme. Le jeune homme est attaqué parce que son corps n'est pas sculpté et musclé comme un sumotori classique. Il est affublé de sobriquets comme Benne à Ordures, le Monstre Hawaïen, la Bombe de Chair. "En fait, j'ai toujours aimé Bombe de Chair. J'imagine ma photo en couverture de Sport Illustrated avec les mots La Bombe de Chair Explose au Japon".

Des fans irascibles essayent de boycotter la Bombe. Ils clouent une poupée à son effigie en dehors du temple, lui envoient du courrier haineux et des menaces de mort. Des rumeurs de noir complot pour le blesser durant l'entraînement, le corrompre, relever sa nourriture avec du sucre pour lui donner le diabète, circulent. "J'étais sûr que quelqu'un allait venir sur moi dans la rue pour me poignarder dans le dos. Ca m'a fichu une trouille bleue". Un quotidien vole son journal intime et en publie des extraits. Un autre exige que les tournois fussent annulés si la Bombe de Chair parvient à devenir yokozuna. Un troisième le stigmatise comme "la pire catastrophe survenue au peuple japonais depuis l'arrivée des Vaisseaux Noirs", allusion au Commodore Perry et à sa flotte, qui contraignirent le Japon à s'ouvrir au commerce occidental au 19° siècle.

Des appels sont lancés pour enseigner le sumo au lycée pour que le Japon puisse produire des lutteurs qui pourraient battre Konishiki. Il y a même une chanson anti-Konishiki qui donne à peu près ceci : "Con, baleine, clodo. etc.".

Peu à peu ceci arrive aux oreilles de Konishiki. Il devient alors tout fou, comme un jeune bleu. Il tombe lourdement, puis se blesse au genou gauche. Il perd même son calme légendaire. Après une défaite, il balance une télé du deuxième étage. "Vous n'allez pas me dire que Jordan marque 45 points à tous les matches. Il a ses jours sans, lui aussi".

Il atteint le fond quand l'un de ses assistants jette à la poubelle toutes les lettres de sa famille "Je les lisais chaque soir, encore et encore. Ce sont elles qui me faisaient tenir. Quand elles furent jetées, j'en ai pleuré. Je me suis demandé, qu'est-ce que je fais ici ?". La fierté le fait tenir. "Je ne pouvais pas m'en aller avant d'avoir réussi. C'est ce que le sumo m'a appris, mec, comment vivre seul. Je ne dois mon parcours qu'à moi-même".

Il insiste avec courage et une obstination typiquement zen. En 1987 il atteint le rang d'ozeki. Bien sûr, il lui faut cinq places de finaliste au lieu de trois habituellement. Il montre son esprit d'indépendance en paradant autour du dohyo avec un tablier arborant la statue de la Liberté.

Il emporte son premier tournoi, le Kyushu basho, en novembre 1989 avec un score de 14-1. Essuyant ses larmes, il déclare "mon rêve s'est réalisé". C'est une marque d'émotion très peu japonaise, et elle fait écrire à des éditorialistes "Je me demande quelles pensées étaient contenues dans ces larmes... nous voudrions seulement demander à Konishiki de comprendre l'esprit qui sous-tend le sumo et de poursuivre sa carrière".

A mesure que le Japon se met à apprécier Konishiki, sa confiance grandit. En novembre dernier il se présente au Kyushu basho sans bandage au genou. Il en portait un depuis six ans. Il l'emporte avec un score de 13-2 et déclare devoir sa victoire, en partie, à un nouveau régime : de la viande de crocodile, hyperproténinique et peu grasse. A aucun moment son poids n'était descendu à moins de 252 kg.

Quand la clameur salue l'assaut, Konishiki est aussi impossible à arrêter qu'un train en marche. Et c'est une vision assez effrayante que d'apercevoir les soubresauts de graisse du plus gros sumotori de l'histoire essayer de vous écraser. "C'est comme un char d'assaut en face d'une Coccinelle" dit Gaspar "si vous tenez à la vie, vous vous barrez". Pour une locomotive, Konishiki est capable d'étonnantes prouesses d'équilibre, d'agilité et de force brute.

Pour éviter de terminer aplatis comme des crêpes sous la graisse, les adversaires de Konishiki essayent de le contrer avec ruse et rapidité. Sa plus grande faiblesse réside dans son incapacité à changer de direction. Il s'élance depuis sa place de départ, commence à envoyer des tsupari et des poussées, et juste quand il pense que son adversaire est prêt pour le Grand Saut, l'autre se baisse, crochète le genou et l'envoie s'écraser sur l'argile. "Nul ne peut vaincre Konishiki en un contre un. Faut prendre une moitié et contrôler ce que vous avez dans les mains" nous indique Gaspard.

Il existe 74 prises dûment répertoriées pour envoyer un adversaire hors du dohyo, le petit cercle d'argile. A ses débuts, Konishiki s'appuyait sur l'oshidashi et le tsukiotoshi, deux techniques basées sur des coups portés avec la paume de la main. Mais quand il commença à combattre dans les années 80, il perfectionna le yorikiri, technique dans laquelle il attrape à deux mains le mawashi de l'adversaire et le soulève hors du dohyo. La Joie du Sumo, de David Benjamin, appelle cela la position du missionnaire. "Ce qui fait la force de Konishiki est qu'il sait conserver son sang-froid. Maintenant, il sait lire la trajectoire de son adversaire. Par le passé, il ne savait qu'aller vers l'avant", nous dit Kuhaulua.

Au basho du mois de mars, à Osaka, le championnat s'achève par une confrontation entre Konishiki et l'autre ozeki Kirishima, un homme trapu de 140 kg aux faux airs de star de cinéma (on le présenta au tournoi exhibition de Paris comme le "Alain Delon du Sumo" (ndt: commentaire de Léon Zitrône...)). En dépit, ou peut-être à cause, de sa taille, Kirishima est l'une des bêtes noires de Konishiki.

Konishiki gravit lourdement le dohyo, portant une bien trop étroite bande de soie pour le recouvrir, dont pendent des sortes de pompons rigides. Ses cheveux noirs, huilés, sont ramenés vers l'arrière et ornementés en un chignon compliqué évoquant la forme d'une feuille de ginko. Konishiki semble extrêmement concentré. Il arbore une mine sereine et détendue, un visage souriant et distingué. Le regard n'exprime rien.

Le combat commence avec une longue guerre des nerfs connue sous le nom de niramai, dans laquelle les adversaires se fusillent du regard. "C'est à ce moment que l'on gagne ou que l'on perd" nous dit Konishiki "Si tu peux soutenir le regard de ton adversaire, tu peux le sentir s'effondrer". Parfois, c'est Konishiki qui baisse le regard. "Ton esprit tout entier devient kamikaze, et mec, tu ne connais même plus ton propre nom".

Konishiki et Kirishima se font face, accroupis, se balançant artistiquement sur leurs doigts de pieds. Ils se lèvent, frappent dans leurs mains, puis leurs poitrines et lèvent leurs jambes aussi haut que leurs ventres le permettent. Après bien d'autres frappers du pied, ils lancent une grosse poignée de sel purificateur. Des poignées de sel traversent le cercle en des paraboles chatoyantes. Le jet douche l'arbitre en kimono, qui porte une dague dont il ne se servira pas en représailles, en homme poli qu'il est.

Konishiki est devenu le maître du niramai. Selon La Joie du Sumo, "Il gagne beaucoup de ses matches simplement assis ici. Son attitude est comme un coup de matraque. Il donne l'impression de grandir devant vos yeux".

Les combattants reviennent s'accroupir, et se dévisager d'un air sinistre. Ils se lèvent encore et reprennent d'autres poignées de sel. K et K reprennent le rituel plusieurs fois, comme des hockeyeurs inquiets faisant des cercles avant le face à face. Les spectateurs, dont beaucoup agitent des images de Konishiki, hurlent leurs approbations.

Puis soudain, la charge. Kirishima fonce tête la première dans l'amas gélatineux de Konishiki. Près d'une demi-tonne de muscles, graisse et chanko-nabe s'entrechoquent, dans un "floc" assez curieux à entendre, comme si l'on jetait du beurre sur un mur de béton. Les deux lutteurs frappent ventre contre ventre, tels deux morses en rut luttant pour leur suprématie.

Tout est fini en dix secondes. Kirishima essaye de déséquilibrer Konishiki. Libre de toute prise, Konishiki l'envoie sur le côté du dohyo avec une sorte de grâce pachydermique. Kirishima agrippe une main sur le mawashi de son adversaire et tente de le contrer. Inamovible, Konishiki agrippe simplement le mawashi de Kirishima et s'en débarrasse sur yorikiri.

La victoire est saluée par des Banzaï ! à travers tout le stade couvert, mais aussi quelques sifflets épars. Les coussins pleuvent sur le dohyo, et les fans se lèvent de leurs tatami pour crier leur joie. Cris et applaudissements : beaucoup sont visiblement épuisés. Konishiki toise les spectateurs. La sueur ruissèle de sa poitrine comme la pluie en un ruisseau d'orage.

A la remise des prix il reçoit un amoncellement de primes, y compris une tonne de bœuf, un an de gasoil, du Coca, des champignons, des marrons et 5000 anguilles. Il postillonne comme une baleine heureuse, laissant le speaker trempé. Plus tard, il s'exclame "Mince alors ! Pourquoi est-ce qu'ils ne me donnent pas quelque chose dont je puisse me servir, comme un million de dollars ?"

Le lendemain il s'envole d'Osaka pour Honolulu. Depuis leur mariage, Konishiki et Sumika ont eu quatre réceptions partout au Japon. Sur Hawaï, ils en ont prévu deux autres - dont une fête samoane.

Konishiki occupe deux sièges de première classe, et bien que les accoudoirs aient été relevés, on croirait qu'il a le siège le plus inconfortable. Il passera la plupart du vol assis sur le sol. "J'aimerais rester dans le sumo aussi longtemps que je peux. Si je peux durer encore cinq, six, sept ans, je serai heureux. Mais je ne sais pas encore ce que je ferai après. Je ne pense même pas à demain. Ca me ralentit. Jamais deux jours en même temps. Juste un. C'est ma méthode".

Pour le dîner, le steward lui demande de choisir entre les tartes aux noix, à la fraise ou à la pomme. "Balancez les simplement sur mon assiette et mélangez les" dit-il, pince-sans-rire. "Pas la peine de les couper. Je les mangerai entières. De toute manière, ça va au même endroit". Quand il se leva ensuite pour s'étirer, c'est l'avion tout entier qui sembla prendre de la gîte.

A l'atterrissage, à Honolulu, Konishiki dandine hors de l'avion et se dirige vers les douanes. Une file pour les citoyens américains, une pour les étrangers.

Bombe de Chair rit, un rire moqueur venu du fond de sa gorge. "Hé," crie-t-il à la cantonade "elle est où, la file pour les dieux vivants ?"

Kaiomitsuki
23/02/2006, 21h41
Super :wink:
Je vais mettre la version française sur mon site avec les photos !!

pereboulon
24/02/2006, 09h31
Ah, je me rappelle avec émotion de cet article que j'avais commencé à traduire et que Toonoryu a eu la bonne idée de reprendre (devant ma lenteur). Depuis, le même Toonoryu nous régale de tonnes de traductions... alors qu'il n'est même pas traducteur professionnel (il faudrait qu'il songe à une reconversion).

Concernant Konishiki, je regrette moi aussi que ce genre de titan ne soit plus présent dans le sumo moderne. Il est incontestable que ce type de gabarit réhaussait les victoires des autres lutteurs et apportait une diversité bienvenue dans le sumo. Mais cette période "hawaïenne" (il ne faut pas oublier Akebono et Musashimaru) n'est qu'une parenthèse dans l'histoire du sumo. De tels gabarits sont l'exception plus que la règle et je ne sais pas si on reverra de sitôt des lutteurs aussi lourds en makuuchi, mais on doit garder espoir. Il me semble que de jeunes lutteurs prometteurs sont déjà autour de 200 kg, donc tout n'est pas perdu.

Kaiomitsuki
24/02/2006, 12h27
Le lien direct vers l'article en français et les photos "Meat Bomb : La bombe de Chair" (cliquez sur la photo)
Merci Toonoryu :wink:


http://membres.lycos.fr/kaiou/konishiki/Konishiki_France_fichiers/image002.jpg (http://membres.lycos.fr/kaiou/konishiki/Konishiki_France.htm)

kitano
24/02/2006, 19h32
Merci Kaio de tes précisions l'artcile et merci toonoryu, encore une fois, pour ta traduction. Il y a un tout petit passage que tu n'as pas traduit juste après "Con, baleine, clodo". Ce passage est l'un des plus révélateurs des mouvements de haine à l'égard de Konishiki. Je ne suis pas traducteur mais ça donne quelque chose comme ça:
"Ta mère est tellement grosse que son nombril déborde de son ventre. Ton père est tellement gros que son nombril a sept couleurs différentes. Je mettrai ma main dans ton oreille et me retrouverai au milieu de tes molaires."

Hoshifransu
25/02/2006, 01h13
Merci, Toonoryu, "énorme" traduction de très grande qualité qui mettrait au chômage bon nombre de traducteurs pros.

Ah, comme j'aimerais revivre cette époque ...



Mais "si la force était le seul prérequis pour un yokozuna" s'offusque un officiel, "pourquoi ne ferait-on pas se combattre des lions, des ours et des éléphants ?".

Pour ce qui est de l'ours, je trouve que la puissance, le visage, la moue de Musoyama s'y prêtait bien ...


Une nouvelle fois, le Japon est menacé par un maraudeur grand comme une montagne et qui écrase tout sur son passage. Une nouvelle fois, les éclairs suivant le tumulte de ses pas ont embrasé le pays des ruelles d’Osaka au château Atami de Nagoya. Et une nouvelle fois les maîtres de ce pays insulaire font tout pour l’arrêter. Seulement cette fois-ci, l’ ennemi n’est pas un saurien cracheur de feu de 50 000 tonnes, nommé Godzilla.

La comparaison avec Godzilla est quand même pas mal.


Aucun des sumotori hawaïens n'approche les mensurations de Konishiki. Le plus proche est Akebono, un géant de 2,03m, entraîné par Kuhaulua. Mais Akebono, bien que pesant le poids respectable de 225 kg, n'a pas le centre de gravité extrêmement bas qui avantage Konishiki.

C'est vrai que, de fait, on surnomma souvent Akebono, la grappe.


Sale était un petit garçon gros mais fort. A 11 ans, il pesait 180 kg.

Comment est-ce possible ... ailleurs qu'à Hawaii ?


il perfectionna le yorikiri, technique dans laquelle il attrape à deux mains le mawashi de l'adversaire et le soulève hors du dohyo. La Joie du Sumo, de David Benjamin, appelle cela la position du missionnaire. "Ce qui fait la force de Konishiki est qu'il sait conserver son sang-froid. Maintenant, il sait lire la trajectoire de son adversaire. Par le passé, il ne savait qu'aller vers l'avant", nous dit Kuhaulua.

Le yorikiri comparé au missionnaire ... Amusant. Les tsuppari seraient donc l'équivalent de préliminaires ... :roll:


Au basho du mois de mars, à Osaka, le championnat s'achève par une confrontation entre Konishiki et l'autre ozeki Kirishima, un homme trapu de 140 kg aux faux airs de star de cinéma (on le présenta au tournoi exhibition de Paris comme le "Alain Delon du Sumo" (ndt: commentaire de Léon Zitrône...)).

Léon Zitrone formidablement bien revisité par Laurent Gerra récemment, ah, Léon, comme tu nous manques ...


Le lendemain il s'envole d'Osaka pour Honolulu. Depuis leur mariage, Konishiki et Sumika ont eu quatre réceptions partout au Japon. Sur Hawaï, ils en ont prévu deux autres - dont une fête samoane.


Une fête samoane, à mon avis, ça vaut au moins deux réceptions, ça !

Ah, quel bonheur, Hawaii, les Samoa, les Tonga, et quel vivier ...

skydiver
01/03/2006, 17h35
Pour information, "The joy of sumo" a été présenté - il y a quelques années - sur http://www.karatejapon.net
Excellent ouvrage à mon sens, plein d'humour et réaliste néanmoins.